Dans une interview qu’il a accordée, mercredi, à Atheer, la plateforme de la chaîne qatarie Al Jazeera, le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, s’est exprimé sur plusieurs sujets d’actualité régionale et internationale.
Les relations algéro-marocaines, la question sahraouie, la situation dans la région du Sahel et les «préparatifs en cours» de la visite d’Etat envisagée par le président la République en France ont constitué l’essentiel des thèmes abordés lors de cet entretien dont Al Jazeera a diffusé hier l’intégralité après avoir mis en ligne, essentiellement sur X (anciennement Twitter), quelques extraits mercredi dernier.
Ahmed Attaf a, dans l’une de ses réponses à l’animatrice de l’émission, révélé certains aspects ayant trait aux relations tendues entre l’Algérie et le Maroc. A commencer par l’attitude des autorités marocaines au lendemain du tremblement de terre qui a frappé, le 8 septembre dernier, ce pays voisin. «Suite au séisme, nous étions parmi l’un des premiers pays à proposer notre aide. Malheureusement, les autorités marocaines ont rejeté la main tendue des Algériens», a-t-il déclaré. «J’ai été chargé à l’époque de contacter par téléphone mon homologue marocain (Nacer Bourita, ndlr) pour d’abord lui présenter les condoléances de l’Algérie et discuter de l’aide nécessaire qu’il fallait apporter aux sinistrés (…) mais il n’a pas pris la peine de décrocher son téléphone», a-t-il regretté, affirmant que la «bonne foi» politique «manquait» alors aux autorités marocaines.
A une question sur la position onusienne par rapport à la question sahraouie et notamment en ce qui concerne le plan d’autonomie proposé par le Maroc, M. Attaf a tenu à remettre en contexte cette initiative et détailler ses véritables visées. «En 2007, le Maroc a présenté un plan d’autonomie pour le Sahara occidental. L’objectif de ce plan n’a jamais été de résoudre une question éminemment de décolonisation», a-t-il précisé. «Au contraire, ce plan a pour finalité de contourner le référendum pour l’autodétermination du peuple sahraoui et d’empêcher que les parties concernées ne s’inscrivent dans une démarche consistant à trouver une solution politique au conflit dans le respect de la légalité internationale.»
Il a, à ce propos, expliqué que le document en trois pages et demie présenté par le Maroc ne contient que des «généralités».«Le fait que la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) soit encore en place constitue la preuve que le conflit existe toujours. C’est le résultat stratégique qu’il faut prendre en considération», a fait remarquer le MAE. Il a, en outre, mis en lumière l’évolution de la position de l’administration américaine envers la question sahraouie.
Prolifération des armes au Sahel
Une évolution observée depuis le mois de septembre dernier, a-t-il précisé. Et d’ajouter : «Nous avons constaté un certain enthousiasme de la part du sous-secrétaire d’Etat pour le Proche-Orient, Joshua Harris, pour ce qui est du dossier du Sahara occidental et de la nécessité de trouver une solution à ce conflit.» M. Attaf a, en ce sens, fait savoir que des contacts directs ont eu lieu entre Joshua Harris et les responsables du Front Polisario. «Des officiels américains ont discuté directement avec des responsables du Polisario pour la première fois…», a-t-il dit, rappelant, au passage, la visite récente de l’envoyé spécial de l’ONU pour le Sahara occidental, Staffan de Mistura, à Dakhla (dans les territoires occupés), mais aussi l’audience accordée par le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, aux dirigeants du Polisario à New York.
«L’Algérie a fait ce qu’il fallait s’agissant de la question sahraouie. Elle a présenté des propositions et des plans de sortie de crise entre le Maroc et les Sahraouis. L’entêtement n’est pas à chercher du côté algérien», a poursuivi le ministre des Affaires étrangères, tout en regrettant que le Maroc ait offert la possibilité à un officiel israélien – le ministre de la Défense sioniste Benny Gantz – de tenir des propos hostiles à l’Algérie.
A Alger, les accords passés entre le royaume du Maroc et l’entité sioniste, à l’occasion de la visite de Gantz, sont perçus comme une menace directe aux intérêts du pays. Ahmed Attaf l’a encore rappelé : «Il y a un danger dans la coopération israélo-marocaine au plan militaire pour l’Algérie.» Concernant la région du Sahel, le ministre des Affaires étrangères a affirmé que les défis sécuritaires qui y sont constatés justifient la mobilisation de gros moyens pour assurer la sécurité des frontières.
«Au Sahel, nous observons des phénomènes sécuritaires qui prennent de l’ampleur. Il ne s’agit plus de groupes terroristes mais d’armées de terroristes évoluant dans une sphère où les changements non constitutionnels sont récurrents», a-t-il souligné, mettant en garde contre la prolifération d’armes lourdes et sophistiquées dans cette région, puisées essentiellement des stocks de l’armée libyenne après la chute du régime d’El Gueddafi. «Depuis, le marché des armes est devenu libre, facile d’accès.
La Libye a été plongée dans la guerre et l’Algérie a hérité d’une situation instable et complexe», a retracé M. Attaf, insistant sur l’importance que revêt la mise en place de mécanismes de coopération militaire dans la région, en particulier dans le cadre du Cemoc.
Au sujet du Niger, le ministre des Affaires étrangères a indiqué que l’Algérie a dû supporter un lourd fardeau, aux frontières, suite au coup d’Etat qui a destitué le président Mohamed Bazoum. «Cela a impliqué le retrait des forces armées nigériennes pour sécuriser la capitale Niamey. La sécurisation des frontières avec les pays du voisinage nécessite beaucoup de moyens», a-t-il soutenu.
Concernant les efforts de l’Algérie pour une solution pacifique au Niger, M. Attaf a estimé que le plus important est d’avoir pu éviter à ce pays une intervention militaire sous l’égide de la Cédéao. «Je crois que l’Algérie, qui a pesé de tout son poids, a réussi à éviter une catastrophe au Sahel», a-t-il souligné.
La visite de Tebboune en France : «fait toujours l’objet de préparatifs»
Le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a abordé, dans l’entretien accordé à Atheer, la question de la visite d’Etat du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, en France. Il a, d’abord, souligné le fait que la relation entre l’Algérie et la France est une relation qui «évolue» et «connaît parfois des crises». Selon lui, la visite envisagée par le chef de l’Etat fait «toujours l’objet de préparatifs», précisant qu’elle dépend du règlement de cinq dossiers en suspens : la question mémorielle, la mobilité, la coopération économique, les essais nucléaires français dans le Sahara algérien et la restitution de l’épée ainsi que le burnous de l’Emir Abdelkader. «En toute sincérité, les conditions de cette visite ne sont pas idoines», a-t-il répondu à une question posée par l’animatrice de l’émission. Alors même que «le président devait se rendre au Château d’Amboise où était emprisonné l’Emir Abdelkader (...), les autorités françaises ont refusé (de restituer l’épée et le burnous de l’Emir) arguant la nécessité d’une loi», a indiqué le ministre. Début août, le président Tebboune avait déclaré que sa visite d’Etat en France était «toujours maintenue» mais dépendait «du programme» de l’Elysée, précisant qu’une «visite d’Etat a des conditions» et «n’est pas une visite touristique». M. A.