Recyclage du lithium en Algérie : une opportunité stratégique à saisir

15/04/2025 mis à jour: 02:43
2022
Photo : D. R.

Par Karim Ouamane 
Ex DG Agence nationale des déchets (AND)

Les hautes autorités algériennes ont explicitement manifesté leur volonté de développer une filière nationale dédiée au lithium. Cette démarche s’inscrit dans une stratégie globale visant l’exploitation et la valorisation locale des ressources minières au sein d’un cadre industriel intégré. L’objectif est de mobiliser efficacement les ressources nécessaires afin de répondre aux exigences nationales définies par la stratégie algérienne en matière de mix énergétique. 

Si l’attention se porte naturellement sur les gisements conventionnels de lithium, un potentiel considérable reste encore largement méconnu : celui que représente une certaine catégorie de déchets. Ces «mines urbaines» représentent une source inépuisable de lithium, dont l’exploitation pourrait compléter idéalement la stratégie nationale d’approvisionnement en ce métal stratégique. 

Pour l’Algérie, cette voie complémentaire d’approvisionnement en lithium pourrait s’avérer particulièrement pertinente. La récente audience accordée par le président de la République au professeur Karim Zaghib, expert mondial des batteries lithium-ion, témoigne de l’intérêt croissant du pays pour développer une expertise nationale dans ce domaine hautement sensible et stratégique. 

En exploitant le lithium présent dans les déchets pour sa stratégie autour de ce matériau essentiel pour son mix énergétique et de ses applications industrielles, l’Algérie pourrait non seulement assurer une source inépuisable de cette ressource-clé, mais également transformer un secteur industriel plein d’opportunités. Cette initiative promet un impact socioéconomique profond.

Une ressource stratégique dans nos déchets à portée de main !

Chaque année, des tonnes d’équipements électroniques contenant du lithium deviennent obsolètes et hors d’usage pour les utilisateurs. Qu’il s’agisse de smartphones, d’ordinateurs portables ou, à l’avenir, de batteries pour véhicules électriques, tous contiennent ce métal précieux qui pourrait être récupéré, traité et réintroduit dans le marché national.

En Algérie, le lithium contenu dans divers types de déchets présente un potentiel économique et stratégique important. Dans cette section de l’article, nous allons explorer ce potentiel en détaillant les sources de lithium présentes dans les déchets, les aspects techniques et économiques de sa récupération, ainsi que les opportunités qu’il offre pour le pays.

Contrairement à d’autres marchés où l’industrie des véhicules électriques monopolise le débat sur le lithium, en Algérie, d’autres sources de déchets riches en lithium méritent une attention particulière : 
Déchets électroniques (DEEE) : Les smartphones, ordinateurs portables, tablettes et autres appareils électroniques grand public contiennent des batteries au lithium-ion. Avec une population de 45 millions d’habitants et une adoption croissante des technologies numériques, l’Algérie génère une quantité importante de DEEE.

Selon des estimations basées sur des données globales, comme celles du Global E-waste Monitor 2020, et à titre indicatif, les pays de l’Afrique du Nord produisent une part notable des 2,9 millions de tonnes de DEEE générées en Afrique en 2019, dont une fraction significative provient d’Algérie (potentiellement autour de 200 000 à 300 000 tonnes annuelles, en proportion de sa population).

Systèmes de stockage des ENR : L’Algérie, dans le cadre de son mix énergétique, investit énormément dans les énergies renouvelables, notamment le solaire. Les batteries au lithium-ion, utilisées pour stocker l’énergie dans les installations solaires hors réseau ou les projets de plus grande échelle, constituent une source croissante de déchets. Avec le développement de ces technologies, le volume de batteries usagées devrait augmenter dans les années à venir.
Déchets industriels : Certains procédés industriels, notamment dans la chimie ou la fabrication électronique, peuvent générer des résidus contenant du lithium.

Futurs déchets miniers : Alors que l’exploration de gisements de lithium est planifiée, les résidus d’extraction (tailings) pourraient devenir une source de lithium à l’avenir. Ces différentes sources illustrent que l’Algérie dispose d’un réservoir varié de déchets contenant du lithium, prêt à être valorisé dans le cadre d’une économie circulaire.

Potentiel quantitatif et valeur économique

Pour estimer précisément le gisement disponible de lithium récupérable dans les déchets en Algérie, il est essentiel de disposer de données fiables et vérifiables, un aspect qui nécessite d’être développé davantage. Cependant, en s’appuyant sur des ratios internationaux et en tenant compte du contexte algérien, il est possible d’évaluer ce potentiel.

Les batteries au lithium-ion contiennent en moyenne entre 5 et 7% de lithium en poids, selon leur composition chimique, par exemple, LiFePO4 ou NMC. En supposant un volume annuel de 200 000 tonnes de DEEE générées en Algérie, et en partant du principe que 10% de cette masse est constituée de batteries (soit 20 000 tonnes), on pourrait récupérer environ 1000 à 1400 tonnes de lithium par an à partir des seuls DEEE. En ajoutant les batteries provenant des systèmes solaires et d’autres flux diffus, ce chiffre pourrait atteindre 1500 à 2000 tonnes par an. Sur le plan économique, la valeur de ce lithium est significative. En avril 2025, le prix du carbonate de lithium, forme couramment commercialisée, oscille autour de 15 000 à 20 000 USD par tonne sur les marchés internationaux.

En considérant une récupération de 1500 tonnes de lithium par an, transformées en carbonate de lithium (avec un ratio de conversion d’environ 5,3 tonnes de LiFePO4 par tonne de lithium pur), cela équivaut à 7 950 tonnes de LiFePO4, soit une valeur marchande potentielle de 119 à 159 millions USD par an. 

Ces chiffres, bien que basés sur des ratios internationaux, mettent en lumière l’opportunité économique pour l’Algérie, d’autant que les coûts d’extraction à partir de déchets sont souvent inférieurs à ceux de l’exploitation minière traditionnelle. 
Sur le plan technique, les procédés de recyclage tels que l’hydrométallurgie permettent de récupérer jusqu’à 95% du lithium des batteries usagées, avec des coûts opérationnels qui pourraient être optimisés en Algérie grâce à une énergie abordable, notamment via le gaz naturel. 

En outre, la récupération de co-produits comme le cobalt, le nickel ou le manganèse, présents dans certaines batteries, pourrait accroître la rentabilité. A titre d’exemple, une tonne de batteries usagées peut contenir jusqu’à 150 kg de cobalt, dont le prix dépasse souvent 50 000 USD par tonne, ajoutant une valeur supplémentaire au processus. Pour l’Algérie, développer une filière de recyclage du lithium à partir de ces déchets diversifiés représente une opportunité sûre : positionner le pays comme un acteur dans la chaîne de valeur des nouvelles technologies. 

Cependant, cela nécessitera des investissements initiaux dans des infrastructures de collecte et de traitement, ainsi qu’une réglementation adaptée pour encourager la gestion économique des déchets riches en lithium.

Recommandations pour la mise en place d’une filière Lithium à partir des déchets en Algérie

La récente signature d’un mémorandum d’entente entre Sonatrach, représentée par l’Office national de recherche géologique et minière, et le Professeur Karim Zaghib marque une étape- clé pour l’établissement de la filière lithium en Algérie.
Dans cette optique, je souhaite contribuer au débat en proposant des recommandations stratégiques pour exploiter le lithium contenu dans les déchets, une ressource dont les quantités devraient croître parallèlement au développement de la filière en Algérie. Ces propositions visent à inscrire cette démarche dans une logique d’économie circulaire. 

Premièrement, il est essentiel de mettre en œuvre la Responsabilité élargie des producteurs (REP) conformément à la loi 25-02 sur la gestion intégrée des déchets. Ce dispositif obligerait les fabricants et importateurs d’équipements électroniques à prendre en charge le cycle de vie complet de leurs produits, y compris leur fin de vie. Son application rigoureuse permettrait de structurer une chaîne de collecte et de recyclage efficace, tout en responsabilisant les metteurs sur le marché national. 

Pour soutenir financièrement ces efforts, la création d’un fonds dédié, alimenté par une écotaxe sur les équipements électroniques, apparaît incontournable. Ce fonds pourrait financer des projets de collecte, de tri et de recyclage du lithium, mais aussi soutenir les acteurs locaux et les start-ups engagés dans ce secteur.

Parallèlement, des avantages économiques et fiscaux ciblés devraient être instaurés pour stimuler l’investissement privé dans l’extraction et le traitement du lithium issu des déchets. Ces mesures économiques renforceraient la rentabilité du recyclage, souvent perçue comme risquée, et accéléreraient l’émergence dune infrastructure dédiée. 

Il est également crucial de réintégrer le lithium recyclé dans la chaîne de valeur nationale, en développant des mécanismes de traçabilité et des incitations pour les industries locales à l’utiliser. Cela nécessite une collaboration étroite entre les recycleurs, les fabricants et les pouvoirs publics, afin de créer des débouchés pérennes pour cette matière première secondaire.

Sur le terrain, le déploiement d’un réseau national de points de collecte est une priorité. Ces infrastructures, accessibles aux citoyens comme aux entreprises, faciliteraient la récupération des déchets électroniques et des batteries usagées.
Enfin, des partenariats public-privé (PPP) doivent être établis pour encadrer des programmes de reprise obligatoire des déchets contenant du lithium. Ces PPP permettraient de mutualiser les compétences techniques et logistiques, tout en répartissant les coûts entre les parties prenantes. Une régulation claire fixerait les obligations de chaque acteur, garantissant ainsi la pérennité des initiatives. 

Pour consolider ces actions, la création d’une filière de formation spécialisée dans les centres de formation professionnelle et les universités s’avère indispensable. Des cursus adaptés permettraient de former un encadrement et une main d’œuvre qualifiés, aptes à relever les défis techniques et économiques de cette industrie en pleine croissance.

Définir un objectif national pour la récupération du lithium : Une condition indispensable

Tandis que l’Algérie aspire à devenir un acteur clé de la transition énergétique, le lithium recyclé, issu des «mines urbaines», émerge comme une ressource stratégique et pérenne. Les déchets électroniques, les systèmes de stockage d’énergie et les résidus industriels représentent non seulement un gisement pertinent, mais aussi une opportunité de souveraineté économique. Des estimations prudentes – entre 1500 et 2000 tonnes de lithium récupérable par an – révèlent un potentiel économique colossal, évalué à plus de 150 millions USD annuellement, sans oublier les co-bénéfices en termes d’emplois, de création d’entreprises et de l’amélioration de la fiscalité locale.

Cependant, ce potentiel restera inexploité sans une vision structurée et ambitieuse. Fixer un objectif national de récupération du lithium recyclé est une nécessité urgente, car un tel engagement permettrait de stimuler les investissements dans des infrastructures de collecte et de traitement, en s’appuyant sur des partenariats public-privé et la compétence nationale reconnue à l’international, comme l’illustre l’expertise du Pr. Karim Zaghib.

De plus, cela garantirait une chaîne d’approvisionnement résiliente, complétant l’exploitation des gisements miniers par une source circulaire et pérenne. Les recommandations proposées – responsabilité élargie des producteurs, fiscalité incitative et formation spécialisée – ne prendront tout leur sens que si elles s’articulent autour d’un objectif clair et contraignant, tel que, par exemple, «récupérer 50% du lithium contenu dans les déchets d’ici 2030». Cette ambition, si elle est inscrite dans la stratégie nationale de gestion des déchets, enverrait un signal fort aux investisseurs potentiels et accélérerait le développement de l’infrastructure nécessaire.

En conclusion, l’Algérie a une double opportunité : sécuriser son approvisionnement en lithium pour son mix énergétique tout en construisant une industrie autour des déchets contenant du lithium. Mais pour transformer ces «déchets stratégiques» en richesses nationales, il faut dès aujourd’hui une vision claire, des mécanismes de suivi rigoureux et une mobilisation collective. Il n’est plus temps pour les études de faisabilité, mais pour l’action – car dans la course mondiale aux métaux critiques, le recyclage n’est pas une option, mais une condition de survie économique. L’Algérie peut et doit écrire cette nouvelle page de son indépendance en matière de matériaux critiques. K. O.

 

Copyright 2025 . All Rights Reserved.