Le largage aérien sporadique de quelques colis d’aide alimentaire est vendu comme un acte de secours de haute importance par des acteurs de la communauté internationale, incapables de s’engager dans un processus diplomatique sérieux en mesure d’assurer le devoir élémentaire de sauver des enfants de la faim.
«Le commandement général des forces armées a donné l’ordre de préparer des avions de transport militaires chargés de tonnes de vivres et d’aides humanitaires urgents pour alléger les souffrances vécues par les habitants de la bande de Ghaza», a annoncé samedi dernier le porte-parole militaire au Caire dans un communiqué, s’enorgueillant de pouvoir renouveler encore l’opération alors que celle-ci n’aurait pas pu être managée sans le sauf-conduit délivré par les autorités de Tel-Aviv, soit celles-là mêmes qui provoquent et organisent la famine.
Un acquit de conscience bon marché en somme, censé compenser un tant soit peu la faillite diplomatique. Joe Biden, dont l’administration fournit des munitions à flux tendu à Israël depuis cinq mois pour soutenir ses raids aériens sur Ghaza, découvre à son tour, subitement, que les avions peuvent servir aussi à larguer des «repas» sur des centaines de milliers d’affamés qui ont survécu à ses bombes.
Israël échappe à la mise en accusation, impose sa loi et s’offre le statut d’entité non concernée par le droit humanitaire international, et l’obligation à la fois éthique et juridique en tant que force d’occupation, de rendre compte des souffrances et privations extrêmes imposées aux populations. Et les Etats impliqués dans les distributions des aides larguées par les airs ne font dans les faits que lui reconnaître l’indu statut.
Ne se contentant pas d’avoir coupé les vivres aux Palestiniens, l’Etat hébreu inflige l’autre supplice de tirer comme du gibier des civils déshumanisés, déroutés par la faim et appâtés fatalement par une misérable pitance qui tombe au compte-gouttes du ciel : quatre carnages ont été commis en quatre jours il y a une semaine, sur des hères désarmés et réduits à risquer ce qui leur reste de vie pour avoir accès à un sac de farine, alors que le monde des costards diplomatiques prend son temps et s’offre le luxe de cogiter sans pression les voies et moyens de parvenir à une trêve humanitaire.
L’Egypte, la Jordanie, et après eux les tous puissants USA, survolent les frontières et obstacles imposés par Tel-Aviv aux voies terrestres, seules à même de garantir un flux plus ou moins convenable à l’acheminement des secours, dans un renoncement curieux qui reconnaît de facto à Netanyahu et son gouvernement le droit d’affamer les populations.
Il aurait été plus simple et plus réaliste évidemment d’ouvrir des couloirs humanitaires, tel que préconisé par l’ONU (l’autre instance au crédit entamé profondément par l’arrogance israélienne) et tel que pratiqué un peu partout en contexte de belligérance depuis au moins que l’humanité a songé à se doter de lois structurées des conflits armés, au début du siècle passé.
Il faudra remonter au Moyen-âge pour trouver trace de l’usage du siège alimentaire comme arme tactique de guerre. Selon les témoignages des secouristes de la défense civile à Ghaza, les largages effectués par avions ne représentent même pas l’équivalent en chargement de deux camions de denrées.
Avant l’offensive israélienne, près de 600 semi-remorques chargés de produits de tous genres parvenaient dans l’enclave, qui pouvait également compter sur un tissu économique local pour soutenir un tant soit peu la demande sociale. Celui-ci est aujourd’hui réduit à néant, alors que quelques dizaines de camions d’aides seulement arrivent à se frayer un chemin vers les sinistrés depuis le début du conflit.
Le réseau humanitaire onusien est pour sa part empêché d’assurer ses missions, voire accusé de soutenir le «terrorisme» et condamné, à l’image de l’Unrwa.
Le monde se comporte aujourd’hui avec Ghaza comme à peine il l’aurait fait avec un territoire isolé par une catastrophe naturelle, un tremblement de terre ou un cyclone, dont l’origine et le processus échappent à la responsabilité humaine, et donc à l’obligation de désigner et de mettre en accusation un coupable.
Ce même ciel donc qui a fait pleuvoir des milliers de tonnes d’explosifs meurtriers sur la bande de Ghaza, fait pleuvoir aujourd’hui de la farine, de l’huile, du lait, et des «repas». Les Palestiniens et tous les citoyens du monde qui sont sensibles à leurs souffrances, sont invités à y voir un signe de la solidarité agissante digne d’être fièrement revendiquée par ses initiateurs, alors qu’elle ne fait que souligner leur démission et leur incapacité à mener de vraies opérations de secours.
Netanyahu et tout le système sioniste qui le porte, cherchent à traumatiser, sur des générations, ces Palestiniens qui pourraient encore nourrir un jour le projet de résister à l’occupation et revendiquer la souveraineté.
Les images des atterrissages de ces parachutes capricieux faisant se rameuter dans le chaos des femmes et hommes affamés, de surcroît encourant le risque de se faire abattre par des militaires israéliens, est une immense humiliation qui rentre dans la même logique. Elle est infligée avec la complicité tranquille de ceux qui valident le fait accompli de l’embargo, en se contentant d’aléatoires couloirs aériens pour se racheter une conscience.