La relance du Barrage vert ne peut se faire sans un bilan écologique et politique et une rétrospective sur les modalités de son lancement. Ce projet a vu le jour en 1970 sous l’injonction du président Boumédiène, et son lancement n’a été effectif qu’en 1973. Ce projet, sous les directives politiques, a été confié au Haut Commissariat au service national qui a opté pour l’installation de gàroupement de travaux forestiers sur l’espace délimité pour cette bande verte.
La délimitation ainsi que les orientations techniques sont restées très sommaires puisque les volets tant écologiques que d’aménagements durables n’ont pas été pris en compte. La préparation du sol aux plantations s’est faite avec un rootage qui a détruit le sol peu évolué et sur croûte calcaire et a perturbé ses horizons. Le choix des espèces a porté sur le pin d’Alep, un choix en total contradiction avec les associations végétales endémiques. Il en est de même pour la densité de plantation retenue dépassant les 1600 plants par hectare ignorant le concept d’espace vital nécessaire à chaque plant dans des contrées arides. Avec ses erreurs techniques et d’organisation, le Barrage vert n’a pas été une réussite puisque les taux d’échec avancés dépassent les 40% auxquels il faut ajouter les attaques de la chenille processionnaire qui a détruit et asséché un pourcentage avoisinant les 20%.
Les principales causes de la désertification
Sans identifier et maîtriser les causes multiples de la désertification et de l’avancée des dunes, il serait totalement illusoire de pouvoir les gérer et les atténuer. Les principales causes sont dans l’ordre :
•Historiques et sociaux : L’utilisation agricole des sols remonte à plus de 6000 ans avant Jésus Christ et a connu une grande ampleur depuis l’époque romaine due aux invasions successives et les colonisations qui ont provoqué une instabilité sociale suite à un accroissement démographique accéléré et à prédominance rurale en défaveur d’une gestion durable des terres ;
•Politiques : Pour maintenir les populations en place et répondre aux besoins des troupeaux tenus par une certaine classe, une officialisation du défrichement par la mise en valeur au niveau des Hauts Plateaux s‘est traduite par une désertisation d’écosystèmes luttant contre la désertification
•Economiques : Exploitation abusive des nappes alfatières et assimilées sur plus de 6 millions d’hectares pour l’exportation, politique d’autosuffisance alimentaire et monoculture céréalière avec une mécanisation à outrance et inadaptée pour la conservation des eaux et des sols ;
•Parcours et élevage : Une utilisation intense et dégradante d’écosystèmes naturels pérennes comme terrain de parcours avec un ratio de plus de 5 équivalents ovins par hectare alors que la norme n’est que de 0, 25.
•Fonciers : Propriété collective de presque tous les parcours collectifs naturels décourageant tout investissement par les usagers pour leur aménagement, morcèlement et réduction extrêmes des exploitations agricoles privées qui ne facilitent pas leur gestion durable ;
•Climatiques : Sécheresses extrêmes plus fréquentes et persistantes. Quatre épisodes de sécheresse extrême parmi les dix du XXe siècle ont eu lieu durant ses 15 dernières années dans les pays du Maghreb.
Les principales causes de l’échec du Barrage vert
Il faut se rendre à l’évidence que le Barrage vert dans sa conception initiale s’est soldé par un échec pour les raisons suivantes :
•L’ignorance du phénomène de désertification et de désertisation n’ont pas permis de mettre en place une stratégie scientifique, technique et politique induisant une feuille de route durable à long terme.
•Une mauvaise délimitation puisqu’elle n’a pas été faite sur une base écologique (sol, climat, associations végétales, géographie, aménagement) devant permettre la mise en place de zones homoécologiques
•Une absence de stratégie de restauration des formations végétales naturelles pérennes axée sur les espèces clés de voûte et résilientes
•Les techniques de préparation du sol ont été désastreuses puisque le rootage a perturbé les horizons du sol et la perturbation de sa dynamique de fertilité
•Des formations végétales pérennes ont été détruites par le rootage notamment celles des associations à Stipa tenacissima, Artemisia herba alba, Hamada scoparia, Lygeum spartum, les espèces psammophiles, les espèces halophiles et les steppes mixtes assez complexes.
•Une absence de maîtrise des techniques de préparation du trou de plantation et de manipulation des plants de la pépinière à la jauge au trou
•Un très mauvais choix des espèces où le pin d’Alep est à plus de 85% alors qu’il ne relève pas des espèces endémiques
•Une densité entre 1600 et 2000 plants par hectare ignorant le principe d’espace vital indispensable pour la réussite des plantations en zone arides
•La qualité de l’élevage des plants sont une autre cause déterminante des échecs puisque des plants élevés dans l’étage bioclimatique subhumide et humide ont été introduits dans un étage aride
•L’origine des graines ayant servi à la production des plants est totalement inconnue, une causes principale de l’échec
•L’arrosage à raison de 20 litres par potet, action impossible à maintenir dans des contrées arides induisant des coûts exorbitants
•Le manque de suivi et d’interventions d’aménagement d’entretien et de protection ont concouru à la dégradation des boisements
Quelle espèce prioriser ?
Les formations steppiques restent le meilleur moyen pour lutter contre la désertification avec un coût très faible et un fort taux de réussite en augmentant la superficie de ces 4 associations à raison de : 3 millions d’hectares d’armoise (chih), 2 millions d’hectares de sparthe (sennagh), 1 million d’hectares d’atriplex (guettaf) et 5 millions d’hectares de groupements végétaux divers.
En prenant en considération les aspects écologiques, techniques et socioéconomiques soutenus par des résultats de recherche et de réussite sur terrain, il est possible de dresser une liste des espèces à introduire par strates et dans une chronologie temporelle.
•Espèces sous-arbustives pérennes : Atriplex mollis, Arthrocnemum macrostachyum, Erodium arborescens, Stipa tenacissima, Stipa grostis pungens, Artemisia herba alba,Atractylis humilus,
•Espèces arbustives pérennes : Calligonum comosun, Zizyphus lotus, Pistacia lentiscus, Retama retam,
•Espèces arborescentes : Acacia tortilis, Balanites aegyptiaca, Olea lapperenei ; Tamarix africana, Juniperus oxycedrus, Pistacia therebethus,
Feuille de route à moyen et long termes
Une feuille de route à court, moyen et long termes s’impose pour tous les pays du Maghreb puisqu’ils font face au même phénomène qui se présente uniformément dans la partie méridionale.
6.1- Court terme
•L’encouragement de la mise en défens des écosystèmes naturels jouant un rôle déterminant dans la lutte contre la désertification
•L’interdiction de la pratique de l’élevage dans les zones steppiques qui restent un rempart naturel contre la désertification ;
•La protection et l’extension des steppes, unique rempart naturel limitant la désertification
•Multiplier les espèces clés de voûtes et endémiques ligneuses sous-arbustives adaptées à l’aridité
•Protéger et développer les associations végétales pérennes des biotopes semi-aride et aride et même saharien supérieur
•Mettre en place un comité d’expert dans chaque pays avec des réunions d’échange au moins une fois par an
6.2- Moyen terme
•Encourager la régénération et amélioration de l’écosystème steppique puisque les techniques existent et sont expérimentées
•Le renforcement des capacités des principaux acteurs avec un appui à la recherche et au transfert des technologies ;
•Développer la production fourragère et opter pour un élevage intensif sur les terrains de parcours et agricoles
•Réhabiliter les zones salées (chotts et dépressions) en y intégrant des espèces fourragères résistantes à la salinité
6.3- Long terme
•La mise en place d’un environnement institutionnel et de politique favorable à la lutte contre la désertification à tous les niveaux spatiaux organisationnels
•La révision des schémas directeurs d’aménagement du territoire et les schémas de cohérence des territoires. Ce dernier permettrait de cibler les territoires selon leurs potentialités et délimiterait les espaces quant à leur utilisation et exploitation.
•La cartographie à grande échelle actualisée du phénomène de la désertification et de la désertisation
•La délimitation des zones homoécologiques induirait la protection, la préservation et l’aménagement durable des déférents espaces délimités en corrélation avec la lutte contre la désertification
•Découpage écologique des territoires et débuter par la base : l’unité paysagère avec sa feuille de route
•Imposer un suivi d’évaluation et d’audit pour toutes opérations engagées
Conclusion
La réussite du Barrage vert dans sa nouvelle version pour lutter durablement contre la désertification ne peut se concrétiser que si :
•Les réelles causes de la désertisation sont identifiées, évaluées et prises en charge.
•Une nouvelle approche écologique et technique est à déterminer.
•Eviter de rêver pour introduire des espèces fruitières avant de restaurer le biotope
•Confier la gestion de cette bande verte à des spécialistes pouvant assurer sa réussite et sa gestion
•La mise en place d’une feuille de route à court, moyen et long termes
•La réhabilitation des écosystèmes détruits par la mise en valeur
Les actions urgentes à prendre en charge sont :
•Opter pour un schéma de cohérence des territoires en débutant par l’unité paysagère qui doit constituer la base de toute stratégie durable
•La protection des écosystèmes naturels steppiques et des associations végétales présahariennes en y interdisant tout pratique de l’élevage
•Sélectionner une liste d’espèces résilientes issues des associations steppiques et sahariennes pour en faire des espèces de restauration des écosystèmes dégradés
•Renforcer les capacités de toutes les parties intervenantes dans la lutte contre la désertification
Agroforesterie et lutte contre la désertification
Par le Pr K. Benabdeli
Ecologue, Ancien cadre de l’ONTF, ancien directeur général adjoint de l’ORDF de Tiaret (région Hauts Plateaux ouest) et ancien enseignant-chercheur ; [email protected]