Intense, riche en émotion, ayant parvenu, sans coup férir, à marquer d’une pierre blanche la vie culturelle oranaise, suscitant même dans l’esprit des habitués des événements culturels «un avant et un après 8 avril 2023».
C’est peut-être par ces mots qu’on peut décrire l’impression qui prédominait chez le public oranais, en sortant du théâtre à 1h, après avoir assisté, pendant près de deux heures, à la prestation de la chanteuse tunisienne Emel Mathlouthi. Certains avaient même des larmes aux yeux tant l’émotion les avait submergés.
Accompagnée d’un quartet de musiciens tunisiens et un pianiste algérien, Emel Mathlouthi s’est produite samedi dernier pour la première fois de sa vie à Oran dans le cadre d’une tournée organisée par l’Institut français l’ayant également menée à Annaba et à Alger.
Samedi dernier, donc, on sentait bien que le public présent au théâtre d’Oran n’était pas constitué de simples curieux ou de personnes seulement friandes de sorties ramadanesques. Il y avait, et en grand nombre, les fans de cette chanteuse tunisienne, dont la voix mirifique et les textes engagés l’ont fait connaître, depuis 2011, un peu partout dans le monde, y compris en Algérie.
Tout au début du spectacle, ce sont ses musiciens qui l’ont précédée sur scène pour accomplir, en guise d’introduction, un petit tempo musical histoire de «chauffer» la salle. Ensuite, dès lors qu’Emel Mathlouthi avait fait son apparition sur scène, les applaudissements et les vivats n’ont eu de cesse de pleuvoir. «Je suis très heureuse d’être là ce soir, dans cette ville magnifique, ville de la musique, de l’art et de la vie», a-t-elle lancé à l’adresse du public avant d’entamer Kaddesh, dont la traduction latérale serait «Combien».
Une chanson qui revient sur les ravages causés par la bêtise des hommes et dont les paroles autant que la musique suintent la tristesse, la mélancolie, mais également, en toile de fond, la révolte : «Combien de maisons ont été détruites, combien de vies ont été fauchées, de cœurs exilés, combien y a-t-il de cœurs tristes, combien de personnes ont menti, combien d’idées se sont rétractées ?» Oui, Emel Mathlouthi est une chanteuse à textes (certains en anglais mais la plupart en arabe) et de surcroît engagés. Par ce fait, elle ne supporte pas l’injustice et vomit les oppresseurs, de quelque bord qu’ils soient.
Quand elle chante, il lui arrive souvent (ce qui n’est pas pour déplaire au public, loin s’en faut) de tambouriner bruyamment avec les baguettes de tambour, mue qu’elle est d’extérioriser la rage intérieure qui l’oppresse tout en l’incitant à écrire des chansons «coups de poing». Dhalem ou Kalimati horra (celle par laquelle, d’ailleurs, elle s’est fait connaître en 2011) en sont les exemples patents.
A Oran, elle a également repris un autre de ses succès, celui-là mélancolique et doux, Holm : «S’il me suffisait de fermer les yeux pour que les rêves me prennent par la main, je prendrai de la hauteur jusqu’à atteindre un ciel nouveau et j’oublierai alors mes blessures. Si je pouvais voyager dans mon imagination, je planterai et construirai des palais et dans les nuits germeront l’amour et mon espoir et s’effacera la douleur.»
La prestation de samedi dernier, tant au niveau de la voix envoûtante de la chanteuse, de ses textes – de haute facture et qui donnent des coups de pied dans la fourmilière – ainsi que les différents arrangements des musiciens faisant exhumer une musique à la fois douce et captivante («une musique qui la reflète», comme avaient dit des spectateurs dans la salle), a fait que le public, à ce point conquis, en a redemandé encore et à l’heure des «au revoir».
Emel Mathlouthi lui a alors offert une belle chanson qui se voulait une ode émouvante à la Palestine et aux Palestiniens en proie à la souffrance et à l’oppression : Naci in Palestina, une chanson où se mélange à la fois l’espagnol et l’arabe. Enfin, comme voulant marquer le coup, car il fallait bien qu’elle pousse une chansonnette algérienne, elle a repris à la grande joie de l’assistance Edouha alya de Cheb Mami.