Le conflit israélo-palestinien a révélé, ou plutôt a encore souligné avec force, le grand fossé qui sépare les peuples arabes de leurs dirigeants, notamment ceux de la péninsule arabique où les puissantes monarchies pétrolières ont tissé des liens forts avec l’entité sioniste, tant sur le plan diplomatique avec échange d’ambassades que dans les domaines économique et sécuritaire.
Ces dirigeants, auxquels se sont joint, à partir du territoire de l’Afrique du Nord, le royaume chérifien et le Soudan, ont convenu, sous la pression américaine et aussi sur la base d’intérêts purement mercantiles, à défaut d’être réellement géostratégiques, de s’ouvrir à l’interaction avec Israël en faisant fi des sentiments de leurs populations réciproques, ouvertement pro-palestiniennes qui se sont diamétralement opposées à une connivence avec l’Etat hébreu, rejetant toute forme de rapprochement avec lui, tant que la Palestine n’aura pas recouvré ses droits fondamentaux prescrits par les diverses résolutions des Nations unies.
Les accords d’Abraham ayant davantage conforté ces souverains dans leur politique d’alliance imposée par des régimes ultra réactionnaires, il va sans dire que les effets sur la rue arabe ne pouvaient que s’amplifier avec une dégradation spectaculaire des rapports dirigeants- masses populaires où la cohabitation, depuis le début du conflit palestinien, est devenue quasiment impossible et aléatoire.
Un véritable dilemme s’est ainsi posé à ces souverains avec la question lancinante de savoir comment pouvoir entretenir encore une cohésion nationale face à des citoyens contestataires qui ont une vision et une certitude contraires. Israël, assurément, a semé bel et bien la zizanie dans ces royaumes et l’on voit aujourd’hui où ont mené les arrangements passés avec l’entité sioniste à travers les manifestations populaires qui clament haut et fort le soutien indéfectible aux Palestiniens et la condamnation sans équivoque de l’agresseur sioniste.
En fait, les peuples arabes, dans leur grande majorité, ont catégoriquement rejeté la démarche capitularde de leurs régimes et ont montré à Israël que la résistance palestinienne a de solides soutiens populaires. Cette attitude exprimée dans d’immenses marches de contestation a été particulièrement perceptible au Maroc où le souverain a été contraint de réprimer les manifestants dans plusieurs villes du royaume pour ne pas perdre la face devant son partenaire israélien.
C’est la même image qui est répercutée par tous les signataires des accords d’Abraham dont les dirigeants se sont senti acculés et contraints de donner des gages d’assurance à leurs alliés sionistes.
On ne sait pas si ces accords seront remis en cause, une fois que la question palestinienne aura trouvé une solution juste et durable, mais un point important peut être déjà souligné avec la temporisation de l’Arabie Saoudite qui avait projeté de se joindre à la meute des signataires et qui s’est désormais donné le temps de réfléchir et avec aussi la réaction de la Jordanie qui a pris la décision de rappeler son ambassadeur, en attendant que les choses soient plus claires.
Sinon, face à la barbarie sioniste qui a semé la mort et la destruction en terre palestinienne, la plupart des souverains arabes se sont réfugiés dans une expectative honteuse en faisant comme les trois singes. Ce positionnement défaitiste à plus d’un titre tranche littéralement avec celui de certains pays d’Amérique du Sud qui ont pris fait et cause pour le combat palestinien en dehors de toutes spéculations étroites.
Et si on ajoute toutes les voix qui se sont élevées à l’international dénonçant avec vigueur et colère les horreurs commises par Israël à travers de gigantesques rassemblements organisés dans les plus grandes capitales du monde, on dira que les pays arabes amis de l’Etat sioniste ont perdu, dans ce contexte de mobilisation générale et de solidarité agissante, une occasion historique de se libérer de leur fardeau.
Il ne faut pas oublier qu’à l’intérieur de l’Etat sioniste existent aussi des voix qui contestent la folie meurtrière de Netanyahu, autrement dit des personnalités de gauche qui dénoncent fermement la politique aventureuse menée par les faucons. Parmi celles-ci, l’écrivain et militant anti-sioniste Jacob Cohen qui a donné un avis tranché sur cette guerre. «Le malheur de la Palestine, dit-il, c’est aussi le monde arabe. A partir du moment où les Etats arabes ont confisqué le problème palestinien, celui-ci s’est retrouvé le jouet de leurs politiques, leurs tensions, leurs rivalités et de leur... lâcheté.»
Il ajoute, «quand je dis les pays arabes, je parle des régimes qui n’ont rien à voir avec les peuples qui sont majoritairement pour le peuple palestinien contre le sionisme, car ils savent qu’il y va de leur dignité, de leur personnalité, de leur histoire et de leur indépendance». On ne peut plus clair...