Terminus Babel est un roman qui raconte l’histoire d’un livre condamné au pilon.
Ce livre, portant le nom de Ktab, (livre en arabe algérien) est sur le point de subir la machine implacable de la destruction. Par une sorte de cris ou de songes désespérés, il nous dévoile à la fois sa vie éphémère et ce monde désarticulé qui phagocyte tout sur son passage, y compris des œuvres réputées pour être indélébiles.
Gisant au fin fond d’une bibliothèque, en compagnie d’autres, dont des plus célèbres, comme Anna Karénine de Tolstoï ou Les possédés de Dostoïevski, Critique de la raison pure de Kant ou encore La Cité de Dieu de Saint Augustin, tous interdits de vie, il déroule dont des allures de testament son existence faite pourtant de lecteurs et lectrices en abondance, de récompenses et de gloire. Il se rappelle de ce bonheur idyllique de faire frissonner ou de faire soupirer des lectrices (comme Aida) ou des lecteurs dans l’intimité d’une chambre ou d’un salon. Voilà qui se retrouve au fin fond de la cave d’une bibliothèque. Voilà qui se retrouve en compagnie des rats, ces rongeurs de la cellulose, laissant derrière lui son épopée glorieuse.
Ce roman de l’écrivain et journaliste Mustapha Benfodil, sorti aux éditions Macula, en France, et édité chez Barzakh, en Algérie, qui sonne comme une oraison funèbre du papier, nous rappelle ce chapitre dans Notre Dame de Paris de Victor Hugo consacré à la fin des arts plastiques comme mode d’expression avec l’invention de l’imprimerie. Il se compose également d’une série d’autres scènes sur le thème du livre. Chacun de ces chapitres peut se distinguer comme une brassée à part.
Les multiples autodafés à travers l’histoire, les interdictions et plein d’autres (morts sous différentes formes du livre) pour la seule tentation du silence ou de l’ignorance. Dans une écriture spontanée, presque sous forme de graffiti, ce récit nous décrit le voyage de ce livre dans la tête de l’écrivain d’abord avant de naître dans une imprimerie.
Il nous donne son histoire vivante, la sève d’où il est né, la ville, (Alger même si tout commença à Marseille) toutes les promesses de ses lendemains jusqu’à son anéantissement. Le texte s’abandonne à nous décrire toutes ces spéculations quasi-mystiques de la création littéraire.
Ces moments d’hésitation, d’espérance, de réflexion, d’angoisse mais aussi du bonheur de la construction du roman. Le récit s’enfonce dans une rétrospection qui ressemble à des fouilles archéologiques. Des bouts de papiers retrouvés, des souvenirs sont subitement et obstinément projetés pour construire ce roman. Des fragments divers sont mis en mouvement. «Transformer tout ce chahut en tumulte organisé».
Des phrases simples aux compositions les plus subtiles avec l’exaltation ludique d’un écrivain ramassant des fragments d’histoires venus des horizons multiples. Des signes, des cris, des abréviations diverses, des scènes démultipliées qui inscrivent ce roman dans des dispositions vertigineuses pouvant déranger nos habitudes de lectures mais sans délacer pour autant le fil conducteur.
Des jeux de mots, des clins-d ’œil à l’histoire, à l’actualité, des acronymes, des titres de livres célèbres parfois, des noms d’auteurs également, des personnages de roman (comme Joseph K de Kafka ou Stephen Dedalus de James Joyce) rythment le souffle du texte. Mais rien pour autant semble pouvoir arrêter la marche implacable du destin de ce livre. Même la tentation de se réinventer sous d’autres formes à la fin est non seulement vaine mais teintée d’amertume et de douleur.
Toujours avec cette même tendresse humaine, dans ces derniers jours, ce livre vivra une fin bouleversante qui nous rappelle étrangement des scènes d’échafauds. Un livre à lire absolument.
Par correspondance particulière Lounès Ghezali