Le mois du jeûne n’est pas de tout repos, déjà une cinquantaine de morts pour 1000 accidents de voiture, cherté de la vie avec viande locale à 2800 DA le kilo. Et des polémiques sur les chaînes TV pour leurs séries qui amassent beaucoup d’argent.
Lundi 18, à la veille du 19 mars, jour du cessez-le-feu de 1961, Mehdi Benaïssa, producteur nommé par le ministère de la Culture commissaire du Festival international du film engagé se rase la tête en direct sur les réseaux sociaux. Pourquoi ? Pour dénoncer les assauts publicitaires dans le prime time du ramadan pendant la diffusion des séries TV après la rupture du jeûne, des pages de publicité qui durent parfois jusqu’à 45 minutes.
Pour étayer son propos, Mehdi Benaissa montre une séquence où son frère Khaled Benaïssa (Larbi Ben M’hidi dans le film de Bachir Derraïs) bousculé par l’intrusion d’une publicité sur un soda pendant une scène où il joue dans la série-phare de cette année, El Barrani, de Yahya Mouzahem.
Pourtant, le 3 mars déjà, l’ARAV, devenue l’Autorité nationale indépendante de régulation de l’audiovisuel (ANIRA) depuis l’adoption de la loi sur l’audiovisuel de 2023, qui a annulé celle de 2014, rappelait dans un communiqué de «veiller au respect de ces cahiers des charges par les services de communication audiovisuelle» et «à l’ensemble des professionnels du secteur de l’audiovisuel, la nécessité de respecter les spécificités et la sacralité du mois de ramadan, de se conformer strictement aux règles juridiques et éthiques et de ne pas se laisser entraîner par des visées purement lucratives ou verser dans le sensationnel au détriment de la profession.»
L’ANIRA s’inquiétait déjà en début de ramadan d’une diffusion excessive de spots publicitaires, mettant en garde dans le même communiqué les chaînes de télévision «quant à l’importance de respecter les lois et les réglementations qui encadrent le secteur publicitaire à la télévision».
Peine perdue, «j’étais content et rassuré de la réaction de l’ARAV», explique encore Mehdi Benaïssa, «mais depuis cinq jours que le communiqué est sorti rien n’a changé».
L’histoire ne s’arrête pas là, puisque quelques jours avant, le 14 mars, c’est pour la même série El Barrani que le directeur de la chaîne Echourouk TV qui la diffuse, est convoqué par le ministre de la Communication Mohamed Laagab, lui-même professeur agrégé à la Faculté des sciences de l’information et de la communication, mettant en cause son contenu, notamment des jeunes qui prennent des drogues dures (cocaïne) dont l’une d’elle y succombe d’overdose. Si l’année d’avant, c’était Edamma du même Yahya Muzahem qui avait suscité une polémique et n’a pas eu de 2e saison alors qu’elle a été placée numéro 1 en 2023, c’est en fonds la guerre des chaînes TV et des sociétés de productions qui se livrent à tous les coups permis et non permis entre elles, un autre réalisateur d’une des séries phares du ramadan qui a tenu à l’anonymat, parlant de procédés déplacés comme les dénonciations de chaînes par d’autres directeurs de chaînes pour les briser, les recrutements de trolls sur Internet pour descendre telle ou telle série et faire le buzz, avec comme cadre général, l’argent.
Car près de 500 milliards sont ainsi échangés pendant chaque ramadan à travers sponsoring et publicités, avec comme critère monétaire le nombre de vues cumulées, ce qui explique les uploads sur Internet par les chaînes TV elles-mêmes, la comptabilité étant impossible sur téléviseur.
Sauf que l’intervention du ministère de la Communication soulève encore une fois la question de la fonction ANIRA, «autonome», comme l’a rappelé le ministre, l’article 58 de sa loi fondatrice stipulant qu’elle «exerce ses missions en toute indépendance», créée justement pour être l’instance indépendante légalement mandatée pour communiquer, mettre en garde et sanctionner les écarts dans le paysage audiovisuel.
Car en convoquant les directeurs des chaînes de télévision lors d’une réunion portant sur leurs programmations durant le mois de ramadan, le ministre a de fait récupéré les prérogatives de l’ANIRA. Alors qui fait quoi ? Un peu de Coca-cola ?
Comment gérer en Algérie des chaînes TV algériennes qui ne sont pas de droit algérien ?
Le cadre état pourtant installé et les décrets pleuvant. Juste avant le ramadan, le président par intérim de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel, Amar Bendjedda, était officiellement installé par décret le 26 février 2024 par Mohamed Laagab, lui-même récemment nommé par décret en septembre 2023. Prudent et respectueux, le communiqué du ministre de la Communication précisait que cette «nomination faisait suite à une décision du président de la République, Abdelmadjid Tebboune».
Amar Bendjedda prend la relève de Mohammed Louber qui occupait alors le poste de président de l’Arav depuis 2020, ce dernier bénéficiant dans la foulée d’un autre décret publié au même numéro du journal officiel désigne Mohammed Louber en tant que membre du Conseil de la nation, au titre présidentiel. Le 20 février 2024, le ministre de la Communication installait la commission de veille chargé du suivi des programmes diffusés par les chaînes télévisées durant le mois de ramadan. Mais qu’est-ce que l’ARAV ? C’est l’ANIRA. Mais qu’est-ce que l’ANIRA ?
Une autorité où on trouve des universitaires comme Aïcha Kassoul, Ghaouti Mekamcha et Zaïm Khenchelaoui, composée de neuf membres nommés par le président de la République pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois, avec quelques limites, ils et elles ne doivent jouir d’aucun mandat électif, emploi public, activité professionnelle ou responsabilité exécutive dans un parti politique, et surtout pas d’une activité liée à l’audiovisuel durant les deux années suivant la fin de leur mandat, une disposition qui n’avait pas été respectée lors de la nomination de Lotfi Cheriet au poste de directeur général de l’Etablissement public de télévision (EPTV) en 2019.
Bref, depuis, l’ARAV sévit, en janvier 2021, elle suspend définitivement le programme Ma Wara’e El joudrane (Derrière les murs) sur Ennahar TV, «pour plusieurs dépassements professionnels et moraux» et son «insistance» à aborder des tabous et des problèmes sociaux portant atteinte à la morale et aux valeurs sociales.
Fin janvier 2021, l’ARAV suspend l’émission Li Fat Mat de Echourouk TV, mais autorisé à diffuser cinq épisodes restants après l’engagement de son responsable à «apporter un changement radical au programme», l’émission ayant donné, selon l’ARAV, «une image dégradante des relations enfants-père» et provoqué «le mécontentement de la famille algérienne et de l’opinion publique». Juin 2021, l’ARAV suspend la chaîne El Hayat TV pour une semaine suite à la diffusion d’une interview polémique sur l’Emir Abdelkader. Avril 2022, l’ARAV convoque la directrice de la chaîne Echourouk TV suite aux plaintes reçues à propos «de dépassements attentatoires à la sacralité du mois de ramadan» dans le contenu de certains épisodes du feuilleton Babour Ellouh.
En novembre 2022, hors ramadan, la chaîne de télévision privée El Adjwaa TV est définitivement fermée pour avoir diffusé un film dans lequel un couple s’embrassait, l’ARAV parlant de «scènes offensantes et contraires aux valeurs de notre société et à notre religion».
Sauf que cette fois-ci, c’est donc le ministre lui-même qui convoque les directeurs de chaînes pour leur expliquer la morale de la société. En réalité, depuis 2023, la nouvelle loi sur l’audiovisuel n’a pas réglé les problèmes gérés par la loi de 2014 et même avec son nouveau nom, ANIRA, l’autorité, ou les autorités de régulation n’ont pas réglé le problème de fonds, 60 chaînes TV off shore, c’est-à-dire de droit non algérien, activent en Algérie et touchent des milliards en publicité, une des absurdités les plus célèbres du champ télévisuel national, 5 seulement étant officiellement agréées, Ennahar TV, Echourouk TV, El Djazairia, Dzaïr TV et Hoggar TV. C’est la question qui tue, si elles sont de droit étranger, qui les finance ?
L’ANIRA n’y a toujours pas répondu. Mais c’est le ramadan, il faut savoir laisser la chorba couverte. Et même les cheveux de Mehdi Benaïssa vont repousser.