Le sommet des dirigeants des pays membres de l’Union africaine (UA) a débuté hier à Addis-Abeba, en Ethiopie. Il intervient alors que le continent est secoué par des coups d’Etat, conflits et crises politiques. Un continent devenu entre-temps un autre terrain de confrontation des grandes puissances.
A l’ouverture de cette rencontre, le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a évoqué les convulsions multidimensionnelles qui secouent le continent : la Libye «reste divisée», le Soudan «meurtri», «la Corne de l’Afrique génère les tendances les plus inquiétantes», «les Grands Lacs multiplient les signes d’aggravation» et le Sahel «inquiète au plus au point», selon des propos recueillis par l’AFP.
«En Afrique, le terrorisme déstructure certains de nos Etats», «les changements non constitutionnels de gouvernement se sont multipliés» et «notre échec à contrer un tel phénomène est patent», alors que «les élections sont devenues par l’ampleur de leurs irrégularités des facteurs d’approfondissement de crises», a-t-il observé.
Six des 55 Etats membres sont absents du sommet, suspendus en raison de coups d’Etat, à savoir le Gabon, le Niger, le Mali, la Guinée, le Soudan et le Burkina Faso. Arrivé vendredi à Addis-Abeba, le président somalien, Hassan Sheikh Mohamud, compte évoquer avec l’institution la question de son unité territoriale, selon un communiqué de la Présidence. La Somalie voit sa souveraineté menacée depuis la signature en janvier d’un protocole d’accord entre l’Ethiopie et le Somaliland, qui accorde un accès à la mer à Addis-Abeba, en échange de sa reconnaissance.
En marge du rendez-vous, le président angolais, Joao Lourenço, médiateur de l’UA, a réuni vendredi à Addis-Abeba plusieurs chefs d’Etat africains pour discuter de la situation dans l’est de la RDC, en présence notamment du président congolais Félix Tshisekedi. L’est de son pays est à nouveau en proie depuis fin 2021 à un conflit opposant la rébellion du M23, appuyé, selon de nombreuses sources, par l’armée rwandaise, à l’armée congolaise associée notamment à des groupes armés dits «patriotes».
En parallèle, le Sénégal traverse depuis début février dans une crise déclenchée par le report par le président Macky Sall de la présidentielle, trois semaines seulement avant le scrutin. La décision a été invalidée jeudi par la Cour constitutionnelle et vendredi, le président Macky Sall s’est engagé à organiser la présidentielle «dans les meilleurs délais».
Le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva doit aussi s’exprimer à cette occasion. Il est en visite en Afrique avec des escales en Egypte et en Ethiopie, deux pays ayant récemment rejoint les Brics, groupe de pays émergents réunissant initialement Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Egalement attendu, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, n’a lui pas pu venir à la cérémonie d’ouverture, du fait de problèmes de vols, a indiqué sa porte-parole, Stéphanie Tremblay.
Convoité par les grandes puissances
Les puissances étrangères, anciennes et nouvelles, s’engagent de plus en plus sur le continent sous des slogans «Partenariat d’égal à égal» et «Coopération gagnant-gagnant». Cette tendance s’est accrue au début des années 2000 : le reste du monde constate que la population en croissance rapide et les ressources naturelles du continent font de celui-ci un atout géopolitique important. Selon un rapport des Nations unies paru en 2022, les matières premières «représentent plus de 60% des exportations totales de marchandises» dans 45 pays africains. Ces produits sont expédiés hors du continent pour être transformés.
Depuis quelques années cet engouement se manifeste d’une manière multiforme. Outre la coopération économique, il se manifeste sur le plan sécuritaire à travers la formation des militaires, les ventes d’armes et l’établissement de bases militaires, entre autres.
Les grands de ce monde dépêchent ainsi leurs diplomates sur le continent et organisent des sommets pour rallier le maximum des pays du continent de leur côté, sachant qu’ils constituent une arrière-boutique riche en matières premières.
En janvier, le secrétaire d’Etat américain a effectué une tournée en Afrique, qui l’a mené vers le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, le Nigeria et l’Angola. Tournée ayant pour objectif de maintenir l’influence des Etats-Unis sur un continent convoité par d’autres grandes puissances, notamment la Chine et la Russie.
L’administration Biden a annoncé l’an dernier un plan sur dix ans afin d’encourager la stabilité et éviter les conflits au Bénin, Ghana, Guinée, Côte d’Ivoire et Togo. En avril 2023, à l’issue de sa tournée africaine d’une semaine qui l’a menée au Ghana, en Tanzanie et en Zambie, la vice-présidente américaine, Kamala Harris, a annoncé plus de 9 milliards de dollars de financement public-privé américain, dont une partie est destinée à soutenir l’Afrique face aux défis climatiques, tandis qu’une enveloppe de 100 millions de dollars sera allouée à la lutte contre l’extrémisme au Ghana, au Bénin, en Guinée, en Côte d’Ivoire et au Togo.
Washington a en outre prévu de financer la construction en Tanzanie d’une usine de transformation de minéraux en nickel de qualité, batterie qui devrait atterrir sur les marchés américain et mondiaux à compter de 2026. Lors de sa visite au Sénégal en janvier 2023, la secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen, a appelé les pays africains à «être prudents face à des accords alléchants».
Ces derniers peuvent «être opaques et finalement échouer à aider les gens qu’ils devaient aider», a-t-elle affirmé, faisant allusion aux accords conclus en Afrique par la Chine.
Pékin est très actif sur le continent en finançant notamment des infrastructures dans de nombreux pays. Au Kenya, un des grands projets menés par la Chine consiste en la réalisation de la ligne ferroviaire reliant la ville de Mombasa à la vallée du Rift, pour un coût de cinq milliards de dollars, financé à 90% par Pékin.
De son côté, la Tanzanie a signé un contrat de 2,2 milliards de dollars avec une entreprise chinoise pour une ligne ferroviaire reliant le principal port du pays à ses voisins. Pékin a dépêché en janvier son nouveau ministre des Affaires étrangères, Qin Gang, pour la traditionnelle tournée africaine de début d’année. Souvent accusée de «piéger» l’Afrique par la dette, la Chine est également accusée de développer «une stratégie de prédation sur les matières premières». Ce que Pékin réfute.
De son côté, la Russie, qui s’impose comme un des principaux pays exportateurs d’armes vers l’Afrique, entretient un important partenariat agricole avec le continent, dont elle est le premier fournisseur de blé au monde. Selon des données de l’ONU en 2020, 15 pays africains ont importé plus de 50% de leurs produits à base de blé de la Russie ou l’Ukraine.
Selon Moscou, en 2022, la Russie a exporté 11,5 millions de tonnes de céréales vers l’Afrique, et près de 10 millions de tonnes supplémentaires ont été livrées au premier semestre 2023. En parallèle, elle y renforce sa présence grâce à, notamment, des projets miniers accordés au groupe paramilitaire privé Wagner, nucléaires et en matière des hydrocarbures. Début 2023, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a déjà effectué deux tournées sur le continent, s’efforçant d’attirer le continent africain dans le camp de Moscou pour contrer l’«impérialisme» occidental.
Ces dernières années, Moscou a annoncé le renforcement de ses partenariats militaires avec de nombreux pays, dont le Cameroun, l’Ethiopie, l’Afrique du Sud, la Centrafrique et le Mali. Entre 2018 et 2022, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, la part russe du marché d’armement en Afrique est passée de 21 à 26%.
Dans le domaine nucléaire et des hydrocarbures, la Russie a marqué sa présence sur le continent. Ainsi, en Egypte, le géant russe du secteur nucléaire Rosatom a entamé en 2022 la construction de la première centrale du pays, à Al Dabaa, sur les bords de la Méditerranée. En 2019, lors du sommet de Sotchi, le patron de l’agence nucléaire russe précisait que son entreprise disposait de protocoles d’accord avec 18 pays africains.
De son côté, le groupe pétrolier Rosneft est depuis plusieurs années particulièrement bien implanté au Mozambique, notamment pour exploiter le gaz. Selon le ministère russe de l’Energie, Moscou a par ailleurs plusieurs projets pétroliers en Afrique, menés principalement par le groupe Loukoïl.
Le 13 octobre 2023, le groupe russe nucléaire Rosatom a signé un accord avec le Burkina Faso pour construire une centrale nucléaire dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Le Burkina Faso importe une grande partie de son électricité auprès de ses voisins.
Fin janvier, à Rome s’est tenu le sommet Itatlie- Afrique. A cette occasion, la cheffe du gouvernement italien, Georgia Meloni, a présenté dans les grandes lignes les objectifs de son «plan Mattei» pour le continent rappelant sa volonté de traiter avec l’Afrique «d’égal à égal». « C’est une approche bien différente de celle qu’on a l’habitude de voir, on veut aller au-delà du point de vue habituel sur l’Afrique, où les nations occidentales se considèrent comme une sorte de locomotive à laquelle les nations africaines sont censées se raccrocher, comme si elles devaient nécessairement suivre le mouvement», a-telle soutenu.
Elle a indiqué vouloir faire de son pays un «pont» entre l’Europe et l’Afrique, un «hub» énergétique par lequel les ressources africaines pourraient transiter dans le futur. En investissant dans ce secteur, l’Italie espère s’assurer un accès privilégié aux ressources africaines, pour garantir sa sécurité énergétique et même celle de l’Europe.
Aussi, elle a dévoilé des projets d’investissements en Afrique, notamment sur l’accès à l’eau potable au Congo-Brazzaville ou en Ethiopie et sur des projets d’accès à l’éducation et à la formation au Maroc ou en Tunisie. «Au Kenya, on se concentrera sur le pilier de l’agriculture, avec un travail pour développer la filière du biocarburant. Ou encore au Maroc, où notre objectif est de fonder un grand centre d’excellence pour la formation professionnelle dans le secteur des énergies renouvelables.»
L’objectif est aussi de combattre le trafic des êtres humains et donc de permettre aux pays partenaires de mieux maîtriser l’émigration irrégulière de leurs citoyens vers l’Europe.