Samir Boumoula. Professeur d’économie et de gestion : «Mettre en place une véritable politique de développement par le bas»

17/11/2024 mis à jour: 08:05
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Photo : D. R.
  • Le président de la République a installé récemment la commission chargée de la révision des codes communal et de wilaya. Pourquoi est-il nécessaire aujourd’hui d’amender ces lois ?

Effectivement, le président de la République, dès l’entame de son deuxième mandat comme premier magistrat du pays, a installé la commission nationale pour la réforme des codes communal et de wilaya. La cellule est présidée par M. Dahou Ould Kablia qui est bien rodé dans les rouages des collectivités locales.

Avec son staff, il semble bien indiqué pour accomplir cette tâche avec succès. Cette réforme, notamment de l’échelon de base, ne doit pas occulter bien entendu l’écart considérable entre la réalité du terrain qui est le vécu quotidien du simple citoyen et le texte fondateur de l’échelon subalterne de la hiérarchie administrative en Algérie.

Plus de 70% des communes en Algérie survivent des subsides de l’Etat central via le FSGCL (ex-FCCL) et les budgets de wilaya, dont le taux de consommation des crédits ne dépasse pas 35%, justifiant par ricochet le sous-développement au niveau local. La commune demeure comme un centre de décision «sans pouvoir», même si encore une fois beaucoup d’efforts ont été consentis pour rapprocher l’administration des administrés ou pour éradiquer les zones d’ombre.

  • Deux tiers des communes du pays vivent grâce aux subventions de l’Etat. Comment expliquer cette situation ?

Cette logique d’assistanat, bien ancrée dans l’esprit des «gestionnaires» des collectivités locales, s’explique par la nature du système économique tributaire de la rente énergétique. Elle résulte aussi de la centralisation des ressources par l’Etat, puis leur redistribution sous forme de subsides et dotations annuels aux communes sans leur demander une contrepartie de développement, ni tenir compte de leurs spécificités et dotation factorielle.

Ce schéma de répartition obsolète les laisse très dépendantes de l’Etat. Ensuite, les collectivités locales souffrent d’un sous-encadrement endémique avec une pléthore du personnel d’exécution et beaucoup moins de personnel technique. A cela s’ajoute la composante politique des APC et APW qui connaissent parfois des blocages, engendrant des retards dans la réalisation des projets avec parfois des surcoûts insupportables. Concernant les wilayas, les mêmes causes peuvent être évoquées avec notamment la nomination des walis qui voient leurs prérogatives «supervisées» par les autorités centrales, réduisant de fait leur pouvoir de décision.

Sur le plan financier, ils sont astreints à des dotations budgétaires dans le cadre du budget de wilaya (BW).
La réalité du terrain que nous avons exploré dans plusieurs études publiées dans des revues scientifiques démontre que les restes à réaliser (RAR) sont très élevés et les consommations de crédits dépassent rarement 30% !

  • Que faut-il revoir pour changer la donne et sortir les collectivités locales de leur statut d’éternelles assistées ?

La problématique de la centralisation est une problématique mondiale, mais l’expérience algérienne pose un problème de fond, celui de la définition du concept lui-même. Elle est souvent assimilée à une décentralisation administrative où l’Etat délègue des pouvoirs purement administratifs de signature et bureaucratique à ces démembrements institutionnels (wilayas et communes) et parfois se substitue à elles.

Paradoxalement, dans beaucoup de discours politiques officiels, l’Etat affirme que la décentralisation n’est pas forcément synonyme d’un transfert de problèmes du centre vers la périphérie (l’arrière-pays), mais beaucoup plus une opération qui concerne à la fois les moyens et les compétences. Pour valider cette hypothèse de l’absence quasi totale d’une «pseudo-décentralisation», il suffit de se référer à l’article 1 du code communal qui définit la commune comme cellule de base dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière.

Dans la réalité, l’acte fondamental qui devrait traduire cette autonomie financière, à savoir la préparation du budget communal, est soumis à des approbations préalables en cascade qui le vide complètement de son sens. Ce qui fait de la collectivité locale un centre de décision «sans pouvoir» et  du P/APC  un simple fonctionnaire appartenant au personnel d’exécution.

Le pouvoir de lever l’impôt est une prérogative du centre, alors que les collectivités locales se contentent seulement de sa collecte. Vu les impératifs qui s’imposent aujourd’hui dans la gestion des affaires publiques locales, il faut aller vers la dépénalisation de l’acte de gestion, avec un transfert simultané de réelles prérogatives aux collectivités locales.

Ce transfert de pouvoir de décision permettra de déclencher habituellement des contrôles à posteriori et inculquera de ce fait de nouvelles pratiques de  gestion de l’argent public et limitera au maximum les déperditions souvent injustifiées depuis la chaîne de distribution de l’argent du contribuable.

  • Dans le contexte actuel, que doit céder l’Etat comme pouvoir aux collectivités locales ?

C’est un vieux débat mais qui reste toujours d’actualité. Le vocable de décentralisation revient souvent dans le discours officiel ainsi que dans celui de certains partis politiques, particulièrement à la veille des échéances électorales. On le fait pour demander un transfert simultané de moyens et de compétences du centre vers «l’arrière-pays» et non seulement un transfert de problèmes.

Cependant, dans la pratique, il est difficile de soutenir que le code communal de 1990 et encore moins de celui de 2011 aient pu un jour concrétiser l’objectif entre les moyens et les compétences. Le retard de développement accusé par plusieurs communes au niveau national, particulièrement les communes rurales, en est un exemple édifiant à ce propos. Concernant le problème des élus locaux, ce dernier est bien posé bien avant la promulgation de la loi de 2011. Il s’agit bien de prérogatives dévolues aux élus, mais paradoxalement encadrées et contrôlées par la wilaya.

On peut ajouter à ce contrôle à priori la problématique de «compétences» de ces élus ainsi que leur «affiliation» partisane créant souvent des conflits périphériques et deviennent des sources de litiges et par conséquent de blocage des assemblées et des initiatives de développement local.

  • Certains préconisent la création d’un échelon d’organisation territorial entre la commune et la wilaya, afin de développer l’intercommunalité. Est-ce possible ?

Votre question s’inscrit aujourd’hui amplement dans la perspective d’un nouveau découpage territorial tel qu’annoncé récemment par les autorités publiques. Bien qu’il existe aujourd’hui un échelon administratif entre la commune et la wilaya en Algérie qui est la daïra, ce dernier ne pourra nullement constituer un échelon territorial intermédiaire.

Son caractère de «relais» fait que, sur le terrain, il ne sert pas réellement à grand-chose. Dans les faits, le simple citoyen est souvent ballotté entre les services de la daïra et ceux de la commune pour le règlement de ses affaires courantes, ignorant par là même leurs prérogatives. Il se retrouve parfois dans la confusion, ce qui lui perd beaucoup de temps et ne lui apporte guère de réponse satisfaisante.

Cet échelon administratif, en principe, doit être supprimé et laisser place à un échelon territorial «plus élaboré», autonome et régionalisé pour prendre en charge les besoins urgents au moment opportun, avec l’association de moyens financiers, matériels et un encadrement technique de qualité. Cette nouvelle configuration territoriale prendra certainement du temps pour se concrétiser sur le terrain, mais il est incontournable dans une vision stratégique de moyen/long terme.

En attendant de réunir les conditions de maturation optimale d’une telle perspective, qui me semble moins coûteuse et plus efficace, il serait souhaitable de mettre en place des échelons régionaux de concertation, de réflexion et d’études ouvertes, constitués de compétences locales, des représentants du mouvement associatif et des partenaires sociaux ainsi que des représentants des administrations territoriales.

Cette alternative pourrait prendre la forme de conseils économiques et sociaux régionaux, qui auraient comme plan de charge la mise à jour et le suivi du schéma régional d’aménagement du territoire (SRAT) déjà en place, mais demeure obsolète même si on parle aujourd’hui d’un nouveau redéploiement territorial à la faveur de la création de nouvelles wilayas déléguées.

Cette régionalisation économique par le biais de fusion de wilayas (de préférence limitrophes) permettra la gestion commune de projets structurants en créant une nouvelle symbiose et dynamique de proximité. C’est ainsi que des PME florissantes créatrices d’emplois durables, de valeur ajoutée locale contribueront progressivement au développement économique national.

L’article 43  : «L’ennemi» des élus

Institué en 2011, l’article 43 du code communal est suspendu comme une épée de Damoclès sur la tête des élus. Cette disposition permet au wali de suspendre un élu à la moindre poursuite judiciaire. Aujourd’hui, beaucoup réclament sa suppression puisqu’«il a ouvre la voie à tous les abus», estime un ancien P/APC de Boumerdès, rappelant que cet article fait abstraction du principe de la présomption d’innocence.

«Il y a plusieurs élus qui ont été relevés de leurs postes, mais ils ont fini par être innocentés par la justice», poursuit-il. «Le wali n’est pas le tuteur de l’élu pour le suspendre. C’est à la justice de le faire quand il y a des preuves avérées de détournement et de dilapidation de deniers publics. Si on accorde au wali le pouvoir de suspendre un élu, pourquoi le président de la République et les ministres ne peuvent pas suspendre un sénateur ou un député ?», a-t-il ajouté. R. K. 

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