Suppression du fonds d’aide aux techniques et aux industries cinématographiques : L’inquiétude des professionnels du cinéma

21/03/2022 mis à jour: 02:37
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Scène du film culte Omar Gatlato

Des professionnels du cinéma mènent depuis quelques jours une campagne sur les réseaux sociaux pour exprimer leur inquiétude et alerter l’opinion après la suppression du FDATIC, le Fonds d’aide aux techniques et aux industries cinématographiques qui était jusque-là l’unique source de financement institutionnel du cinéma dans notre pays. 

Au printemps 2021, on s’en souvient, les gens de la profession étaient déjà montés au créneau devant l’imminence de la dissolution de ce même fonds. Un «collectif pour la sauvegarde du FDATIC» avait même été créé et avait saisi le Premier ministre, Abdelaziz Djerad à l’époque, à travers une lettre ouverte. «Nous, professionnels du cinéma, auteurs, techniciens, comédiens, réalisateurs et producteurs, sommes inquiets devant le projet de loi de finances 2021 visant la dissolution de 60 fonds, dont le FDATIC qui serait appelé à disparaître au 31 décembre 2021», déplorait ce collectif. La lettre ouverte était datée du 26 mars 2021. Près d’une année après ce premier SOS, le FDATIC n’est plus. Sa disparition est actée. Et c’est une très mauvaise nouvelle, et pas que pour les faiseurs de films. 

«Monsieur le Président, notre inquiétude est grande»

Dans une nouvelle lettre ouverte adressée cette fois au chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, l’APAC, l’Association des producteurs algériens de cinéma, s’alarme : «Monsieur le président de la République, le 1er janvier 2022, nous avons eu confirmation de la dissolution de la seule aide publique à l’activité cinématographique.

 Le FDATIC a, en effet, définitivement cessé d’exister, sans qu’aucun mécanisme de remplacement n’ait été mis en place. En dépit d’un environnement défavorable et de l’absence d’un marché pour nos films, notre secteur n’est parvenu à se maintenir en activité que grâce à cette précieuse aide publique et à l’engagement de fragiles opérateurs privés, qui risquent aujourd’hui de disparaître définitivement.»

 L’APAC regrette qu’«au moment où nous nous attendions à la diversification et à la multiplication des aides publiques au cinéma, à travers la création de nouveaux fonds d’aide à des échelles régionales, à une incitation à l’investissement privé dans ce secteur (à travers des mesures fiscales et parafiscales motivantes) ou à l’élaboration de nouveaux cahiers des charges pour les chaînes de télévision étatiques et privées, leurs faisant obligation de contribuer à la production cinématographique, nous assistons malheureusement à la dissolution du seul fonds d’aide publique existant». 

Ces producteurs sont formels : «Sans stratégie clairement définie (en termes de formation, de production, de distribution, de promotion, etc.), le cinéma national a peu de chances d’atteindre les objectifs que vous lui avez assignés. Monsieur le Président, notre inquiétude est grande. 

A ce jour, nous n’avons reçu aucune réponse rassurante de la part de notre tutelle quant à la garantie de la continuité de la production cinématographique.» Et d’exhorter M.Tebboune à prendre en personne ce dossier en main pour sauver un secteur véritablement en détresse. «Nous nous adressons à vous personnellement, Monsieur le président de la République, non seulement en tant que plus haute autorité de l’Etat, mais aussi en tant que défenseur du cinéma national, puisque vous avez souvent appelé, dans vos discours, à son développement», souligne l’APAC. «Sans soutien étatique à la production cinématographique, sans mise en place urgente de formation et de remise à niveau des professionnels du cinéma, sans mise en place de mesures réglementant la diffusion de nos films (chaînes de télévision privées et publiques, plateformes, salles de cinéma et autres), notre secteur risque de se fragiliser davantage, voire de disparaître du paysage culturel algérien», préviennent les auteurs. 

«Le cinéma est un puissant soft power»

Comme nous le disions, sur les réseaux sociaux, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer la suppression du FDATIC en mettant en garde contre les graves conséquences du désengagement de l’Etat du financement de la production cinématographique. 

La campagne est assortie du hashtag #Tahia_Ya_Cinéma, un slogan inspiré de Tahia ya Didou, le film culte de Mohamed Zinet. «L’Algérie est le seul pays au monde qui supprime les aides publiques au cinéma», s’indigne Bachir Derrais, réalisateur du film Larbi Ben M’hidi dans un post publié ce dimanche 20 mars sur Facebook. «Même aux USA, l’ex-directeur de la CIA a reconnu que pour des raisons de politique étrangère, son agence a dû financer plus de 800 films américains durant les 20 dernières années», soutient-il. 

Et le cinéaste et producteur de faire remarquer : «Pendant la décennie noire, il y avait le terrorisme, la crise économique, l’endettement du FMI, le pétrole se vendait à 9 dollars… Mais les pouvoirs publics n’ont pas osé toucher aux subventions (allouées au secteur du cinéma, ndlr), et plusieurs films ont été tournés : La Montagne de Baya de Azzeddine Meddour, La colline oubliée de Abderrahmane Bouguermouh, Machaho de Belkacem Hadjadj, Rachida de Yamina Bachir Chouikh, Le démon au féminin de Hafsa Zinaï Koudil, Made in de Moussa Haddad, et beaucoup d’autres...» Yanis Koussim, l’un des plus ardents animateurs de cette campagne, s’est fendu pour sa part d’un texte émouvant sur sa page Facebook. «Je suis Yanis Koussim, réalisateur, scénariste, et producteur par obligation depuis peu», écrit-il dans une tribune publiée le 18 mars. Il poursuit : «Je me souviens exactement du jour où j’ai décidé de faire du cinéma. C’était en mars 1996, j’avais 19 ans. J’ai fait mes premiers courts quelque temps plus tard.» Et de noter : «Depuis le 31 décembre dernier, mon métier est menacé. Il n’y a plus de fonds de soutien public au cinéma. Sans ce fonds, le FDATIC, notre corporation, telle que nous la connaissons, est vouée à la disparition. 

Les films de ces 20 dernières années qui vous ont plus, amusés, émus, interpellés, n’existeront plus. Ces films qui ont fait connaître notre pays, nos histoires, dans le monde, ne pourront plus être faits.» L’auteur de Khouya et de Alger By Night insiste sur la dimension sociétale de ce médium fantastique qu’est le 7e art : «Le cinéma est un puissant soft power, en plus d’être un incroyable générateur de richesses quand on sait y faire», plaide-t-il, avant d’ajouter : «Et si nous ne racontons pas nous mêmes nos histoires, d’autres le feront à notre place. Nous n’avons jamais le bon rôle dans les histoires des autres. Le cinéma d’une société donnée est son récit, son épopée. Sans le cinéma, une société ne peut pas se regarder en face.»

 Et de lancer : «Fermez les yeux une seconde et imaginez l’Algérie sans ses films, sans Tahia ya Didou, l’Inspecteur Tahar, Nahla, La Bataille d’Alger, Carnaval fi dachra, Le clandestin, Omar Gatlato, Bouamama, L’opium et le bâton, Rachida, La citadelle, Machaho, etc.» «Aujourd’hui, conclut Yanis Koussim, pour le sauver de la disparition, le cinéma Algérien a besoin de la mobilisation de tous. 

Ceux qui le font, mais également ceux qui le financent, et surtout ceux sans qui il n’existerait pas, autrement dit vous, le public. Tahia_Ya_Cinéma !» 

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