«Un seul héros, le peuple !»
L’arrestation de Boualem Sansal par les autorités algériennes a déclenché une vive réaction en France, où de nombreuses voix, parmi surtout les courants politiques et intellectuels de la droite et l’extrême-droite, dénoncent une atteinte à la liberté d’expression.
Cependant, une réalité plus complexe se cache derrière tout le tintamarre ! Une réalité qui dépasse largement le cadre littéraire ou médiatique de ce phénomène ! Dans ce contexte, l’Algérie perçoit cette affaire comme étant purement interne et interprète les bruits et gesticulations produits de l’autre côté de la Méditerranée comme des provocations directes envers sa souveraineté ainsi que sa mémoire historique.
Depuis des années, les œuvres et les déclarations de Boualem Sansal défient les récits historiques officiels de l’Algérie, remettant en question la mémoire de la Révolution et son rôle fondateur dans la définition de la nation. Pourtant, malgré ses critiques croissantes, les autorités algériennes s’étaient jusque-là abstenues d’agir contre lui. Cette retenue montre que l’arrestation de Boualem Sansal ne pourrait être l’effet d’une décision impulsive, mais serait plutôt une réponse réfléchie à ses déclarations les plus récentes — en particulier celles qui remettent en cause l’identité géographique de l’Algérie ! Des propos que je ne rappellerai pas ici.
Ces déclarations n’ont pas seulement offensé les récits dominants ; elles ont touché au cœur de ce que les Algériens considèrent collectivement comme relevant du sacré : le sang des martyrs qui ont combattu pour l’indépendance de la nation et l’unité d’un peuple forgée par une longue lutte de libération. Dans ce contexte, l’action de l’Etat relèverait moins de la censure que d’une réponse perçue comme nécessaire à la défense de la mémoire nationale.
Bien que célébré dans certains cercles comme une voix dissidente, les connexions et actions de Sansal révèlent un profil qui dépasse celui d’un simple écrivain. Sa visite en Israël, son apparition au Mur des Lamentations coiffé d’une kippa et son alignement avec certaines narrations géopolitiques de la droite française antagonistes envers l’Algérie soulèvent des questions sur ses motivations profondes et sur les implications plus larges de son personnage public. En effet, ces actions résonnent profondément dans un pays où la cause palestinienne occupe une place symbolique et particulière dans la conscience nationale.
Sa proximité présumée avec des intérêts étrangers interprétés comme hostiles à l’Algérie n’est pas passée inaperçue non plus. La campagne frénétique menée en France pour «libérer» Sansal suscite également des interrogations. Elle paraît disproportionnée pour le cas d’un écrivain individuel, laissant penser que la situation de Sansal est instrumentalisée dans des batailles culturelles et géopolitiques plus larges.
En présentant l’arrestation de Sansal comme une atteinte aux libertés universelles, la campagne menée en France détourne l’attention d’une réalité plus vaste : que les actions et déclarations de Sansal agressent le sens de l’identité collective ainsi que la mémoire du peuple algérien.
La forte réaction en France, en particulier parmi les figures politiques et les médias, semble refléter un malaise profond face à l’émancipation de l’Algérie. Le cas de Sansal est devenu un prétexte pour raviver des griefs historiques, certains cercles français interprétant encore la perte de l’Algérie comme possession coloniale.
Pour l’Algérie, cette campagne semble moins relever de la défense de la liberté d’expression que d’une tentative perçue comme une volonté de réaffirmer une influence sur un Etat postcolonial qui s’est récemment éloigné de l’orbite française.
Pourtant, lorsque l’Algérie, à l’instar de beaucoup de pays, agit pour protéger sa propre mémoire historique contre ce qu’elle perçoit comme des distorsions faites par un écrivain, historien ou autre, elle serait dans son rôle ! Qu’elle soit attaquée de toute part et qualifiée, dans ce cas, d’oppresseur peut sembler incompréhensible pour beaucoup en Algérie qui y voient un double standard de la part d’une France, encore considérée comme imprégnée de relents coloniaux, ce qui souligne l’application sélective de valeurs comme la liberté d’expression.
L’ironie est frappante. La criminalisation du négationnisme en Europe, par le biais de lois et règlements, révèle une contradiction majeure.
Cette France, qui se présente comme donneuse de leçons en matière de liberté d’expression, s’est montrée particulièrement zélée pour instaurer un cadre législatif visant à criminaliser et sanctionner les négateurs du génocide des juifs européens, souvent qualifiés de «négationnistes».
La loi Gayssot en France en est un exemple, illustrant comment certains événements historiques, tels que l’Holocauste (la Shoah), relèvent de l’ordre de l’intouchable. Ces lois se justifient par la volonté de protéger la mémoire des victimes de «crimes contre l’humanité». Pourtant, cette même «humanité» est restée étrangement aveugle, entre autres, aux génocides et aux crimes perpétrés contre le peuple algérien depuis 1830.
Cette double norme a un effet plutôt débilitant sur les intellectuels en France ou ailleurs en Europe : écrivains, historiens, journalistes et penseurs sont contraints d’accepter une vision officielle de l’histoire, celle imposée par le récit dominant d’Israël sur la Shoah. Ceux qui osent la remettre en question sont souvent réduits au silence, emprisonnés ou marginalisés.
Un exemple frappant est celui de l’historien britannique David Irving, arrêté le 11 novembre 2005, au cours d’une visite en Autriche, pour des propos négationnistes contenus dans certains de ses ouvrages publiés 17 ans auparavant. Irving fut emprisonné pendant trois ans pour avoir surtout rejeté la thèse dominante concernant le nombre de victimes de la Shoah. Ses positions sur la Shoah avaient été jugées inacceptables dans la plupart des pays européens.
Aucun pays au monde ne tolérerait qu’un écrivain ou une figure publique minimise ses sacrifices historiques ou remette en question son intégrité territoriale, en particulier concernant la mémoire de ses combattants de la liberté. La France elle-même n’a pas permis de telles critiques de sa propre histoire, notamment sur la Seconde Guerre mondiale et l’héritage de la Résistance, sans des conséquences sévères pour le contrevenant potentiel.
Et que dire du traitement des militants corses, comme Jean-Guy Talamoni, toujours soumis à une répression politique implacable ?
Citons comme autres exemples la situation de prisonniers politiques comme George Ibrahim Abdallah, militant libanais emprisonné en France depuis 1984 pour des accusations controversées, ou celle de Julian Assange, le journaliste et lanceur d’alerte qui, bien que désormais libre, a été persécuté pendant des années pour avoir exposé des crimes de guerre, sans que la France ne s’émeuve pour autant à leur sujet.
L’intervention de la France dans l’affaire Sansal n’est pas seulement superflue ; elle aggrave une situation déjà délicate et dessert certainement les intérêts de l’écrivain. Au lieu de contribuer à une discussion plus mesurée, les responsables français ont exacerbé les tensions, transformant une affaire intérieure en un spectacle international. En soutenant Sansal avec tant de véhémence, ses partisans en France renforcent l’impression de vouloir imposer leur propre vision des affaires internes de l’Algérie. Cette pression extérieure complique la situation, car elle pousse l’Algérie à réagir plus fermement qu’elle ne l’aurait fait autrement.
La France, qui a perdu son combat pour l’influence en Algérie et en Afrique, semble n’avoir pas tiré des leçons de ses erreurs passées. Plutôt que de tourner la page, en s’excusant pour ses crimes contre l’humanité commis lors de la colonisation de l’Algérie, elle persiste dans une posture interventionniste et à tendance paternaliste, exploitant le cas d’un écrivain pour ce qui est perçu comme une tentative de nuire à la réputation et à l’identité nationale d’un Etat souverain.
La France doit apprendre à coexister avec une Algérie indépendante et cesser d’exploiter les intellectuels algériens sous prétexte de défendre des valeurs universelles. Cette «guerre culturelle cachée» risque d’éloigner davantage l’Algérie et de réduire l’influence de la langue française au-delà des frontières hexagonales.
En effet, l’affaire Sansal ne concerne pas seulement un individu ou la sacralité de la liberté d’expression. Elle est le microcosme de la lutte en cours entre l’affirmation de la souveraineté de l’Algérie et les tentatives persistantes de forces extérieures d’influencer ses affaires internes, tant sur le plan politique que culturel.
Dans ce contexte, l’arrestation de Sansal, loin d’être un simple acte de répression, reflète la volonté d’une nation de défendre sa mémoire et sa souveraineté contre ce qu’elle perçoit comme des tentatives orchestrées de saper ses fondements. Les actions de l’Etat algérien, bien que controversées, sont largement comprises sur le plan national comme une réponse à la demande collective de protéger la sacralité de la lutte nationale et de la mémoire qui s’y rattache.
Par Nadia Mehdid