Si aujourd’hui on réunissait l’ensemble des témoignages – tous supports confondus – sur la nuit coloniale laissés par toutes les générations passées, on se rendrait compte qu’ils ne fournissent qu’une infime partie de ce qui s’est réellement passé.
Tout au long des soixante années écoulées, très peu d’Algériens ont jugé utile – ou pas pu – de s’exprimer tant sur les sept années de la Guerre de libération que sur la Révolution d’une manière générale.
Ceux qui l’ont fait, malgré tout, ont surtout développé des récits avec une forte dose de subjectivité ; quant aux écrits d’historiens, seuls à même de servir de référence scientifique, ils sont d’une rareté dramatique.
Certes, depuis une trentaine d’années, il y a un léger mieux, puisque de plus en plus de faits sont rapportés par des témoins et des acteurs de l’époque, sans parler des travaux des historiens.
Mais de par l’ampleur de cette Révolution, qui a ébranlé le monde entier, et les exactions subies par tout un peuple durant 132 années, tout cela est nettement insuffisant, en qualité et en quantité : le trou de mémoire est énorme, de l’indépendance à la fin du siècle dernier, au total presque quatre décennies de silences et de demi-silences que les célébrations officielles, rituelles et redondantes, ont vainement tenté de combler.
Malgré cela, au fil du temps, les Algériens ont fini par comprendre que la guerre libératrice n’a pas été faite uniquement d’héroïsme mais traversée, de bout en bout, par nombre de reniements, d’impostures et de cruautés, spécialement au niveau des élites politiques et militaires qui ont eu à conduire la Révolution.
Qu’est-ce qui a rendu possible tout cela ? Pourquoi l’histoire algérienne n’a pas été écrite comme il le fallait et que des pans entiers ont été gommés, et ce, jusqu’ à aujourd’hui ? Les explications sont multiples, la plus évidente réside dans le faible pourcentage d’Algériens lettrés post-indépendance.
Mais même les instruits ne purent le faire, car confrontés à ce grand mal qu’est la chape de plomb politique. Dès l’indépendance, elle a sévi, empêchant nombre d’acteurs de la Guerre de Libération et témoins de la période de laisser des traces de ce qu’ils ont vécu ou vu.
Quant aux chercheurs, ils devaient affronter les interdits dictés par les dirigeants officiellement ou officieusement en fonction à l’époque en matière d’écriture de l’histoire. Dans l’édition, l’université, les médias et dans l’espace public d’une manière générale n’étaient autorisés que les témoignages et les écrits glorifiant les faits d’armes des combattants.
A l’époque du président Boumediène, les noms des acteurs de la Guerre de Libération, dont il contestait la légitimité, ne pouvaient être rendus publics. Plus généralement, même longtemps après, ont été occultées les multiples crises affectant les différentes étapes de la lutte et singulièrement les déboires qu’ont connus les acteurs civils et militaires.
Pour ces derniers, bien que tous regroupés sous la bannière du FLN et de l’ANP, les sept années de guerre étaient loin d’être un long fleuve tranquille : d’un côté l’occupant français, impitoyable et destructeur, de l’autre des luttes intestines entre les chefs de l’intérieur et de l’extérieur et entre les dirigeants de l’intérieur eux-mêmes.
Les divergences se sont sensiblement aggravées depuis le Congrès de la Soummam et ont pris une tournure dramatique à la suite de l’assassinat de Abane Ramdane, de la mort inexpliquée du Colonel Amirouche, des exécutions de plusieurs colonels et de nombreux cadres, des préludes à la guerre fratricide de l’été 1962 qui a favorisé, en début d’indépendance, l’émergence politique d’un clan et sa prise du pouvoir.
A l’image de Mohammed Harbi, quelques historiens se sont évertués à ne pas occulter tous ces aspects de la Révolution algérienne, parmi eux nombre de jeunes chercheurs.
Leur credo est de tenter de dénouer, sans complaisance ni légèreté, le fil tortueux de la lutte anticoloniale, du Mouvement national à la Guerre de Libération, de la montée en puissance de divers partis nationalistes et grandes personnalités politiques, parmi elles Messali Hadj, qui joua un rôle majeur avant son déclin sous les coups de boutoir du FLN.
La Guerre de Libération configura l’Algérie post-indépendante. Six décennies après, le pays reste assoiffé de vérité, celle-ci toujours difficile à décrire et à dire. Toutefois, aujourd’hui, l’écriture de l’histoire a un meilleur champ libre comparativement au passé.
La contrainte majeure reste le libre accès aux archives, un domaine où les autorités actuelles peuvent faire œuvre utile.