Né d’une collaboration entre Rudolph Burger, Mehdi Haddab et Sofiane Saidi, le spectacle «Mademoiselle» est un mélange improbable pour une recette qui fonctionne, notamment à Oran où il a débarqué lundi à l’IFO, le premier d’une tournée dans les instituts des autres villes concernées : Tlemcen, Alger et Constantine.
Mademoiselle... chante le blues !» La référence à un titre de la chanteuse française Patricia Kaas mise à part, ce genre est la thématique choisie pour cette coopération où les complaintes vocales du chanteur de rai, Sofiane Saidi, dont le clavier-console de sons assure également la section rythmique, le jeu de guitare tantôt éthéré tantôt saturé à l’extrême par la distorsion de Rudolph Burger font écho aux envolées solistes du oud électrifié de Mehdi Haddab.
Une manière de faire qui situe ce dernier comme un ovni musical dans le paysage sonore algérien où il a commencé mais si, depuis tout ce temps, le patrimoine continue d’infuser encore en lui, son expérience à l’étranger où il s’est installé depuis longtemps l’a mené vers d’autres expériences enrichissantes à travers nombre d’autres collaborations.
A Oran, le trio n’avait nul besoin de préparer son public. Il a suffi d’un son du genre gasba, d’une mélodie appropriée et le tour est joué. Tout le long du spectacle, les paroles en arabe algérien, en français ou en anglais (Rudolph) s’entremêlent et, vu l’ambiance qui y régnait, elles semblaient même parfois être improvisées. Il y avait des hymnes pour Oran, d’autres pour l’Algérie (One two three !) et un pour la Palestine.
«Et maintenant voici un blues et on en a besoin avec tout ce qui se passe», proclame le chanteur français pour qui ce genre, semble être une «philosophie» de vie qui s’exprime aussi bien dans sa tenue sur scène. Ne prétendant pas à la virtuosité, il joue au feeling en pinçant les cordes mais ce qui en ressort est convaincant. Sans doute aussi pour faire l’équilibre, Mehdi Haddab a dû tempérer ses ardeurs en optant, cette fois, pour un son plus épuré comparé à celui de «Speed Caravane» par exemple mais qui rend mieux compte de sa réelle maîtrise de l’instrument. Un instrument fétiche qu’il a adapté à ses besoins.
Ailleurs, il raconte comment tout jeune, il a été séduit par le guitariste Lotfi Attar du groupe Raina rai mais plutôt que de franchir le cap en optant pour la guitare, il a plus tard préféré adapter son oud et tout en restant relativement loin de la sphère du rai proprement dit. Quoi qu’il en soit, le résultat donne des performances originales avec toutes les petites mais importantes nuances de son, enjolivées ou en tout cas bien mises en valeur, que permet cet instrument électrifié.
Sofiane Saidi est, par contre, bien ancré dans la tradition raï à laquelle il tente de contribuer à donner un nouveau souffle. A chacune de ses apparitions à Oran, il a toujours clamé, en lui rendant hommage, l’héritage de cheikha Rimitti et, cette fois encore, il n’a pas dérogé à la règle. Sur un autre registre, les trois musiciens se sont vraiment éclatés sur le thème du Sahara, cet autre genre musical venu du Grand Sud avec ses variantes Tindi ou autres, partie intégrante et rendant compte de la richesse du patrimoine musical algérien.
Le rythme et la mélodie de base sont redondants mais l’envoutement est assuré et c’est là où réside le secret. Il s’y prête bien à l’improvisation d’abord vocale avec Sofiane mais aussi instrumentale à la manière de Alla mais Mehdi tente d’emprunter son propre chemin et à Rudolph de juste se laisser porter par le vent de la contemplation.
Dans le public, le déhanchement change de mouvement et la transe, qui ne sera pas atteinte, n’était néanmoins pas loin. En réalité, l’adhésion du public était totale du début jusqu’à la fin du spectacle. Le chanteur français est le premier à avoir exprimé sa satisfaction à l’issue de la prestation : «C’est super», dit-il tout simplement précisant qu’il était déjà venu en Algérie mais c’est la première fois à Oran. «Le public d’Oran est émouvant et exigeant vis-à-vis du rai et c’est pour cela que nous avions un peu senti la pression d’autant plus que c’est le premier spectacle de la tournée mais tout s’est bien passé, magnifique», a estimé Mehdi Heddab, précisant que le projet relatif à cette collaboration a muri durant la Covid et l’album est sorti il y a à peine un an.
«Cela faisait un moment que Mehdi et moi avions envie de faire de la musique ensemble et nous avons commencé de manière non officielle mais nous nous sommes dit qu’il nous fallait un troisième gars et comme nous connaissions déjà Rudolph, nous lui avons proposé et il a donné son accord», explique Sofiane Saidi pour qui Oran étant la maison du raï, il ne pouvait pas lui non plus ne pas sentir la pression. Une pression qui s’est très vite dissipée.