Censé répondre aux pressions croissantes des principaux alliés d’Israël, en particulier les Etats-Unis, pour définir les contours d’une sortie de crise à Ghaza, le document élaboré par le bureau de B. Netanyahu pose des conditions très strictes, en désaccord avec les hypothèses envisagées par les Etats-Unis pour la fin de la guerre.
Après plus de quatre mois d’une guerre sanglante et barbare menée contre les Palestiniens de Ghaza, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a soumis, vendredi 23 février, une première esquisse de ce que pourrait être le «jour d’après» à Ghaza. Il s’agit d’un plan aussi cynique qu’insensé, où Israël maintiendrait effectivement sa présence militaire dans la Bande de Ghaza ainsi qu’en Cisjordanie pour une durée indéterminée.
En filigrane se lit la détermination israélienne à poursuivre les opérations militaires officiellement «à la recherche de membres du Hamas», la création d’une «zone tampon» ainsi que la fermeture de l’Unrwa – dans le viseur d’Israël depuis des années – et le bouclage de la frontière avec l’Egypte.
Censé répondre aux pressions croissantes des principaux alliés d’Israël, en particulier les Etats-Unis, pour définir les contours d’une sortie de crise à Ghaza, le document élaboré par le bureau du Premier ministre israélien pose des conditions très strictes, en désaccord avec les hypothèses envisagées par les Etats-Unis pour la fin de la guerre et immédiatement rejetées aussi bien par le Hamas que par l’Autorité palestinienne.
Le fait est qu’il ne s’agit en aucun cas d’un plan de paix mais d’un prélude à une réoccupation de la Bande de Ghaza ainsi que d’une prise de contrôle de la Cisjordanie sous couvert d’impératifs sécuritaires pour Israël.
Comme le précise le préambule du document, la mission immédiate de l’armée israélienne reste inchangée, axée sur ce qui est nommé «la destruction des capacités militaires et des infrastructures administratives du Hamas et de ses alliés du Jihad islamique, ainsi que sur le retour des otages». En filigrane, on perçoit la détermination d’Israël à poursuivre les opérations militaires pour – dit-on – «traquer les membres du Hamas».
Il est aussi envisagé d’instaurer «la prohibition absolue de toute structure militaire au-delà de ce qui est nécessaire pour maintenir l’ordre public», précisant que «la responsabilité pour mettre en application cet objectif et exercer un contrôle à ce sujet dans le futur sera du ressort d’Israël».
Aussi, les affaires civiles de Ghaza seront-elles gérées, selon ledit plan, par des «fonctionnaires locaux ayant une expérience administrative» et qui ne sont «pas liés à des pays ou à des entités qui soutiennent le terrorisme». Le projet reste néanmoins vague, ne mentionnant pas l’Autorité palestinienne, mais n’excluant pas non plus explicitement sa participation à la gestion de Ghaza.
Dans la mesure où les fonctionnaires du Hamas ont géré la Bande de Ghaza pendant de longues années, une application du plan de Netanyahu risquerait de créer un vide dans la gestion de l’enclave.
Il n’y a, en revanche, aucune équivoque sur le fait que même après la fin de la guerre, l'armée d’occupation israélienne aura la liberté d’opérer dans toute la Bande de Ghaza pour – justifie-t-on – «empêcher toute résurgence de l’activité terroriste».
Le texte envisage même un contrôle sécuritaire israélien «sur toute la zone à l’ouest de la Jordanie» depuis la terre, la mer et l’air pour – selon les mots utilisés – «empêcher le renforcement des éléments terroristes en (Cisjordanie occupée) et dans la Bande de Ghaza et pour contrecarrer les menaces sur Israël».
Il prévoit la «démilitarisation complète de Ghaza au-delà de ce qui est nécessaire pour les besoins du maintien de l’ordre», ainsi que «la déradicalisation dans toutes les institutions religieuses, éducatives et sociales de Ghaza».
Bouclage de la frontière avec l’Égypte
Israël veut également prendre le contrôle de la frontière entre Ghaza et l’Egypte. Depuis janvier, le gouvernement sioniste a manifesté son intention de reprendre le contrôle de la route de Philadelphie, une zone tampon de 13 kilomètres le long de la frontière avec l’Egypte, du côté palestinien, pour lutter, selon sa propagande «contre la contrebande d’armes en direction du Hamas à travers les tunnels reliant l’enclave à l’Egypte».
En bref, le plan de Netanyahu préconise ainsi la mise en place d’une «fermeture par le sud» à la frontière avec l’Egypte, afin de «prévenir le réarmement des éléments terroristes dans la Bande de Ghaza». Cet objectif a déjà provoqué des tensions entre Tel-Aviv et Le Caire, ce dernier dénonçant une violation des accords de Camp David, qui interdisent le déploiement d’armements lourds dans cette zone.
Une des propositions les plus provocantes concerne le concept de «zone tampon», qui réduirait la superficie de l'enclave après la guerre. Cette zone, serait destinée, selon Netanyahu, à «empêcher les infiltrations terroristes et la contrebande d’armes», et serait maintenue par Israël «aussi longtemps que nécessaire».
Il est à noter par ailleurs que la démilitarisation de l’enclave palestinienne, selon Netanyahu, devrait s’accompagner de ce qu’il appelle une «déradicalisation» des structures religieuses, éducatives et sociales. L’entité sioniste veut ainsi mettre fin aux activités de l’Unrwa, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés dans l’ensemble des Territoires palestiniens, dont la Cisjordanie.
Pour rappel, les autorités israéliennes ont accusé des membres de l’Unrwa – sans preuve aucune – d’avoir apporté leur soutien lors de l’opération du Hamas le 7 octobre, entraînant la suspension du financement par certains pays donateurs, dont les Etats-Unis. Si le plan israélien était mis en place, seules des organisations dont «le financement et sous la direction des pays approuvés par Israël» pourraient exercer dans les Territoires palestiniens.
D’ores et déjà, le chef de l’agence, Philippe Lazzarini, a déclaré jeudi que l’Unrwa, principale source d’aide aux civils à Ghaza, avait atteint un «point de rupture» en raison des appels répétés d’Israël à sa dissolution et au gel des financements par les donateurs face aux besoins humanitaires. «Je crains que nous soyons au bord d'une catastrophe monumentale avec de graves implications pour la paix, la sécurité et les droits humains dans la région», a-t-il ajouté.
Si les Etats-Unis, principal allié d’Israël, n’ont pas rejeté le plan israélien de «l’après-guerre», ils ont néanmoins mis en exergue ses contresens, défendant l’idée d’une gouvernance palestinienne à Ghaza et en Cisjordanie, avec pour objectif ultime un Etat palestinien. Cette perspective est totalement rejetée par le gouvernement israélien ainsi que par le Parlement israélien, la Knesset, qui a voté mercredi 21 février en faveur de la décision du cabinet israélien de rejeter toute reconnaissance unilatérale d’un Etat palestinien.
Antony Blinken, chef de la diplomatie américaine, interrogé en conférence de presse à Buenos Aires, lors d’une visite éclair en Argentine, a réaffirmé l’opposition de Washington à toute «réoccupation israélienne» de Ghaza. «Je n’ai pas vu le plan donc je réserve mon jugement», a déclaré Blinken. Mais «il y a des principes de base que nous avons posés il y a des mois, et que nous considérons comme très importants» pour l’avenir de Ghaza, a rappelé le secrétaire d’Etat.
Selon Blinken, «Ghaza ne doit pas être une plateforme pour le terrorisme», il «ne doit pas y avoir de réoccupation israélienne de Ghaza» et le «territoire de Ghaza ne doit pas être réduit». Il a déclaré que, conformément à «la politique américaine de longue date, tant sous les administrations républicaines que démocrates», les colonies en Cisjordanie étaient «incompatibles avec le droit international» et que son administration était «fermement opposée à leur expansion».
«Un plan voué à l’échec»
L’Autorité palestinienne et le Hamas ont naturellement rejeté le plan. Oussama Hamdane, responsable du Hamas en exil, a déclaré vendredi : «Netanyahu présente des idées dont il sait qu’elles n’aboutiront jamais. Ce plan ne deviendra pas réalité (…) parce que la réalité de Ghaza et la réalité des Palestiniens ne peuvent être déterminées que par les Palestiniens eux-mêmes.» Le mouvement exige notamment le retrait des forces israéliennes dans le cadre d’un accord de cessation des hostilités.
Le Hamas promet par ailleurs de poursuivre de sa lutte armée jusqu’à la libération de l’ensemble des Territoires palestiniens de l’occupation israélienne. Et Nabil Abou Roudeina, porte-parole de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne de renchérir : «Les plans proposés par Netanyahu visent à perpétuer l’occupation israélienne des Territoires palestiniens et à empêcher la création d’un Etat palestinien.»
«Seul un plan reconnaissant de Ghaza comme une partie intégrante d’un Etat palestinien indépendant, avec Jérusalem pour capitale sera acceptable. Tout projet contraire est voué à l’échec. Israël ne réussira pas à modifier la réalité géographique et démographique de la Bande de Ghaza», a-t-il indiqué dans un communiqué.
Faisant fi des critiques, Netanyahu a affirmé son intention de poursuivre la promotion de son plan, mettant en avant les impératifs sécuritaires d’Israël. Les bombardements israéliens continuent de faire des centaines de morts quotidiennement, comme c’était le cas hier, notamment à Deir Al Balah, dans le centre de Ghaza.
Avant l’aube, les bombardements israéliens ont coûté la vie à 103 Palestiniens au moins dans la Bande de Ghaza, selon le ministère de la Santé à Ghaza. La situation humanitaire ne cesse d’empirer dans le territoire palestinien où l’ONU a mis en garde contre «une menace de famine de masse» faute d’approvisionnements suffisants en eau et nourriture. Depuis le début de la guerre, le 7 octobre 2023, 29 606 personnes ont, selon lui, été tuées dans l’enclave.
Il est à souligner, par ailleurs, que l’annonce du plan israélien de l’après-guerre intervient alors que les pourparlers s’intensifient pour une trêve de plusieurs semaines et la libération des quelque 130 otages toujours entre les mains du Hamas. Une délégation israélienne menée par le chef du Mossad, les services de renseignement extérieur, est d’ailleurs arrivée vendredi à Paris, théâtre récent de pourparlers à ce propos, afin de favoriser un accord.