Riccardo Nicolai. Ecrivain italien : «C’est merveilleux qu’une histoire survive 400 ans après les faits»

07/08/2023 mis à jour: 04:38
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Natif de Massa (Toscane), en Italie, où il exerce le métier de libraire, Riccardo Nicolai est un auteur passionné. Il s’est intéressé à un personnage historique connu des Algérois : Ali Bitchin, raïs qui finança la construction de la mosquée du même nom, située à La Basse Casbah.  Né dans la région d’origine de l’écrivain, il fut enlevé et emmené à Alger où il est acheté par un raïs de la taïfa. 

L’histoire du futur amiral de la Régence d’Alger a aspiré l’écrivain dans une dimension spatiotemporelle lointaine, raconte-il. «Je me suis senti privilégié de connaître cette histoire, et j’ai ressenti une empathie immédiate pour ce pauvre enfant», souligne-t-il. Son roman Ali Bitchin, pour l’amour d’une princesse, publié aux éditions Koukou (2017), a connu un grand succès de librairie.

 

Propos recueillis  par  Nadir Iddir

 

 

-Vous vouez une passion évidente à Ali Bitchin, Aldino Peccini de son vrai nom, captif italien devenu chef de la taïfa des raïs à Alger. Comme est né cet intérêt pour un personnage originaire, nous dit-on, de Toscane, votre région d’origine ?
 

J’ai entendu parler pour la première fois de Alì Piccinin un soir d’été. Je me trouvais au château Malaspina de Massa (ma ville natale), en Toscane, à l’occasion d’une visite culturelle. Le guide de l’événement a parlé des origines du château et des murs de fortification, érigés pour protéger la population des incursions des corsaires turcs. «Mais, malheureusement, a-t-il raconté, lors d’un raid qui eut lieu en 1578, un enfant nommé Aldino fut enlevé, emmené à Alger et acheté par un raïs.» Cette histoire m’avait submergé, aspiré dans une dimension spatiale et temporelle lointaine. Je me suis senti privilégié de connaître cette histoire, et j’ai ressenti une empathie immédiate pour ce pauvre enfant ; j’ai pensé qu’il a vécu dans ma terre, il a vu mon ciel, ma mer et mes montagnes. A partir de ce soir d’été, Ali est entré en moi.
 

-Le récit sur lequel s’appuient les historiens est celui publié par son esclave, Emmanuel d’Aranda. Y a-t-il d’autres sources ?

 

Au fil de mes recherches, j’ai retrouvé quatre lettres dans les archives de Massa, écrites par le prince de la ville, Alberico Malaspina, et adressées à «Alì Piccinin, esclave du Roi d’Alger». J’ai commencé mon voyage en étudiant ces lettres, mais pas seulement. J’ai lu les mémoires d’Emmanuel D’Aranda avec une attention obsessionnelle. J’ai découvert d’autres informations précieuses dans l’ouvrage Histoire de la Barberie et de ses corsaires du Père Dan, ministre Supérieur du couvent de la Trinité et Rédemption des Captifs. A Gênes, à la Biblioteca di Storia Patria, j’ai retrouvé beaucoup de documents, notamment les lettres écrites par les esclaves enfermés dans les bains d’Alger. C’est justement à Gênes qu’en 1597 est née la M.R. E., la Magistrature pour le rachat des esclaves ; ce fut la première institution judiciaire qui s’occupa de l’esclavage méditerranéen. Découvrir le monde de l’esclavage, c’était fascinant.
 

-Le royaume de Koukou occupe une place dans l’histoire de l’amiral. Votre roman Ali Bitchin, pour l’amour d’une princesse (Koukou, 2017) y fait abondamment référence. Lallahoum, fille d’Ahmed Oul Kadhi, a-t-elle réellement épousé l’homme puissant d’Alger ? 
 

Oui bien sûr ! En 2017, une dame est venue à Massa pour assister à la pièce de théâtre Ali Bitchin. Cette dame venait de Paris. Elle s’appelle Hania Belkadi, descendante de Lallahoum, fille du roi de Koukou et épouse d’Ali Bitchin. Hania m’a raconté que lorsqu’elle était petite, sa grand-mère l’endormait en lui racontant l’histoire d’amour de Lallahoum et Ali. Pour moi, écouter Hania a été éblouissant. Je trouve merveilleux qu’une histoire transmise oralement ait survécu à 400 ans d’histoire. Cela en soi suffit déjà à donner de l’authenticité à l’Histoire, avec un «H» majuscule.
 

-Votre frère a adapté au théâtre ce récit romancé de l’amiral. L’intérêt pour Ali Bitchin est familial…

La présence de mon frère est précieuse pour le projet culturel inhérent à Ali Bitchin. Il a réussi à communiquer l’histoire du Pacha dans un langage iconique. Mon frère Alberto est mon prolongement naturel. Nous partageons un dévouement et une passion engageante. Il a su transposer sur scène ce que j’ai fait avec les mots. Il a mis en scène la pièce Ali Bitchin à Massa en 2017 ; la pièce a également été présentée à Alger, en 2018 et 2022, organisée par l’Institut culturel italien d’Alger et le ministère algérien de la Culture.
 

-Une adaptation au cinéma est-elle envisagée ?

J’ai été contacté à plusieurs reprises par de nombreux cinéastes et scénaristes, attirés par le charme irrésistible d’une histoire intemporelle. Malheureusement, la pandémie ne nous a pas permis de finaliser les idées. De plus, ma distance n’aide pas. Pour pallier à ces retards, j’envisage de déménager prochainement à Alger.
 

-Une statue du célèbre amiral a été inaugurée au jardin d’Essai du Hamma (Alger). Je crois savoir que vous avez contribué fortement à la concrétisation de ce projet…
 

Dès le premier instant où j’ai découvert l’histoire d’Ali, j’avais une idée fixe dans ma tête : c’était la date du 4 mars 2022. Cette date représentait le 400e anniversaire de la construction de la mosquée Ali Bitchin, située dans La Basse Casbah, construite par le Grand amiral Ali pour l’offrir en cadeau de mariage à Lallahoum. J’ai contacté l’Ecole des beaux-arts de Massa en leur proposant la création d’une statue en marbre représentant Ali. 

Puis j’ai contacté l’ambassade d’Algérie en Italie, et ensemble on a travaillé à l’exécution du projet. La statue a été créée dans le laboratoire Mosti Art Sculpures de Massa, en prenant comme modèle une esquisse de l’étudiante Giulia Vatteroni. La statue a été inaugurée à Massa en présence de l’ambassadeur d’Algérie à Rome, S. E. Abderlkrim Touahria, et partie par bateau vers l’Algérie, offerte à la wilaya d’Alger.  
 

 

Bio-express :
Riccardo Nicolai est né et vit à Massa, en Toscane (Italie). Après ses études en littératures étrangères à l’université de Pise, il exerce le métier de libraire.

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