Trois organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme dénoncent des déplacements forcés de population : Le spectre d’une nouvelle Nakba «pire que celle de 1948» à Rafah

15/02/2024 mis à jour: 01:45
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Photo : D. R.

Le plan israélien «visant à déplacer de force les Palestiniens de la dernière ‘‘zone sûre’’ désignée dans la Bande de Ghaza, au moyen d’actes graves de violence militaire, équivaut à une Nakba continue et à un acte génocidaire de transfert forcé», préviennent le Centre palestinien des droits de l’homme et les organisations Al Haq et Al Meezan.

Alors que l’inquiétude ne fait que s’exacerber à propos de la situation à Rafah et les risques dévastateurs d’une opération terrestre d’envergure dans ce gouvernorat du sud de la Bande de Ghaza, trois organisations palestiniennes de défense des droits humains ont alerté sur les conséquences d’une telle invasion sur la population palestinienne.

Pour ces ONG, nous nous trouvons face à un scénario de Nakba de grande ampleur, «pire que celle de 1948», autrement dit une dépossession et une déportation massive de Palestiniens. Dans la mémoire collective palestinienne, il faut dire que la Nakba (littéralement le «désastre») est un traumatisme encore vivace.

Cela réfère à l’exode forcé de centaines de milliers de Palestiniens arrachés à leur terre en 1948. Et cette gigantesque expropriation coïncide avec la «fabrication» de l’Etat hébreu. Ce dernier a été créé le 14 mai 1948, et le 15 mai de chaque année, les Palestiniens commémorent «Al Nakbah» afin de ne jamais oublier leurs racines et continuer à réclamer leur droit au retour.

«La Nakba est le nom qu’ont donné les Palestiniens au fait d’avoir été expulsés en très grand nombre, 800 000 environ, de leurs foyers, durant la guerre qui commence avec le plan de partage, le 29 novembre 1947, et qui finit à l’été 1949 avec les armistices israélo-arabes», explique l’historien Dominique Vidal, spécialiste de la question palestinienne, sur France Culture (article publié sur le site de France Culture le 15 mai 2018 et actualisé le 15 mai 2023).

Le plan de partage de l’ONU obéissait à la résolution 181-11 du 29 novembre 1947, qui prévoyait une solution à deux Etats, l’un arabe, l’autre juif, avec un statut particulier pour Jérusalem et ses lieux saints, placés sous administration internationale.

800 000 Palestiniens arrachés à leur terre en 1948

Dès l’adoption de cette résolution, commence la «guerre d’expulsion des Palestiniens», affirme Dominique Vidal. «Le plan de partage donne une espèce de feu vert à cette opération, qui va ensuite s’accélérer au mois de mars 1948 avec le plan Daleth, le plan D de l’armée israélienne, qui est un plan d’expulsion», poursuit-il.

Ceci sachant que le découpage des territoires, selon la résolution 181, était nettement plus favorable aux Israéliens. De fait, l’ONU attribuait 56% de la Palestine historique à l’Etat juif et les 44% restants à l’Etat palestinien.

D’après l’Encyclopédie interactive de la question palestinienne (palquest.org), «en 1948, trois quarts de million de Palestiniens ont été contraints de quitter leur patrie après que l’écrasante majorité d’entre eux aient été expulsés des villes et des villages occupés par les colons juifs, soit par l’intimidation, soit par la force des armes».

L’Encyclopédie de la question palestinienne détaille : «Certaines estimations indiquent qu’environ 280 000 Palestiniens ont été déplacés vers la rive ouest du Jourdain, 70 000 vers la rive est du Jourdain, 190 000 vers la Bande de Ghaza, 100 000 vers le Liban, 75 000 vers la Syrie, 7000 vers l’Egypte et 4000 vers l’Irak.» «Le reste était réparti entre d’autres pays arabes, et la destination choisie était toujours le lieu le plus proche de leur région d’origine», nous apprend la même source.

«Par exemple, la plupart de ceux qui ont été déplacés vers le Liban étaient originaires de Akka et de Haïfa. Ceux qui ont migré vers la Syrie venaient de Safed, Tibériade et Baysan, tandis que la plupart des habitants des villes de Lod et Ramla se sont établis en Cisjordanie. Et la majorité des habitants des villes du Sud, comme Ashdod, Al Majdal et Bir Sabaâ, ont été déplacés vers la Bande de Ghaza et la ville d’Al Khalil.»

«Un acte génocidaire de transfert forcé»

Les trois organisations palestiniennes de défense des droits humains évoquées au début de cet article sont le Centre palestinien des droits de l’homme, basé à Ghaza (pchrgaza.org), et les organisations Al Haq (alhaq.org) et Al Meezan (meezaan.org).

Dans une déclaration commune publiée lundi 12 février, les trois organisations alertent donc l’opinion publique et les institutions internationales sur les risques réels d’une nouvelle Nakba à Rafah. «Al Haq, le Centre Al Meezan pour les droits de l’homme et le Centre palestinien pour les droits de l’homme avertissent la communauté internationale que les projets d’Israël d’étendre son attaque terrestre sur Rafah entraîneraient un nouveau transfert forcé massif de plus de 1,4 million de Palestiniens actuellement hébergés à Rafah, et leur potentielle déportation massive vers l’Egypte», lit-on dans le communiqué.

Pour les trois organisations civiques palestiniennes, «les projets annoncés visant à déplacer de force les Palestiniens de la dernière ‘‘zone sûre’’ désignée dans la Bande de Ghaza au moyen d’actes graves de violence militaire, équivaut à une Nakba continue et à un acte génocidaire de transfert forcé, causant des dommages corporels et mentaux».

Faisant la genèse des derniers développements à Rafah, les trois ONG rappellent que tout a commencé le 9 février lorsque Netanyahu «avait ordonné aux forces israéliennes et à l’establishment de la sécurité de soumettre au cabinet (de guerre) un plan visant à ‘‘évacuer la population’’ de Rafah».

«Les récentes déclarations de hauts responsables militaires israéliens et une série d’actions militaires sur le terrain suggèrent fortement une invasion terrestre et un assaut imminents contre Rafah», note le document. Immédiatement après les instructions de Netanyahu, une série de raids aériens s’abattent sur la ville frontalière avec l’Egypte. «Dans la nuit du 12 février, Rafah a connu l’une des campagnes de bombardements israéliens les plus meurtrières de ces derniers mois.

En l’espace d’environ deux heures, les attaques israéliennes ont tué 68 Palestiniens, dont 19 enfants et 13 femmes. De nombreux autres corps se trouvent encore sous les décombres», relève le trio d’associations. «Selon les premières informations recueillies par nos enquêteurs sur le terrain, les avions de guerre israéliens ont lancé des dizaines de raids intenses vers 1h49 le lundi 12 février.

Ces frappes aériennes ont persisté pendant environ deux heures, visant au moins 15 immeubles d’habitation, deux mosquées, des terres agricoles et les zones proches de la frontière égypto-palestinienne.

Le bombardement des maisons des quartiers d’Al Shaboura et de Yibna, dans le camp de réfugiés et d’autres quartiers résidentiels de la ville de Rafah s’est produit de manière brutale, prenant les habitants au dépourvu. Des hélicoptères et des armes d’artillerie ont également été impliqués dans les attaques», détaille le récit des attaques commises ce soir là par l’armée d’occupation.

Israël défie la CIJ

Les trois ONG déplorent par ailleurs le fait que l’arrêt de la CIJ du 26 janvier dernier soit bafoué par l’occupant sioniste : «Bien que la Cour internationale de justice ait démontré qu’Israël commet de manière plausible un génocide contre les Palestiniens à Ghaza, et qu’elle ait émis des mesures conservatoires lui ordonnant, entre autres, de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour mettre un terme avec effet immédiat à la perpétration d’actes de génocide, l’occupant a intensifié ses attaques aériennes, terrestres et maritimes dans toute la Bande de Ghaza, y compris à Rafah».

«Selon nos premières informations de terrain, assure le trio d’associations, du 1er au 10 février 2024, les forces israéliennes ont lancé des dizaines d’attaques aériennes sur Rafah, ciblant 17 maisons d’habitation sans avertir les habitants qui s’y abritaient, et bombardant des civils alors qu’ils étaient en mouvement, entraînant la mort de 90 Palestiniens, dont 34 enfants, 18 femmes et un journaliste».

«L’intensification de l’assaut contre Rafah et le transfert forcé ou l’expulsion imminente des Palestiniens cherchant refuge dans le sud de la Bande de Ghaza entraîneront des dommages irréparables», préviennent les militants palestiniens.

Ces organisations civiques n’ont pas manqué d’attirer l’attention en outre, dans leur communiqué, sur les conditions de vie épouvantables de la population civile massée à Rafah : «Plus de 1,4 million de personnes se réfugient à Rafah dans des conditions inhumaines, au milieu des intenses bombardements israéliens. La plupart des Palestiniens de Rafah vivent dans des abris de fortune, des tentes.

Ils endurent des conditions hivernales rigoureuses et dorment dehors. Les Palestiniens de toute la Bande de Ghaza ont fui vers Rafah sur ordre de l’armée israélienne, les assurant que Rafah est une zone sûre. La population de ce gouvernorat, qui compte environ 270 000 personnes, a augmenté pour abriter au moins cinq fois sa population normale en quelques semaines.»

Les déplacés qui ont migré vers le sud en quête d’un refuge se rendent vite à l’évidence que Rafah n’a rien d’une «safe zone». «Il n’y a aucun endroit sûr à Ghaza», tranchent les trois organisations, avant d’ajouter : «Le ciblage intensifié de Rafah survient alors que l’armée israélienne continue de vider la ville de Ghaza et de déplacer de force ses habitants vers le sud, vers Deir Al Balah et Khan Younès».

«70% des Palestiniens de Ghaza sont des réfugiés de 1948»

Les organisations juridiques palestiniennes mettent en garde : «Nous prévenons que les attaques intentionnelles et illimitées d’Israël contre Rafah entraîneront la mort de milliers de civils palestiniens à une échelle sans précédent au cours des quatre mois écoulés de la campagne militaire génocidaire d’Israël contre Ghaza.»

Le CPDH et ses partenaires sont formels : «Cela forcera ceux qui survivent à être expulsés de Ghaza vers l’Egypte.» Les organisations civiques citent les précédents serbes dans l’ex-Yougoslavie, qui ont valu à Slobodan Milosevic et d’autres dirigeants sanguinaires de son acabit d’avoir été traduits devant le TPI, entre autres, pour «déplacements forcés de population» et «nettoyage ethnique».

«Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a expliqué que le ‘‘transfert forcé’’ (de population, ndlr) est une ‘‘considération pertinente’’ lors de l’évaluation de l’intention génocidaire», soulignent ces ONG.

Et d’en déduire : «Forcer les Palestiniens à aller plus au sud, à Rafah, et maintenant annoncer le déplacement forcé des Palestiniens de Rafah, que ce soit à l’intérieur de petites poches de Ghaza ou bien vers l’Egypte, sans les nécessités de base pour survivre, est une preuve supplémentaire de l’intention génocidaire d’Israël.»

«Le déplacement forcé et massif des Palestiniens de Rafah constitue une Nakba continue du peuple palestinien», dénoncent les trois organisations. «En seulement quatre mois, révèlent-elles, les actes génocidaires de meurtres et de déplacements commis par Israël ont dépassé ceux de la Nakba entre 1947 et 1949 lorsque environ 15 000 Palestiniens ont été tués et 800 000 expulsés.»

Le Centre palestinien des droits de l’homme, Al Haq et Al Meezan mettent l’accent sur un point important dans leur communiqué en précisant qu’une bonne partie de la population de Ghaza est issue de la Nakba de 1948, et la première génération de Ghazaouis à avoir subi le colonialisme israélien porte dans sa chair les séquelles de ce premier arrachement.

Et les voici sur le point de vivre une autre déportation traumatisante. «La majorité des Palestiniens de Ghaza, soit environ 70%, sont des réfugiés auxquels Israël refuse leur droit au retour depuis la Nakba de 1948», affirment les auteurs du document, avant de relever : «Les politiques israéliennes depuis 1948 empêchent les réfugiés palestiniens du monde entier de rentrer chez eux.»

Nous sommes dès lors face à une colonisation de peuplement caractérisée : «L’occupation militaire illégale en cours par Israël, l’apartheid et le déplacement forcé des Palestiniens sont inhérents à son entreprise coloniale et visent à détruire les Palestiniens en tant que groupe, en violation flagrante du droit inaliénable du peuple palestinien au retour et à l’autodétermination», martèlent les organisations civiques palestiniennes.

«Le refus du droit au retour des réfugiés palestiniens depuis des décennies, associé à la dernière campagne visant à nettoyer Rafah de 1,4 million de Palestiniens, est la preuve du génocide israélien contre le peuple palestinien et de la poursuite de la Nakba», insistent le Centre palestinien des droits de l’homme et les autres ONG.

Et d’appeler «de toute urgence la communauté internationale à faire face aux dangers réels et imminents d’expulser 1,4 million de Palestiniens, déjà dépossédés et déplacés à plusieurs reprises, de l’autre côté de la frontière vers l’Egypte, dans un acte final de colonisation et d’effacement colonial irréversibles». 

 

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