Le Dénombrement international des oiseaux d’eau (DIOE) est une opération qui se répète chaque année durant des périodes bien précises. Les dates varient légèrement d’une région à l’autre. En Algérie, cette période se déroule en janvier. Le DIOE a commencé dans de nombreuses zones humides du pays. Zoom sur la région de Bouira.
En collaboration avec le Parc national du Djurdjura (PND), les services des forêts de la wilaya de Bouira ont procédé au recensement et dénombrement des oiseaux d’eau dans les zones humides de la région.
Quelle est l’utilité de ces recensements annuels ? «L’objectif visé à travers cette opération de suivi consiste en le recensement des différentes espèces qui colonisent des zones humides classées ou non dans le cadre de la Convention dite de Ramsar signée en 1971», explique Ahmed Alileche, conservateur principal des forêts au Parc national du Djurdjura.
Et de préciser : «Il s’agit d’un programme de suivi sur site des effectifs d’oiseaux d’eau, comme les échassiers (flamand rose, grues, foulques, etc.), les limicoles et les oiseaux palmipèdes, comme les canards.»
Ce suivi annuel vise essentiellement l’évaluation des effectifs des différentes espèces d’oiseaux et les fluctuations de leur abondance, en établissant des comparaisons interannuelles, complète M. Alileche.
«La finalité d’un tel travail est de dégager les tendances évolutives de ces espèces mais aussi de ces sites afin de connaître au mieux la biologie de la conservation de cette avifaune», relève-t-il, ajoutant : «En conséquence de quoi, des mesures de conservation seront prises, notamment par la régulation de la chasse, la dépollution des sites dégradés et la sensibilisation sur la valeur patrimoniale de chacune d’elles, en mettant en relief le rôle pivot des zones humides et de la richesse avifaunistique dans le cadre du développement durable.»
Quant à l’analyse des résultats, celle-ci permettra, selon Ahmed Alileche, aux gestionnaires de ressortir les zones importantes pour la conservation des oiseaux et de constituer une base de données indispensable à la gestion et à la protection des populations d’oiseaux. Comment se fait ce recensement ?
L’opération de dénombrement et du suivi sur le terrain s’étale sur une semaine à dix jours. Munis d’un télescope, d’une paire de jumelles, d’un appareil photo numérique et d’un guide d’ornithologie, les observateurs (la Conservation des forêts de Bouira à laquelle vient s’associer le Parc national du Djurdjura), procèdent à l’identification des espèces et au comptage de leurs effectifs via des points d’observation.
«L’opération de recensement et de dénombrement se fait de manière individuelle ou par estimation visuelle lorsque le nombre d’oiseaux est important (plus de 200 sujets) et la distance d’observation est loin», détaille notre interlocuteur qui tient à préciser que les fiches de recensement, qui sont préalablement préparées, comportent toutes les informations relatives à la description du site et aux données de recensement qui traduisent la richesse spécifique du site et l’abondance de chacune d’elles.
Des imperfections sont à corriger. Ce conservateur principal des forêts relève certaines anomalies, lors de ces sorties sur le terrain, qu’il qualifie «d’imperfections » en appelant à les corriger. «Dans le souci de mener à bien cette surveillance à long terme, selon les dires de nos collègues forestiers aussi bien au sein du Parc national du Djurdjura qu’au niveau de la Conservation des forêts de Bouira, des imperfections sont à corriger à l’avenir», estime cet écologiste.
En premier lieu, il évoque problèmes liés à la formation du personnel affecté à ce recensement. «Il s’agit d’abord de former les observateurs qui ne sont que des ornithologues amateurs par des sessions de formation qui seront encadrées par des ornithologues spécialistes», préconise-t-il, estimant que le profil et l’expérience par l’exercice pratique doivent donner une bonne base aux observateurs pour éviter toute erreur de comptage mais surtout d’identification.
Au problème de formation, s’ajoute celui des moyens déployés. «Ces éléments, une fois formés, auront besoin d’un matériel adéquat leur permettant de visualiser au mieux les espèces et d’en capter des images de haute qualité, sachant que les espèces n’ont pas toutes la même détectabilité», suggère ce conservateur principal des forêts.
Ce dernier insiste sur l’importance de cet équipement sophistiqué, qui, selon lui, permettra d’enregistrer même les chants et les cris des oiseaux. Il insiste également sur la nécessité d’«aménager des points d’observation donnant facilement accès à l’étendue d’eau».
Une méthodologie à revoir D’après ce spécialiste en biodiversité, la méthodologie adoptée doit être également revue. «Il faut s’inspirer par mimétisme scientifique des pays chevronnés en la matière. Si, actuellement, le recensement et le dénombrement se font uniquement au sol, il faudra à l’avenir combiner cette méthode au suivi aérien et par canoë ou embarcation. Bien évidemment, la multiplication d’agents observateurs et l’étalement du temps de recensement est indispensable», recommande-t-il.
Telle que pratiquée actuellement, la méthode, selon ses dires, souffre de carences en matière de couverture temporelle de l’ensemble des activités des oiseaux. «La technique de comptage est pour beaucoup dans la réussite et l’efficacité de ce suivi ornithologique. La perfection est à chercher dans la constance de la méthode. Ce qui revient, donc, à éviter toute modification méthodologique, notamment par le changement de technique d’observation et le changement des observateurs», fait observer M. Alileche qui plaide pour la «standardisation» de la méthodologie afin de la reproduire annuellement.
Par ailleurs, la répétition des recensements annuels, sur une longue période, permettra, selon lui, d’enrichir la base de données sur une longue série d’observations, «et du coup de dégager des tendances significatives». «Les comparaisons interannuelles des résultats doivent être traduites statistiquement par des logiciels pour être plus significatives», conclut-il.
Il y a lieu de souligner qu’à Bouira, ce dénombrement des oiseaux d’eau se fait sur deux phases : la phase hivernale et la phase printanière, précise M. Alileche. Ce suivi, affirme-t-il, a été lancé de manière continue depuis 2013. «Il se fait aussi bien dans les zones humides naturelles (lac Errich, lac El Madjan, Oued Lakhal, etc.) qu’artificielles (barrages hydrauliques de Tilsdit et Koudiat Tasserdount)», souligne-t-il.
Gare à l’aventurisme ! Autre anomalie, l’analyse des données obtenues dans la région de Bouira par les recensements opérés depuis 2013, laquelle, d’après le Conservateur, ne se fait pas au niveau local, relevant que c’est le bureau régional de Béjaïa qui s’occupe de cette tâche cruciale (l’analyse). Notre interlocuteur est convaincu qu’«il serait plus pertinent de décortiquer les informations par le personnel opérationnel local qui a été chargé du suivi. «La connaissance du terrain (sites de suivi) est un pilier dans l’interprétation et le sens à donner aux résultats.
La connaissance de la biologie de la conservation des espèces avifaunes des zones humides est quasi indispensable. On ne peut recenser une espèce dont on ignore le moment de son hyperactivité (nourrissage et reproduction) et moment de repos», met en exergue Ahmed Alileche. Il dénonce certaines pratiques dévoilées par les réseaux sociaux liées à ce recensement.
Des pratiques qu’il qualifie «d’amateurisme si ce n’est d’aventurisme». Ces pratiques sont l’œuvre de certains profanes qui, selon lui, en transgressant la réglementation, baguent des oiseaux et pratiquent «le donquichottisme scientifique». «Ce travail relève de la recherche spécialisée et ne peut en aucun cas faire l’apanage de tels intrigants», insiste-t-il.
À ce propos, ce spécialiste lance un appel afin que l’université puisse apporter sa contribution dans ce domaine, en encadrant des étudiants de la filière écologie animale, dans ce domaine mais sur des chronologies assez longues. «Les gestionnaires sont appelés à préconiser des mesures de conservation pour les espèces dont le déclin des effectifs est avéré», insiste Ahmed Alileche.