Représentations : L’image (déformée) des Arabes dans le cinéma occidental

12/11/2023 mis à jour: 03:10
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Le 13e guerrier, rare film occidental où l’Arabe est représenté comme plus raffiné et moins sauvage que l’homme blanc

Ce qu’il se passe dans la réalité se voit au cinéma. Est-ce vrai ? Oui, dans une certaine mesure, les films surfant sur les tendances, on y retrouve souvent dedans ce qu’on pense dehors. L’Autre, cet être étrange, est l’objet du fantasme aussi bien du réalisateur que du spectateur, et, à ce titre, on a longtemps cru à travers le cinéma américain que les Indiens étaient les méchants, et les Blancs, Européens, les gentils. 

Comme le souligne Rachid Naïm, docteur en communication, «le cinéma populaire américain est plus un média de recyclage que de création», ajoutant que «en tant qu’entreprise commerciale, Hollywood ne peut prendre de risques idéologiques et doit garantir ses investissements en les rendant acceptables par le plus large public possible». 

C’est de l’actualité, les Palestiniens étant traités d’animaux, donc non concernés par les droits de l’homme, avec la montée de l’extrême-droite et la chasse aux musulmans, l’Arabe est le nouvel ennemi mondial, c’est lui qui a emmené les juifs dans les camps de concentration en Europe, c’est lui qui organise des krachs boursiers et des pandémies, c’est encore lui qui est soupçonné de causer le réchauffement climatique. 

Comment s’articule la représentation au cinéma ? Il faut revenir aux années 20, où l’Arabe est un cheikh enturbanné plus ou moins romantique et voleur de femmes avec des films comme The Sheik (1921) de George Melford joué par Rudolph Valentino, Italien d’ailleurs, fils de vétérinaire, et dans The Son of The Sheik (1926) de G. Fitzmaurice où l’attrait exotique et érotique du personnage arabe est contrebalancé par son côté violent qui prend ce qu’il veut par la force, surtout les femmes. Aladdin, pourtant jeune et avenant dans le conte des Mille et Une Nuits devient Ahmed le voleur dans The Thief of Bagdad (1924), voleur de Baghdad, qualificatif dont sera affublé Saddam Hussein 80 ans plus tard, pour justifier l’invasion US en Irak, mais qui va redevenir en 2019 lors du remake Aladin de Guy Ritchie pour Disney, un Will Smith noir, aventurier et sympathique. Mais comme dans le célèbre Casablanca 1942 où les Marocains accueillent les juifs qui se sauvent de l’Europe fasciste, le monde arabe est généralement vu comme exotique et cadre de complots sans que les Arabes ou Berbères ne soient vraiment acteurs de ce qu’il se joue chez eux. 

En passant rapidement sur les films de Croisades représentant les chrétiens venus délivrer Jérusalem des méchants musulmans, ce sont les années 70 avec le conflit israélo-arabe et la prise d’otages américains à l’ambassade de Téhéran, désamorcée d’ailleurs par la diplomatie algérienne, ce qui a valu entre autres le don de la fameuse série TV Dallas à l’Algérie avant tout le monde, encore du cinéma grand public, l’Arabe a été refaçonné en terroriste, quand il n’est pas simplement cruel et d’une méchanceté congénitale, poseur de bombes et pirate de l’air. Mais on croit généralement que c’est après 2001 et les attentats du World Trade Center que Hollywood a replacé les Arabes comme terroristes et personnages négatifs, pourtant Wrong is Right de Richard Brooks (1982) raconte l’histoire d’une troisième guerre mondiale où un journaliste américain (ce sont les bons journalistes) est aux prises avec des terroristes arabes qui envahissent les Etats-Unis. 

C’est ainsi que ces sanguinaires, créés par Hollywood, menacent le mode de vie américain en s’en prenant aux supermarchés (Invasion U.S.A, 1985), au Super Bowl (Black Sunday 1977), un campus d’université (Terror Squad, 1988), une salle de théâtre (The Siege, 1998), un magasin de luxe (Terror in Beverly Hills 1989) et même la Maison-Blanche dans Executive Decision, 1996. Avec cette ironie, les acteurs, qui incarnent ces arabes terroristes, sont à quelques exceptions près des Israéliens, Afif Yordi, Tarik Yordi dans Invasion USA, Assaf Dayan dans The Delta Force (1986), jusqu’en 2015 avec Eli Danker et David Menachem dans Chain of Command. Bref, à l’exception du Le 13e guerrier (1999) où Antonio Banderas joue un diplomate arabe raffiné du Moyen-Age qui voyage dans les régions froides et sanguinaires d’Europe, le personnage de l’Arabe n’attaque presque que des femmes, des vieillards ou des enfants en utilisant sa tactique favorite, l’embuscade, étant toujours défini comme l’agresseur. S’ils ne sont pas les seuls, les Japonais après la Seconde Guerre mondiale ou les Russes pendant la guerre froide ayant subi le même traitement par le cinéma, ce sont les Arabes, de même que les Perses et les Turcs, qui sont le plus négativement représentés et depuis le plus de temps. Un record. 
 

L’EUROPE EST UNE AMERIQUE QUI A ÉTÉ (UN PEU) à L’ÉCOLE

Les Américains sont avant tout des Européens qui ont gardé une longue inimitié avec les musulmans et Arabes, et évidemment sur le vieux continent, le cinéma a suivi le même mouvement que l’idéologie coloniale, déroulant sans complexe un sentiment de supériorité de l’homme blanc par rapport à l’Arabe et à l’Africain et à l’Asiatique (Indochine) comme dans L’Homme du Niger, de Jacques de Baroncelli (1940) où les Africains sont présentés comme des personnes sauvages et primitives qu’il faut civiliser.

 Tout comme au Maghreb avec L’Atlantide, de Jacques Feyder (1921), inspiré du roman de Pierre Benoît dans le Sahara algérien, L’Aventurier de Maurice Mariaud et Louis Osmont (1924) ou encore Le Bled, de Jean Renoir (1929) commandité pour le centenaire de l’Algérie française, film muet de pure propagande coloniale où les rares personnages algériens non seulement ne parlent pas mais n’existent même pas. 

Bien sûr, tout a évolué même si en 1987, Pierre et Djemila de Gérard Blain (1987) fait scandale en stigmatisant les Algériens qu’il oppose aux Algériennes, positives, victimes de l’oppression patriarcale où le frère bat sa sœur et ne parle qu’en Arabe alors que la femme, bien intégrée, parle français et ne parle ni ne comprend l’arabe. Le film, accusé de «véhiculer une idéologie raciste», le scénariste Michel Marmin étant proche des milieux d’extrême-droite alors que son coscénariste est algérien, Mohamed Bouchibi en l’occurrence, renvoie déjà à cette époque à l’amalgame entre immigration et insécurité. 

Mais aujourd’hui, l’Arabe est encore l’employé fainéant qu’on tutoie comme dans Mariage mixte d’Alexandre Arcady, et même Bertrand Blier dans l’une de ses dernières œuvres, Les Côtelettes (2003), reste sur le discours orientaliste où les Arabes sont des figurants sans volume, avec cet étrange message sous forme de dialogue dans le film, - Vous avez tué l’Arabe ! - On ne dit pas un Arabe, on dit un Maghrébin !- Pour moi, la femme est maghrébine et l’homme est un Arabe. Mais le cinéma reflète-t-il la réalité ? Pour Julien Gaertner, docteur en histoire contemporaine, auteur et réalisateur de films documentaires, «le cinéma retranscrit les images qu’il puise dans la société et les lui réinjecte. La charge historique y apparaît comme un élément majeur, au-delà d’évolutions sensibles, dans le traitement de l’Arabe au cours de cette dernière décennie subsiste une large opinion qui consomme régulièrement l’archétype bâti autour du Sarrasin». 

Et pour le cinéma US, le pays du premier soutien au génocide que commet Israël, l’anthropologiste Laurence Michalak, explique dans la revue de cinéma Séquences que «les films ont une influence déterminante sur la perception américaine des Arabes, la plupart des Américains n’ont jamais vu d’Arabes de leur vie, sauf à l’écran, où ceux-ci sont présentés comme un peuple méchant, sinistre». 

C’est dit, et il reste la dernière question à soulever, le cinéma arabe représente-t-il les Arabes et est-il lui-même le reflet de lui-même ? C’est très discutable, les femmes y sont généralement représentées comme faibles où par qui les problèmes arrivent et seuls les hommes font l’objet d’un traitement objectif. Match nul ? Non, jamais. L’Occident maltraite. Le monde arabe traite.

 

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