Selon les projections de la Banque mondiale, «d’ici à 2030, les ressources en eau disponibles par an et par habitant dans la région MENA tomberont sous le seuil de pénurie absolue de 500 mètres cubes par personne et par an».
Longtemps considérée comme abondante, l’eau se fait de plus en plus rare dans le monde et plus particulièrement dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA). Selon le dernier rapport de la Banque mondiale (BM), rendu public le 27 avril 2023, la région MENA est la plus touchée par la raréfaction de cette ressource vitale pour la vie.
«La région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) est confrontée à un grave manque d’eau pour assurer la vie et les moyens de subsistance. Malgré les investissements importants dans l’infrastructure réalisés au cours des dernières décennies, les pays de la région sont confrontés à des pénuries d’eau sans précédent et de plus en plus graves du fait de la croissance démographique, du changement climatique et du développement socioéconomique», lit-on dans ce rapport intitulé «The Economics of Water Scarcity in the Middle East and North Africa : Institutional Solutions (Aspects économiques de la pénurie d’eau au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : Solutions institutionnelles)».
Fortement sollicités par les agriculteurs et les villes, les systèmes hydriques existants sont «au bord de la rupture», alerte cette institution de Bretton Woods. Et ce n’est que le début d’une ère des plus difficiles, puisque la situation climatique va en s’aggravant.
Le rapport met en avant l’accentuation du stress hydrique dans cette partie du monde et ses fâcheuses conséquences sur les populations. «Des communautés entières d’agriculteurs constatent que les sources d’eau, dont ils dépendent depuis des générations pour leur subsistance, s’épuisent ou disparaissent rapidement», ajoute ce rapport.
Des projections inquiétantes
Selon les projections de la Banque mondiale, «d’ici 2030, les ressources en eau disponibles par an et par habitant dans la région MENA tomberont sous le seuil de pénurie absolue de 500 mètres cubes par personne et par an». Cette baisse ne fera qu’accentuer les pénuries en raison notamment de l’augmentation de la demande en eau, due essentiellement à la démographie galopante que connaissent la plupart des pays de la région.
Cette pénurie d’eau deviendra d’année en année «plus aiguë», avertit le rapport, qui se réfère au rythme de la croissance de la population. «La population est passée dans la région d’un peu plus de 100 millions d’habitants en 1960 à plus de 450 millions en 2018.
Elle devrait dépasser 720 millions d’ici 2050», précise la BM, qui prévoit ainsi un déficit de pas moins de 25 milliards de mètres cubes d’eau par an. «Sur la base des stratégies actuelles de gestion de l’eau, une estimation prudente de la demande d’eau en 2050 indique qu’il faudrait 25 milliards de mètres cubes supplémentaires par an», souligne le rapport, selon lequel, il faudrait construire 65 usines de dessalement de la taille de celle de Ras Al Khair en Arabie Saoudite pour combler ce déficit.
Le rapport relève dans ce sillage la nécessité d’adopter des réformes à même d’améliorer la gouvernance en matière de gestion des ressources hydriques existantes.
«Si rien n’est fait, les pénuries d’eau auront des effets négatifs sur les moyens de subsistance et la production agricole et pourraient provoquer des tensions entre les usagers», avertit cette institution internationale, pour laquelle l’approche adoptée par les pays de la région MENA n’est pas la mieux indiquée.
La Banque mondiale reproche aux pays de cette région d’avoir misé essentiellement sur le développement des capacités et des moyens d’approvisionnement en eau, à travers notamment la construction de barrages, le dessalement et l’exploitation des eaux souterraines, «sans traiter de manière adéquate les problèmes critiques d’efficacité et de gouvernance».
«Cette situation n’est viable ni sur le plan financier ni sur le plan environnemental», estime la BM, citant au passage la problématique des fuites d’eau qu’il faudrait réduire substantiellement pour économiser cette ressource de plus en plus rare et fortement demandée.
Le rapport relève dans ce sens que «la moitié des services publics de l’eau ont indiqué que plus de 30% de l’eau qu’ils produisent ne sont pas facturés aux clients en raison à la fois des fuites dans les canalisations, de l’inefficacité des compteurs d’eau et des branchements illégaux».
La Banque mondiale prévient aussi sur les conséquences écologiques des prélèvements excessifs des eaux souterraines et de l’augmentation des rejets de saumure des usines de dessalement. Aussi, souligne le rapport, la dépendance à l’égard des importations d’eau virtuelle expose les pays à des problèmes d’approvisionnement, comme ceux provoqués par la récente guerre en Ukraine.
Accroître l’autonomie décisionnelle
Ainsi donc, l’institution de Bretton Woods recommande aux pays de la région MENA des réformes pour «accroître l’autonomie et décentraliser les décisions concernant la gestion de l’eau et la prestation de services». Le rapport recense une série de réformes institutionnelles devant viser les agences nationales et les services publics de l’eau et propose de déléguer la prise de décision sur l’attribution de l’eau à des administrations représentatives à l’échelle locale, ce qui aiderait la région à faire face aux problèmes d’eau et à les surmonter.
«Plutôt que de fixer les tarifs de l’eau et de réglementer l’utilisation de cette ressource par des directives ''verticales'', déléguer plus de pouvoirs aux organismes techniques de gestion des ressources en eau, aux services publics et aux collectivités locales pourrait renforcer la légitimité de l’Etat ainsi que la confiance dans sa capacité à gérer la pénurie d’eau», préconise la Banque mondiale.
«Les réformes institutionnelles dans le secteur vital de l’eau peuvent être porteuses de transformations, non seulement en changeant la manière dont l’Etat élabore et applique les politiques de l’eau, mais aussi, plus généralement, en modifiant le contrat social dans la région MENA», affirme Ferid Belhaj, vice-président pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Pour que les réformes institutionnelles préconisées soient couronnées de succès, il faut, précise le rapport, «une meilleure communication sur la pénurie d’eau et les stratégies nationales de l’eau». Les rédacteurs de ce rapport citent comme exemple le Brésil et l’Afrique du Sud, qui ont accompagné les réformes visant à réduire la consommation d’eau par d’intenses campagnes de communication sur la rareté de cette ressource.
Le rapport évoque la possibilité de lever des fonds sur les marchés internationaux pour des projets de développement des ressources hydriques dans cette région. L’Algérie, qui fait partie de cette région MENA, souffre d’un grave déficit de pluviométrie. Selon des données rendues publiques en janvier 2023 par le professeur Ahmed Kettab, consultant international en matière de gestion de l’eau, les précipitations ont diminué de 30% en Algérie au cours de ces 20 dernières années.
Autrement dit, l’Algérie est aujourd’hui en situation de sécheresse. Pour y faire face et tenter un tant soit peu de combler le déficit en pluviométrie, l’Algérie a dépensé, durant les deux dernières décennies, plus de 20 milliards de dollars pour la construction de barrages, de stations de dessalement de l’eau de mer et de réseaux d’exploitation des eaux souterraines du Sud. De nouveaux investissements sont en cours dans ce secteur névralgique.