La chronique de la guerre contre Ghaza, au-delà du tumulte des événements majeurs qui la rythment depuis plus de cinq mois, laisse passer comme faits banals des images horrifiantes, fuitées, ou officiellement assumées par l’armée israélienne. C’est pourtant là que se mesure, aussi, la barbarie décomplexée déchaînée contre les Palestiniens.
Avant-hier, certains médias ont repris les images d’une caméra embarquée, trimballée par un soldat israélien en opération, et documentant ce qui a été présenté comme un assaut sur un repaire du Hamas, quelque part dans ce Ghaza transformé en champ de ruines à perte de vue. On y découvre surtout une habitation désarticulée, comme le sont plus de 70% du tissu urbain sur le territoire ravagé.
Les militaires, de jeunes conscrits décontractés, donnaient l’air d’être en battue ; un des soldats s’adresse à la caméra et raconte, sur un ton détaché et badin, qu’il vient d’appuyer sur la gâchette de son fusil d’assaut à la vue d’un «terroriste» qui lui faisait des signes de la main, sans doute pour signifier qu’il n’était pas armé et qu’il était prêt à se livrer. Juste après, la caméra se déplace jusque dans la chambre où a été abattu le Palestinien et l’on découvre un homme, la soixantaine bien entamée, gisant de travers au pied d’un misérable lit. Les images ne montrent aucune arme sur les lieux ni ne captent tout autre signe qui aurait pu faire penser que la victime constituait un potentiel danger pour la patrouille israélienne.
Et à aucun moment, les supérieurs du jeune soldat, visiblement fier de son haut fait d’armes, n’ont trouvé à redire, encore moins juger que les images étaient trop compromettantes pour cette armée qui se prétend la «plus morale du monde», pour qu’elles soient mises sur un circuit de diffusion.
Dans la journée d’hier, la chaîne qatarie Al Jazeera, seul média de grande audience à suivre au plus près l’évolution de la situation sur le terrain, a relayé des images prises par un drone prédateur qui a pris en chasse et abattu un Palestinien. L’engin fait du surplace sur le lieu de l’assassinat, une fois la besogne accomplie, et zoome sur le corps d’un jeune, la vingtaine, gisant dans une mare de sang.
D’autres images, plus insoutenables les unes que les autres, ont déjà montré des femmes fauchées mortellement dans leur fuite éperdue par des tirs de précision israéliens, des scènes d’humiliation infligées à des dizaines de Ghazaouis arrêtés et, tout récemment, des centaines de civils torturés par la faim et filmés comme une colonie de fourmis excitées et prenant d’assaut une cargaison de denrées. Si les dernières séquences citées ont été diffusées pour dédouaner la machine de guerre israélienne de la tuerie du douar Nabulsi, la mise en ligne de la plupart des autres images est présentée comme le résultat d’initiatives prises par des hommes de troupe n'engageant pas la responsabilité de l'armée.
Des sanctions avaient été d’ailleurs déjà annoncées par le commandement contre des soldats prenant plaisir à faire des «lives» à partir des minbars de mosquées profanées ou s’amusant à monter des vélos d’enfant, vestiges de vies réduites à néant ou abandonnés par des familles fuyant les bombardements.
Mais tout porte à croire que le procédé obéit à une stratégie de communication conçue et réfléchie à des fins de propagande par la terreur. Avec les bombardements massifs et indiscriminés, la destruction systématique du patrimoine infrastructurel et urbain, la pollution des sources d’eau et la détérioration des terres agricoles, les images montrant la cruauté ordinaire de l’homme de troupe, tout cela sert l’objectif de «venger» une société dont les dirigeants n’ont pas cessé de marteler que les actions de résistance du Hamas palestinien étaient comparables à la shoah.
Quelques jours après les attaques des brigades d’Al Aqsa, début octobre dernier, Yoav Galant, le ministre de la Défense israélien, s’était adressé à l’armée pour la galvaniser. «Les Palestiniens sont des animaux humains, il faut les traiter comme tels», a-t-il aboyé, dans une harangue que l’histoire, sans doute, retiendra. La machine à déshumaniser, humilier, tuer et mutiler était lâchée.