Depuis 50 ans, une cinquantaine de films (fictions) sur le conflit israélo-palestinien ont été réalisés, dont l’immense majorité par des producteurs occidentaux.
Mais avec ce qu’il se passe en Palestine, on ne peut ne pas citer Munich, film de Steven Spielberg en 2005, adaptation du livre Vengeance de George Jonas, structuré en deux phases qui résonnent avec l’actualité, d’abord les Jeux olympiques de 1972 à Munich où des Palestiniens de l’organisation Septembre noir prennent en otage onze athlètes de la délégation israélienne, ensuite la riposte, l’opération Colère de Dieu, le Créateur étant déjà interpellé à l’époque, à travers l’histoire d’un agent du Mossad chargé de traquer les responsables et de les éliminer un par un, dont Mohamed Boudia.
Dans l’histoire officielle, il est dit que c’est le groupe de Palestiniens qui a tué les otages, alors qu’en réalité, le commando avait pour objectif de les échanger contre 234 prisonniers palestiniens emprisonnés en Israël et en Allemagne, dont 2 Allemands d’ailleurs, Andreas Baader et Ulrike Meinhof, militants d’extrême gauche, mais l’assaut imprécis des forces allemandes a causé la mort des otages, de 5 membres du commando et de 2 policiers allemands, ce qui n’est pas connu du grand public.
Tout comme Hamas aujourd’hui (il demande la libération de 1000 prisonniers palestiniens), il s’agissait d’otages comme monnaie d’échange sur le vieux principe de guerre, un otage mort ne sert à rien. La coïncidence est d’autant plus grande, qu’un mois après la sortie du film Munich, le 25 janvier 2006 se tenaient les élections palestiniennes où le Hamas, créé et encouragé par Israël pour éliminer le Fatah, laïc, de Yasser Arafat, prenait la tête de Ghaza, ce même groupe qui fera sa réapparition 17 ans plus tard par l’attaque du 7 octobre 2023, servant de prétexte à Israël pour organiser le plus grand massacre de civils du XXIe siècle, avec peut-être à terme une 3e guerre mondiale.
Autre résonance avec aujourd’hui, Golda Meier, d’origine ukrainienne, apparait dans le film et affirme en tant que Première ministre à l’époque que «la paix doit être mise de côté lorsque l’on lutte contre le terrorisme et qu’Israël doit montrer au monde sa dureté».
Mais quel est le message du film ? La scène finale l’illustre plus ou moins, quand le personnage principal marche à Manhattan, New York, et que la caméra monte lentement vers les buildings pour finalement s’arrêter sur les tours du World Trade Center, celles qui ont été détruites 4 ans plus tôt. Ici, le cinéaste fait directement un parallèle entre les représailles d’Israël suite à 1972 et la riposte des Etats-Unis suivant le 11 septembre 2001, avec cette guerre contre l’Irak alors qu’aucun Irakien n’était associé aux attentats. Clin d’œil à la vision du président américain George W. Bush et peut-être réflexion personnelle, la vengeance n’est peut-être pas la solution pour lutter contre le terrorisme mondial.
Dans tous les cas, Steven Spielberg aura choisi Munich comme titre, berceau du nazisme allemand, et préparé son film avec d’infinies précautions, demandant conseil à Dennis Ross, négociateur américain au Proche-Orient sous Bill Clinton, à Clinton lui-même, qui avait même engagé un conseiller politique du Premier ministre Ariel Sharon, Eyal Arad, et en tant que juif, d’origine ukrainienne aussi, a même pris l’avis de son propre rabbin.
RÉACTIONS
A la sortie du film, Ehud Danoch, consul général d’Israël à Los Angeles, berceau d’Hollywood, critique le fait de mettre Israéliens et Palestiniens dans le même panier par rapport à l’utilisation de la violence comme moyen d’arriver à ses fins alors que «l’un est un gouvernement respectable et l’autre une organisation terroriste», soit la même rhétorique qu’aujourd’hui pour justifier les massacres en Palestine. Si Zvi Zamir, le chef du Mossad à l’époque, critique aussi le film en rappelant que les personnages principaux n’ont jamais existé dans la réalité, à l’inverse, le film a été applaudi par Abou Daoud, le chef du commando palestinien de Munich : «Je ne l’ai pas vu», raconte-t-il en 1975, «mais un ami m’en a raconté les grandes lignes ; la façon dont est décrit le groupe israélien chargé de venger Munich est excellente. Spielberg les montre tels qu’ils étaient vraiment, un gang de criminels sans morale, de véritables mercenaires envoyés à travers le monde par Golda Meir pour tuer des innocents». Mais comment le chef de Septembre noir a-t-il échappé à la mort ?
En réalité, cet instituteur né à Jérusalem fut bien arrêté à Paris en 1977 suite à deux demandes d’extradition d’Israël et d’Allemagne pour sa responsabilité dans le massacre de Munich, mais après négociations, il avait été expulsé par la France vers Alger où il sera libéré, mort à Damas en 2010 de maladie, échappant au passage à plusieurs tentatives de meurtre du Mossad.
Car la vérité sur les attentats de Munich a été révélée bien plus tard, Eitan Haber, porte-parole du Premier ministre Rabin et journaliste, écrit dans le quotidien Yediot Aharanoth que «les Allemands, encouragés par le gouvernement israélien, n’avaient jamais eu l’intention de libérer les otages», et ce n’est qu’en 1974 qu’il sera clairement établi que ce sont les snipers allemands qui ont tiré et non les Palestiniens, ce que l’autopsie des corps aurait pu prouver, autopsie refusée par les Allemands. Mais pour revenir aux réactions après le film, le même Abou Daoud et le chef du Mossad Zvi Zamir se sont rejoints, ironie du sort, se plaignant publiquement de ne pas avoir été consultés par Spielberg avant le tournage. Le scénariste Tony Kushner, par ailleurs journaliste lauréat du prix Pulitzer, est revenu après sur son travail d’écriture : «Cette histoire est bourrée de paradoxes et de contradictions.
Du fait qu’elle a trait à une opération secrète, nous ne disposons d’aucune information totalement fiable et nous n’en n’aurons sans doute jamais. Nous nous sommes donc octroyé le droit d’inventer et d’aborder nos personnages sous un angle plus humain. Il me semble que nous donnons ici un exemple très scrupuleux de fiction historique».
L’ALGERIE DANS LE FILM
Tourné en Hongrie, Malte et la France, le tournage n’a pas été simple, Steven Spielberg ayant reçu de nombreuses menaces de mort, il était entouré en permanence de gardes du corps, ainsi que ses principaux collaborateurs. Mais si Mohamed Boudia n’est pas représenté dans le film, on retrouve dans le casting d’autres Algériens, notamment Mahmoud Zemmouri, réalisateur algérien, Djamel Barek, Mostefa Djadjam, autre réalisateur et aussi acteur qui a notamment joué dans Salut cousin de Merzak Allouache et Lyes Salem qui apparaît sous les traits d’un garde du corps arabe.
Quelques mois après la prise d’otage de Munich, la guerre du Kippour, à laquelle l’Algérie a participée, commençait, et c’est dans la suite de cette vengeance israélienne que Mohamed Boudia, alors à la tête du Front populaire de libération de la Palestine pour les opérations extérieures, est assassiné en 1975 à Paris par l’explosion de sa voiture, suspecté d’être dans l’organisation des attentats de Munich. Riposte de la riposte, la radio palestinienne au Caire annonce que le colonel Alon a été exécuté en représailles à l’assassinat de Mohammed Boudia, par deux roquettes tirées sur un jet d’Israël à Paris, attentat revendiqué par un groupe appelé Commando Mohamed Boudia.
Mort, le successeur de l’Algérien au même poste sera Ilich Ramírez Sánchez, alias Carlos, mais aucun film sur Mohamed Boudia, moudjahid enfant de La Casbah, militant algérien révolutionnaire, alias Bertin Roland, Betanschan, Abou Khalil, Abou Khaled, Rodrigue ou «l’homme aux cent visages», selon l’expression de Golda Meir, n’a depuis été réalisé en Algérie.
Il y a bien eu des documentaires mais aucun long métrage, pas même une pièce de théâtre alors que Boudia était aussi un homme de théâtre et dramaturge, directeur d’un théâtre parisien au moment de son assassinat par le Mossad. Spielberg a donc gagné. Pour le moment. Mais qui a gagné la guerre entre Israël et la Palestine ? Elle n’est pas terminée, donc personne ne peut le savoir. Pas même Spielberg.
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