Après deux exercices fermés, le Fonds de pension alimentaire versée femmes divorcées ayant la garde des enfants, institué en 2015, revient avec une nouvelle version. Un avant-projet de loi, qui recadre son dispositif d’accès et de gestion, vient d’être soumis au Conseil des ministres. Parmi les amendements, sa mise sous la tutelle du ministère de la Justice, alors qu’il était sous celle de la Solidarité, et sa gestion locale confiée aux cours de Justice, habilitées à poursuivre les conjoints défaillants, avant que ces derniers ne restituent par voie judiciaire, les montants versés.
Le divorce est pour les enfants un cauchemar, surtout lorsque ces derniers sont très jeunes et que la garde est confiée à l’épouse qui se heurte au refus de son ex-conjoint à s’acquitter du paiement de la pension alimentaire. En 2015, l’Etat s’est substitué à l’époux défaillant, en puisant le montant à verser du fonds de pension alimentaire, créé à ce titre, et devant être récupéré par voie de justice auprès du père.
Un avant-projet de loi qui redéfinit les procédures depuis la demande déposée par la femme divorcée ayant la garde des enfants, jusqu’à la promulgation de la décision et son exécution par le fonds à travers le transfert des montants aux bénéficiaires. L’avant-projet met désormais le fonds sous la tutelle du ministère de la Justice et non sous celle de la Solidarité, tel qu’il est actuellement.
Ce dispositif n’a pas donné les résultats escomptés en raison des difficultés rencontrées par les bénéficiaires. En juillet 2017, le ministre de la Justice d’alors, Tayeb Louh, avait déclaré que le montant versé au titre de la pension alimentaire aux femmes divorcées ayant la garde des enfants a atteint 7,7 milliards de dinars, alors qu’il était de 1,7 milliard de dinars en 2016. Il a aussi précisé que 993 femmes et 1867 enfants ont bénéficié de cette pension entre 2016 et 2017.
En juillet 2019, l’ancienne ministre de la Solidarité, Ghania Edalia, a avancé le nombre de 2000 femmes et de 3500 enfants ayant bénéficié de ce fonds de 2016 à 2019. Des chiffres en deçà des attentes, a-t-elle relevé, avant de faire remarquer qu’en 2018, sur les 340 000 enregistrés, il y a eu en contrepartie 65 637.
Les spécialistes du droit et le mouvement associatif féminin, ont fait état de «lourdes défaillances» dans la mise en application de cette loi. Les juges des affaires de familles, ayant les prérogatives de rendre les décisions et de statuer sur les montants exigés de cette pension semblent perdus, sans les modalités d’application : les femmes divorcées ayant obtenu la garde des enfants peinent à accéder à ce fonds, une fois le jugement entre les mains, leur ex-époux refuse de verser la pension alimentaire ou disparaît sans laisser d’adresse.
En 2021, et en vertu de la loi de finances, le fonds a été fermé et le montant transféré au compte de la solidarité et la pension alimentaire, au ministère de la Solidarité, lequel compte a été fermé en 2022. Des voix s’étaient alors élevées pour la «prise en charge sérieuse» de la situation des femmes divorcées ayant à leur charge des enfants, que le père a pratiquement abandonnés.
Nouvelle tutelle
Lors d’une conférence à Constantine, des avocats et des spécialistes du droit de la famille ont levé le voile sur la «discordance» entre le texte de loi et le vécu des femmes divorcées ayant la garde des enfants. Parmi ces failles, le fait que celles-ci n’ouvrent pas droit au dispositif au cas où son époux est étranger, ou décédé. Les intervenants ont relevé également que la pension est seulement alimentaire et ne concerne pas le loyer, la prise en charge médicale, et toutes les autres charges qui mettent les enfants à l’abri du besoin.
Pour les spécialistes, les femmes divorcées sont très souvent mises, devant des procédures difficiles et coûteuses en raison des documents constituant le dossier d’accès, et le recours à une enquête par l’administration, sur les dossiers des bénéficiaires et l’état-civil.
Pour mieux mettre en lumière les tracasseries de la procédure, le président de la chambre des huissiers de justice, intervenant lors de la rencontre, a évoqué les difficultés à faire exécuter les décisions de justice relatives à la pension alimentaire vu la complexité des procédures administratives et les lenteurs du traitement des dossiers, qui peuvent aller jusqu’à 3 ans, avant de plaider pour une réforme de ce texte de loi.
A tous ces dysfonctionnements s’ajoute le problème de la méconnaissance des droits par les femmes divorcées ayant la garde des enfants. A Constantine par exemple, en 2016 une femme seulement se serait présentée pour bénéficier du fonds, a-t-on relevé.
En 2018, elles étaient au nombre de 31 bénéficiaires, alors qu’en juillet 2022, elles ont atteint 83 femmes, selon la direction de l’action sociale et de la solidarité (DASS), elles sont toutes en difficulté financière, et n’avaient même pas les moyens pour engager des poursuites contre leur mari qui refusent de payer la «Nafaqa» (El Watan, 2 juillet 2022).
Les spécialistes du droit ont préconisé l'allégement des procédures légales d’obtention de la pension à travers l’adoption d’un dossier de base unique et permettre ainsi l’accès au droit de garde et à cette pension de manière plus efficace et moins coûteuse. Au mois d’avril dernier, alors qu’une enveloppe budgétaire avait été allouée au fonds (après la réouverture du compte), un avant-projet de loi est présenté au Conseil des ministres.
Il a été question du maintien du fonds de la pension alimentaire, mais vu les critiques et les plaidoyers des spécialistes, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, l’a renvoyé pour «enrichissement» afin «de mieux cadrer le dispositif, et le rendre plus efficace et plus efficient en matière de gestion du fonds de la pension alimentaire et de la facilitation des procédures pour un accès dans les meilleures conditions».
Samedi dernier, la nouvelle version du texte a été examiné en Conseil des ministres. Présentée par le ministre de la Justice, Abderrachid Tabi, elle comporte de nombreux amendements.
Le plus important est que ce fonds n’est plus sous la tutelle du ministère de la Solidarité mais sous celle de la Justice et la gestion locale de ce fonds est déléguée aux cours de justice. Ce qui devra faciliter la procédure de recouvrement des montants versés par le fonds, auprès des époux débiteurs, d’autant que c’est la seule partie qui est habilitée à se retourner contre le parent défaillant est le magistrat.