Rached Ghannouchi arrêté et les locaux du parti Ennahdha fermés : La fin de l’islam politique en Tunisie ?

19/04/2023 mis à jour: 01:10
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Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahdha

Une source du ministère de l’Intérieur a indiqué à l’Agence TAP que Ghannouchi a été arrêté pour des «déclarations incitatives». L’arrestation a été opérée lundi, au moment de la rupture du jeûne de la nuit du Destin. La même source a précisé que Ghannouchi «va rester le temps qu’il faut pour l’instruction, jusqu’à la prise de décision par le parquet». 

Un signal qui ne détrompe pas sur l’intention du président Saïed de vouloir en découdre avec l’opposition et, spécialement, l’islam politique. Et même si Ghannouchi a été déjà interrogé une dizaine de fois par la brigade anti-terroriste sur divers dossiers, c’est la 1re fois qu’il s’agit d’une descente de brigades dans le domicile de Ghannouchi avec mandat d’amener et fouille minutieuse. 

La descente et les fouilles se sont étendues aux locaux d’Ennahdha où des dossiers et des ordinateurs ont été saisis. Le président Kaïs Saïed a déclaré hier dans son discours de célébration du 67e anniversaire des Forces de sécurité intérieure qu’il «n’y a pas de place dans l’Etat à ceux qui ont fait le mauvais choix», puisque «la vérité est claire et le mensonge est clair». Pareils propos traduisent sa volonté d’en découdre avec ses opposants. 

Le ministre de l’Intérieur, Kamel Fekih, a exploité les règlements spéciaux de l’Etat d’urgence en cours en Tunisie (décret 50-1978), en vigueur jusqu’au 31 Décembre 2023, pour donner des instructions aux forces de l’ordre afin d’interdire toutes les réunions et les points de presse dans les locaux d’Ennahdha et du Front du salut national, principale formation de l’opposition puisqu’elle regroupe Ennahdha, Tounes El Irada, le Parti républicain et d’autres petites formations. 

C’est au cours d’une veillée nocturne, organisée le 15 avril par le Front du salut national, que le leader d’Ennahdha a déclaré que «la Tunisie risque la guerre civile si jamais elle se débarrasse de l’islam politique ou de la gauche». 

Propos pour lesquels Ghannouchi a été interpellé. Il est toutefois vrai que quelque chose a vraiment changé en Tunisie avec l’actuelle affaire et son contexte, si l’on sait que les autres comparutions de Ghannouchi étaient pour des motifs autrement plus sérieux comme le dossier d’envoi de jeunes Tunisiens en Syrie, le blanchiment d’argent ou d’enfreintes à la loi électorale. 

Il n’empêche que ces propos, ne dépassant pas le cadre d’une opinion, soient «une menace flagrante de la paix civile» comme l’a écrit Nizar Bahloul, le directeur du journal en ligne Business News. Le chroniqueur de Radio Mosaïque FM Zyed Krichen a dit, lui-aussi, que «Rached Ghannouchi a, une nouvelle fois, raté l’occasion de se taire». Les autorités tunisiennes ont également arrêté trois parmi les dirigeants d’Ennahdha, Mohamed Goumani, Belgacem Hassen et Mohamed Chniba, quelques heures après Ghannouchi dans le cadre de la même affaire. 

Harassé, jamais arrêté

Depuis son retour en Tunisie en 2011, le leader d’Ennahdha a été l’un des visages les plus en vue de la Tunisie d’après Ben Ali. Il a conduit son parti à la victoire lors des premières élections démocratiques en Tunisie, celles du 23 octobre 2011. Ennahdha a obtenu 89 sièges sur les 217 à pourvoir. Ghannouchi est également parvenu à installer un compromis avec feu Béji Caïed Essebsi, suite aux élections parlementaires de 2014, quand Ennahdha est arrivé deuxième derrière Nidaa Tounes, le parti de Béji. Ghannouchi est enfin sorti de l’ombre en 2019 et il a occupé le poste de président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), depuis début 2020 et jusqu’au 25 juillet 2021, date du coup de force du président Kaïs Saïed. Sa sortie de l’ombre ne lui aurait pas réussi, puisqu’à 82 ans, à la rupture du jeûne de la nuit du Destin, il ne parvient ni à rompre son jeûne, ni à faire sa prière ; il fût conduit à la caserne de Laouina pour être interrogé. 

Toutefois, il est vrai que Ghannouchi n’était pas aimé en dehors de ses troupes. Depuis 2013 et l’assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, le leader d’Ennahdha est considéré comme assassin et terroriste. Son parti est populairement accusé d’être derrière ces assassinats. Rares sont les manifestations où on ne scande pas  «Ghannouchi assassin !» 

Son parti a également bénéficié de lobbying américain, et c’est écrit sur les registres du Secrétariat américain de la justice. Durant ses deux mandats à la tête de l’ARP, il y a eu plusieurs violations de la loi et même des agressions physiques de députés, décriées par l’opposition et le peuple. Mais tout cela est passé pratiquement inaperçu et voilà que Ghannouchi est arrêté pour «déclarations incitatives». 

Tunis
De notre correspondant  Mourad Sellami

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