Dans un pays où la vie politique de manière générale et l’expression partisane en particulier restent dramatiquement figées, à une année d’une élection présidentielle qui s’annonce déterminante, les propos tenus en conférence de presse par Louisa Hanoune après sa rencontre avec le chef de l’Etat sont empreints d’un franc-parler qui manque terriblement au monde politique.
Ça ressemble, par les temps qui courent, à une espèce de performance médiatique dans un univers de non-dits et de faux-fuyants qui ne cesse de tourner sur lui-même pour se mordre la queue.
Pour être plus clair, devant les rituelles déclarations dogmatiques, teintées de suffisance et de verbiage, une phraséologie vide, déconnectée du réel à laquelle nous ont habitués les responsables politiques une fois franchi le portique du Palais d’El Mouradia, les propos directs et incisifs de la cheffe du Parti des travailleurs sont assurément d’une autre tonalité.
Ils détonnent par rapport au contexte ambiant pour remettre à jour une franchise communicationnelle qu’on croyait à jamais perdue dans les méandres de la langue de bois. Mme Hanoune, qui a une longue carrière derrière elle, nous a tout simplement réconciliés avec une dialectique simple, qui ne cherche pas à travestir par des mots que personne ne comprend une vérité connue de tous.
La vérité sur le contenu de sa rencontre avec le président Tebboune, la dirigeante politique a essayé de la rendre publique sans ambages ni déformation. Dans son rôle de dirigeante d’un parti, elle a tenu à exposer des préoccupations citoyennes que d’autres cherchent vainement à occulter pour des considérations politiciennes.
En somme, elle dit tout haut ce que l’on chuchote tout bas. La passionaria, comme on l’appelle affectueusement, affirme d’emblée que l’échange avec son hôte qui a duré trois heures a été franc, cordial et «sans tabou», précisant au passage qu’elle n’était pas venue pour «négocier quoi que ce soit». Face à un interlocuteur prêtant une oreille attentive et la mettant à l’aise, elle a abordé des sujets d’actualité et très politiques qui semblent inaccessibles à l’opinion publique.
A commencer par la question des libertés individuelles et collectives qui méritait, selon Mme Hanoune, d’être exposée au Président dans la plus grande transparence parce qu’elle pose problème et conditionne tout projet de développement. Sans démagogie, elle exprime ce qu’une majorité d’Algériens souhaitent fortement, à savoir «des mesures d’apaisement à la veille de l’année 2024 considérée comme année charnière, qui passent nécessairement par la libération des détenus politiques».
La cheffe du PT a bien parlé de détenus d’opinion et on ne sait pas ce que le premier magistrat du pays lui a répondu à propos de cette revendication, sachant qu’il a toujours réfuté pour sa part le fait qu’il y ait des détenus d’opinion dans les prisons algériennes. Dans ce contexte des libertés qui mériteraient d’être défendues et protégées en toutes circonstances, l’invitée d’El Mouradia a insisté sur «la libération du champ médiatique», qui est envahi par une inexplicable léthargie, en commençant, propose-t-elle, par le secteur public.
Une ouverture, selon elle, qui doit être obligatoirement accompagnée par «l’instauration d’un débat politique pluriel et contradictoire», condition sine qua none pour relancer le pluralisme politique. Pour Louisa Hanoune, il était vital de rappeler au président de la République un tel impératif sociétal qui préoccupe au plus haut point la classe politique.
Son intervention, reposant sur une argumentation mesurée, qu’on imagine passionnée et sincère, a réussi à faire réagir le chef de l’Etat sur un sujet aussi brûlant en réitérant en des termes plus appropriés ce qu’il a déjà déclaré, en l’occurrence qu’il n’a donné «personnellement aucun ordre pour verrouiller le champ médiatique et restreindre les libertés».
Une réponse nette et précise que le directeur de la communication au niveau de la Présidence a tenu à appuyer en abondant dans le même sens. Le problème de la liberté de la presse étant posé sur la table, il serait curieux de briser le mystère de cette chape de la censure invisible qui plane sur la tête des journalistes et neutralise leur travail jusqu’à le rendre inopérant.
Ou alors cette pression psychologique, toujours souterraine, qui force à l’autocensure dans laquelle on se complaît sans trop chercher à comprendre. D’un côté, il y a la parole sacrée du Président, et de l’autre une frilosité professionnelle qui reste inexpliquée.
Enigme totale. Cela dit, pour mieux expliciter sa pensée, M. Tebboune est allé jusqu’à soutenir qu’il n’a «aucunement l’intention de caporaliser la vie politique et syndicale» pour rassurer son invitée sur une gouvernance qui respecte les principes démocratiques universels. S’il y a des faiblesses à relever dans les activités partisanes, syndicales ou médiatiques, ce n’est pas du côté de la Présidence qu’il faut les chercher, semble dire le locataire d’El Mouradia.
Pour Louisa Hanoune, il était essentiel d’évoquer les questions cruciales qui minent le fonctionnement de la société, et c’est avec le concours de tous les acteurs, chacun dans son secteur, que les solutions pourraient être trouvées dans un climat apaisé.
C’est toujours avec cet esprit d’apaisement qu’elle a parlé en toute franchise du dossier de Larbaâ Nath Iraten qu’il faut traiter, dit-elle, «comme un Etat éclairé», alors que ce sujet est évité par la presse.
Représentante d’un parti qui se situe dans l’aile de l’opposition dont l’activité se rétrécit comme une peau de chagrin, Louisa Hanoune a saisi l’opportunité de l’audience que lui a accordée le président de la République pour réaffirmer les principes démocratiques et de justice pour lesquels elle se mobilise.
Et c’est encore dans cette optique qu’elle a sollicité le Président pour l’abolition de l’article 87 de la Constitution, qui constitue à ses yeux une véritable «dérive pour les libertés».
Les sujets sensibles qui font l’actualité ont été abordés sans «que...Chréa ne s’écroule», pour se référer à une expression populaire consacrée. Le fait de parler avec un sens critique constructif et une conviction partisane assumée s’apparente à une démarche politique qui n’a en fait rien d’exceptionnel, mais qui pourrait servir d’enseignement à tous ceux qui continuent de se réfugier dans les replis de la langue de bois anesthésiante, celle-là même qui grippe inconsidérément le champ politique et médiatique.