Après l’Egypte, l’Algérie est le plus grand importateur d’Afrique du Nord de bovins destinés à l’abattage et à la production laitière. En effet, chaque année, plus de 100 000 têtes, en moyenne, sont importées, dont des reproducteurs, des bovins d’engraissement et d’autres de boucherie.
Celui qui ne mange pas à la table mange à l’étable», dit un célèbre proverbe français. Mais, aujourd’hui qu’il a été décidé, le 23 septembre courant, par le ministère de l’Agriculture et du Développement rural de la suspension, avec effet immédiat, de l’importation de bovins vivants en provenance de la France, nos magnats de l’import/import activant dans la filière et qui, pendant de bien longues années, se voyaient dans les deux, se contenteront de manger à la table, les portes de l’étable française leur étant désormais closes.
Ces hommes d’affaires qui, sous le règne de la Issaba, ont jeté leur dévolu sur la filière d’importation de taurillons d’engraissement et de génisses pleines, vont devoir mettre à jour et penser à affiner les anciens procédés destinés à engraisser leurs bénéfices.
Cette mesure de suspension, à titre «préventif» et «urgent», faut-il le souligner, intervenant à la suite de l’apparition en France ainsi que dans d’autres pays de l’Union européenne comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal, de la maladie hémorragique épizootique (MHE), «pathologie virale potentiellement mortelle pour le bétail», selon l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), a chamboulé tous les calculs au sein de la communauté des importateurs de bovins vivants, au nombre de plus d’une centaine, dont deux basés à Alger et Boufarik, contrôlant, à eux seuls, 20 à 30% de parts de marché. Car gros, très gros, l’enjeu l’est à bien des égards.
Après l’Egypte, l’Algérie est le plus grand importateur d’Afrique du Nord de bovins destinés à l’abattage et à la production laitière. En effet, chaque année, plus de 100 000 têtes, en moyenne, sont importées, dont des reproducteurs, des bovins d’engraissement et des bovins de boucherie. D’après des sources bien au fait des rouages du marché, les génisses pleines sont principalement issues d’Allemagne, de France, de Suisse, de la Hollande et d’Autriche.
Les races les plus sollicitées et autorisées à l’importation sur la base d’une dérogation et suivant un cahier des charges, étant la Holstein, les pies noire et rouge, la Montbéliarde et la Normande, (4 à 7 mois de gestation). S’agissant des bovins de boucherie, des dizaines de milliers de taurillons d’engraissement entre le charolais, l’Aubrac et le Limousin sont achetés à l’étranger. Toutefois, la France en a toujours été le fournisseur attitré. Environ 97% des expéditions en valeur -– plus de 180 millions de dollars en 2022 – étaient assurées par des éleveurs, des revendeurs et autres intermédiaires de l’Hexagone.
Les larrons à la grande foire de la vache laitière
De quoi faire galoper aussi, mais de l’autre côté de la Méditerranée, les larrons de l’import/import vers cette grande foire de la «vache laitière» : Pour les broutards, «oscillant entre 1800 et 2200 euros par tête, les prix déclarés par certains importateurs pouvaient atteindre jusqu’à 2500 euros», nous a-t-on révélé. Pis, «avec la complicité de leurs fournisseurs européens, nombre d’entre eux n’hésitaient pas à user de subterfuges frauduleux pour se conformer à certains critères zootechniques et généalogiques exigés à l’importation».
Le même procédé frauduleux s’appliquait aux bovins de boucherie. S’évaluant au poids, 3 à 3,10 euros/kg, soit 1000 à 1500 euros par tête, le prix facturé pouvait dépasser les 3,40 euros/kg. Mieux encore : les prétendus éleveurs, importateurs, n’auraient pas hésité à introduire en Algérie des broutards et vaches en fin de vie ou ayant été dépistés porteurs de graves maladies comme la tuberculose bovine dans le pays d’origine.
Les traces de tests à la tuberculine sur le cou de l’animal étant préalablement camouflées au port de départ. «Si le problème de la production de viande bovine et de lait de vache persiste encore en Algérie, c’est entre autres à cause des pratiques frauduleuses à l’importation ; non-conformité aux conditions zootechniques et généalogiques. Une vache laitière étrangère, payée au prix fort, c’est-à-dire celui déclaré par l’importateur, est censée produire une trentaine de litres de lait par jour sur une période d’au moins 10 mois. Arrivée chez l’éleveur algérien, cette même vache en produit, à peine, 5 à 7 l/j, et ce, outre le taux de mortalité excessivement élevé.
Une vache laitière peut vivre jusqu’à 20 ans à l’état naturel. Le bovin de lait importé meurt souvent au bout de 3 à 5 ans. Certes, il y a beaucoup de facteurs qui peuvent expliquer le fort taux de mortalité et la faible productivité (le climat, l’alimentation, les conditions de vie…) mais le problème majeur se situe dans le non-respect des conditions sanitaires et zootechniques d’importation», nous avait précédemment assuré un grand éleveur de bovins de lait de la région est du pays.
D’où l’instauration de nouvelles conditions sanitaires et zootechniques à l’importation de bovins reproducteurs et d’engraissement, manière de mettre un peu d’ordre dans l’étable. En effet, vers la fin 2019, la direction des services vétérinaires du ministère de l’Agriculture ont mis en place deux nouveaux cahiers des charges en vertu desquels les bovins reproducteurs, femelles laitières, de races pures «doivent avoir à l’arrivée en Algérie un âge inférieur ou égal à 34 mois et un poids minimal de 550 kg, à l’exception des races jersey et tarentaise qui est de 350 kg».
D’autres critères zootechniques y ont, en outre, été introduits et concernent, notamment, les races autorisées à la gestation et à la lactation. Quant à eux, les bovins d’engraissement destinés à l’abattage, devront avoir, à leur arrivée en Algérie, un âge inférieur ou égal à 14 mois et un poids maximal de 450 kg. Conjointement signés par l’importateur et l’exportateur, les deux nouveaux cahiers des charges, faut-il le noter, étant, depuis, exigés parmi les documents soumis dans toute demande de dérogation sanitaire d’importation.
L’étable irlandaise, une option ?
Et après l’annonce de la suspension des importations de bétails vivants en provenance de la France, la longue valse à la française des chasseurs de bonnes affaires de la filière des importations bovines devrait changer de partition et passer à la «valse Le dénicheur». Car il va leur falloir dénicher la manœuvre la plus efficace, susceptible de les aider à contourner les la décision du ministère de l’Agriculture.
Pour y parvenir, ils pourraient, éventuellement, compter sur leurs partenaires traditionnels, des courtiers de tous bords, au savoir-faire incontestable, gravitant autour du port de Sète. Ce port français dans la région de l’Hérault, dont 80% de l’ensemble des expéditions annuelles de broutards et de génisses laitières -– plus de 120 000 têtes bon an mal an – débarquaient en Algérie, devrait lui aussi mobiliser ses troupes pour explorer les moyens à mettre en œuvre afin d’amortir le lourd impact de ladite décision algérienne.
Le marché irlandais pourrait être l’une des options salutaires puisque au début 2020, un certificat sanitaire autorisant les importations de bovins irlandais destinés à l’abattage avait été signé par nos autorités et ce, en marge d’une mission commerciale dirigée par le gouvernement irlandais. Ce dernier ayant déjà obtenu, en 2019, le feu vert de son homologue algérien pour l’exportation de bovins d’engraissement et de reproduction. D’autres facteurs pourraient plaider en faveur du cheptel irlandais.
En 2023, le pays, leader dans l’élevage intensif, recensait, en 2023, 6,5 millions de vaches pour 5 millions d’habitants, d’après les données de Trade Map, une plateforme couvrant les flux et les indicateurs commerciaux de plus de 220 pays et territoires dans le monde.
Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et atteindre ainsi ses objectifs climatiques d’ici à 2030, rapportent en juin dernier des médias locaux, les autorités irlandaises auraient choisi de se débarrasser de «quelque 200 000 vaches en trois ans ; les bovins seraient de gros émetteurs de méthane, le gaz à effet de serre le plus néfaste pour la planète, après le dioxyde de carbone».
Par ailleurs, mais toujours au sujet des répercussions de la suspension des importations de cheptel provenant de la France, c’est la filière logistique tricolore où trône le leader européen du transit et du stockage d’ovins et de bovins vivants, la Société d’exploitation du parc à bestiaux (Sepab port de Sète), en l’occurrence, qui en pâtirait également. D’autant que, comme nous l’expliquait le défunt Khelil Rouainia, un grand éleveur et expert agricole de la wilaya de Souk Ahras, l’un des plus grands bassins laitiers d’Algérie, «la quasi-totalité des importateurs algériens ou d’autres pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient qui achètent les bovins d’un peu partout en Europe passent obligatoirement par le port de Sète et la société Sepab, une coopérative française d’éleveurs de bovins et d’ovins.
Les bateaux à bestiaux vivants annuellement traités se comptent en centaines. Les cargo-bétaillères qui partent vers l’Afrique du Nord dont l’Algérie sont, quant à eux, sous le diktat d’une poignée d’armateurs libanais, turcs et syriens. Les grands cargos peuvent transporter 5000 à 10 000 bêtes. Les plus petits, 1000 à 1500», précisait notre source. Et les frais du voyage ? «Les yeux de la tête ; le transport de 1000 têtes depuis le port de Sète vers Annaba me revient à pas moins de 50 000 euros, et ce, outre les frais du transport par route depuis le pays d’origine vers Sète. C’est de l’argent fou qui est en jeu, surtout lorsqu’il s’agit d’Algériens et de l’Algérie. Le port de Sète est devenu, en quelque sorte, la bourse et la plateforme de négoce de bovins et ovins de toute l’Europe», fera savoir la même source.