Le Président Saïed a annoncé la couleur, début août dernier, lors de la passation de pouvoir entre la cheffe de gouvernement sortante Najla Bouden et son successeur Ahmed Hachani. Saied avait promis de passer à l’acte avec le nouveau chef de gouvernement dans la lutte contre la corruption et l’édification du nouveau pouvoir. Les observateurs avaient alors compris que le Président annonçait le passage à l’application de son concept de gouvernance, après une phase de ratissage du terrain sous Bouden.
Les nouvelles actions d’éclat de Saïed s’articulent autour de visites de terrain, dossiers à l’appui. Suivent des ouvertures d’enquêtes sur les sujets soulevés par le Président, voire des arrestations. Les dossiers de prêts et de leurs garanties sont passés au peigne fin. L’absence de garanties est le principal handicap des prêts «carbonisés» dont le taux tourne autour de 15% dans les banques publiques. Le pouvoir politique a usé de ces manières pour choyer ses sympathisants, d’où l’audit demandé pour les banques afin de voir au clair la situation du système bancaire.
L’ancien directeur général de la Banque de l’habitat est déjà sous les verrous, en plus de plusieurs de ses lieutenants. Dans cette logique, Saïed est allé à la Banque centrale de Tunisie (BCT) et a discuté avec le gouverneur, Marouane Abbassi, des prêts accordés par les banques commerciales à l’Etat. Le président s’est demandé pourquoi la BCT n’accorde-t-elle pas directement des prêts à l’Etat, pour lui éviter le cumul de charges financières, puisque les banques prennent, elles aussi, l’argent auprès de la BCT. Le président a, par ailleurs, nuancé dans l’intervention publique suivante en disant que cela ne veut nullement dire qu’il s’oppose à l’indépendance de la BCT.
Le président a également rendu visite à la banlieue de Mégrine où il est allé dans un supermarché pour s’enquérir de l’approvisionnement en denrées alimentaires. Et comme il a fait une dizaine de kilomètres à pied, histoire de dire qu’il est en bonne forme physique, il s’est arrêté devant une ancienne coopérative de blé, cédée au secteur privé depuis quelques années. La cession ne s’est pas accompagnée de reprise de travail dans l’entreprise située pas très loin de Tunis. Saïed n’a pas manqué de demander le suivi de ce dossier, en suspectant des transactions immobilières sombres derrière cette cession.
Dossiers de recrutement
L’un des dossiers sombres de la décennie écoulée est le recrutement, dans les entreprises publiques, sous différentes formes, qu’il soit concours ou autres. Les statistiques de l’Institut national des statistiques (INS) parlent de près de 250 000 nouveaux embauches, dont 80 000 régularisations d’ouvriers de chantiers. L’administration publique emploie, en ce moment, 680 000 fonctionnaires alors qu’elle ne dépassait pas 460 000 en 2011.
Le bruit a longtemps couru que ces recrutements ont été entachés d’irrégularités. «Il y a plein de diplômes falsifiés et de concours imprégnés d’irrégularités», a insisté un citoyen Lamda auprès d’El Watan. «La réussite au CAPES, permettant d’enseigner, se négocie entre 3000 et 6000 euros, selon les régions», a-t-il ajouté, regrettant qu’il ne dispose pas de pareil montant pour aider sa fille, diplômée depuis quatre ans. A entendre dire que ces dossiers sont ouverts, plusieurs responsables ont peur. Ils craignent avoir été présents et signataires de certains procès-verbaux qui pourraient les impliquer.
D’autres bruits indiquent que la Centrale syndicale (UGTT) est impliquée dans ce gros micmac, concernant quelque chose comme 120 000 dossiers de recrutement, selon les estimations.
«Le syndicat et l’administration se sont divisé les intérêts dans les établissements publics. La direction générale est en charge des marchés publics alors que les syndicats s’intéressent aux recrutements. Et c’est cette implication qui explique le silence douteux des syndicats. Il y a à boire et à manger dans les marchés et les recrutements», explique un expert, préférant l’anonymat. Un décret-loi vient, par ailleurs, d’être signé par le Président Saïed concernant l’audit des recrutements dans la Fonction publique, après le 14 janvier 2011. Ahmed Hachani a fait suivre le décret par un arrêté demandant à tous les ministres de lui fournir une liste nominative des nouvelles recrues.
Une commission d’audit sera formée dans chaque institution pour passer les dossiers au peigne fin. Au ministère de l’Intérieur, la rigueur est double puisqu’il y a l’aspect sécuritaire alors que les islamistes d’Ennahdha avaient mis la main sur ce ministère pendant une décennie.
Le dossier des recrutements est aussi explosif que ceux, déjà ouverts, de l’appareil secret d’Ennahdha ou de l’envoi de plusieurs milliers de jeunes Tunisiens en Syrie. Ce ne sera pas une partie de plaisir.
Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami
La cheffe du PDL Abir Moussi placée sous mandat de dépôt
La cheffe du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi, a été arrêtée mercredi 4 octobre 2023, devant le Palais présidentiel de Carthage où elle était allée déposer une plainte par huissier notaire contre les décrets de lois du président de la République appelant aux prochaines élections régionales. Etant avocate, il a fallu qu’elle soit entendue avant-hier par le procureur de la République, en présence d’un membre du bureau régional des avocats à Tunis. Suite à son audition, le procureur a ordonné un mandat de dépôt à son encontre pour trois chefs d’inculpation qui sont la perturbation de la liberté de travail, le traitement de données personnelles sans autorisation et la violence visant à semer le chaos dans le pays. M.S.