Gérant de MD ciné, le distributeur qui ramène tous les blockbusters US pour les diffuser en Algérie,
ce qui fait qu’on peut voir un film en Algérie lors de sa sortie au même moment qu’un Américain ou un Européen, s’explique sur le problème des salles, de la distribution et du cinéma en général.
Propos recueillis par Chawki Amari
-L’État va retirer les salles de cinéma aux APC pour les céder aux privés. Est-ce rentable pour un investisseur ?
En réalité, une salle monoécran n’est pas vraiment rentable, un multiplex oui, avec plusieurs films, plusieurs versions, VO, VF et VOST pour tous les publics, ce n’est en général que comme ça qu’on peut amortir un film. Bien sûr, une œuvre peut-être exceptionnellement rentable pour une salle comme par exemple La dernière reine qui a fait 25 000 entrées en Algérie à 600 dinars la place, un record depuis la fin des années 80 et les comédies de l’Inspecteur Tahar.
Autre exemple, la réussite de Héliopolis de Djaffar Gacem avec un score honorable. Mais il reste difficile pour des exploitants de salle de couvrir les frais, la location mensuelle annoncée autour de 500 000 ou 800 000 dinars par mois, une équipe de techniciens, de caissiers, de femmes de ménage, en plus des travaux, ça va être impossible pour eux et pour les salles de l’intérieur du pays, ce sera encore plus difficile, il y a moins de public. Si on veut vraiment relancer le cinéma, l’Etat, comme pour l’agriculture, devrait aussi aider le secteur de la culture, par exemple céder gracieusement les salles, suspendre les impôts et charges pour une période de 2 ou 3 ans pour qu’après, on fasse un bilan le temps pour l’exploitant de prendre une vitesse de croisière. Le rôle de l’Etat est d’aider et accompagner les secteurs en développement.
-Comment se passe la distribution des films ?
A une époque, on devait payer le film, en dollars lourds, un coup de poker car les entrées étaient les seuls retours sur investissement, ce qui explique qu’on se soit dirigés vers les blockbusters, films américains à succès, pour prendre moins de risques. Maintenant c’est différent, les producteurs et fournisseurs étrangers misent sur l’Afrique et pour la distribution on ne paye plus les films, le producteur ou le fournisseur partage avec le distributeur et l’exploitant de la salle les recettes éventuelles sur la base d’une convention, 30-20-50% dans l’ordre. Autre évolution, j’avais commencé à l’époque avec des bobines argentiques de 35 mm, c’est lourd, il en faut plusieurs pour un seul film et plusieurs copies pour chaque salle, c’est contraignant.
Avec le numérique, les choses sont plus simples, on reçoit un lien pour télécharger le film, ce qui peut prendre plusieurs jours en fonction de la connexion, les fichiers sont très lourds, mais ensuite on a un DCP, un disque dur avec lequel on peut alimenter plusieurs salles en même temps alors qu’à l’époque pour transporter les copies de salle en salle, il fallait attendre la fin de l’exploitation pour passer à une autre, 20 jours à chaque fois, ce qui pouvait prendre 6 mois. Avec les DCP, on peut voir dans plusieurs salles en même temps un film qui passe au même moment que sa sortie mondiale, ce qui nous met à jour vis-vis de l’international.
-Combien de films ?
80 films distribués en 2023, ce qui fait une moyenne de 7 films par mois entre blockbusters et films d’animation, et 300 000 entrées, ce qui est un bon chiffre, nous n’étions qu’à 60 en 2022 et nous espérons qu’en 2024, on arrive à la centaine.
Pour distribuer les films algériens, c’est évidemment plus simple, il suffit de contacter le producteur qui est souvent le CADC [Centre algérien de développement du cinéma), gracieusement aussi, et nous faisons le partage ensuite des recettes.
-Quelles sont les salles qui fonctionnent le mieux actuellement ?
Les multiplex, à partir de 3 salles bien sûr. A Chéraga, le TMV au Garden City qui fonctionne bien, il se trouve dans un centre commercial animé, sécurisé, et à Oran aussi le Cinegold ouvert en 2022 fonctionne bien. Il faut aussi mentionner AZ Grand ciné qui a ouvert en décembre et à qui nous souhaitons beaucoup de succès. Pour Alger, c’est Ibn Zeydoun, géré par l’Oref et les deux salles Cosmos salles gérées par un privé également à Riadh El Feth qui fonctionnent bien, tout comme la salle Ibn khaldoun et le Zénith Ahmed Bey de Constantine, géré par l’ONCI.
Donc voilà, les salles c’est bien mais les multiplex, c’est encore mieux, il y a des coins jeux pour enfants, des parkings, ce qui est très important, des restaurants et de l’animation, de la sécurité, tout ce qu’il faut pour sortir le spectateur du streaming à domicile. Partout, c’est l’argent qui prend en charge le développement de la filière, les productions de films et tout le reste, même si on peut encore organiser des projections avec tables rondes, des ciné-clubs avec les réalisateurs, comme avant dans les petites salles. Aujourd’hui, la distribution a changé, les cinéphiles sont devenus exigeants sur la qualité du produit et l’exploitant est aussi exigeant aussi par rapport au cinéphile car il est tenu de rentabiliser son investissement. Nous n’avons plus le droit à l’erreur à cause de la forte concurrence des plates-formes streaming sur Internet.