Un texte tout en ardentes palpitations et en étincelantes pulsations. Un roman comme un bouquet d’indicibles vibrations : Les vies multiples d’Adam, de l’écrivain algérien Lamine Benallou, paru aux audacieuses et très prometteuses éditions Frantz Fanon.
Consécutivement à un accueil enthousiaste de la critique la plus intransigeante et aux éloges de la presse la plus exigeante et après avoir obtenu, il y a quelques semaines, le prix UFM du meilleur roman algérien d’expression française, décerné par l’université des Frères Mentouri de Constantine, ce roman remarquable figure parmi les cinq finalistes du prix Orange du livre en Afrique pour son édition 2023.
Les cinq finalistes de ce prix prestigieux sont, d’ores et déjà, invités à participer au treizième Salon du livre d’Abidjan, qui se tiendra en mai 2023. L’Algérie sera ainsi aux côtés du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, de la Tunisie et de Madagascar.
Une belle opportunité pour donner de la visibilité à la littérature algérienne, tant à l’échelle continentale qu’internationale. Les vies multiples d’Adam est un roman original d’un écrivain authentique. Avec ce roman, Lamine Benallou dément la métaphore «avoir plusieurs flèches à son arc». Car cet écrivain discret, mais aussi fécond qu’inventif, manie plusieurs arcs avec une infinité de flèches.
Qu’il décoche toujours avec la même veine. Ecrivain, essayiste, chroniqueur, notamment dans Algériecultures.com, le premier journal culturel algérien en ligne, conférencier, chercheur et enseignant de linguistique et de littérature espagnole dans plusieurs universités. Auteur de plusieurs textes, adages et aphorismes sur une foultitude de sujets dans nombre de réseaux sociaux.
Cette fougue d’écrire, affirmée et assumée précocement, ne l’a pas empêché d’occuper plusieurs fonctions puisqu’il a été enseignant-chercheur à l’université d’Oran, de Mostaganem, de Granada, et d’Alicante ainsi que d’autres universités en qualité d’enseignant invité.
Parallèlement à l’écriture vibrante de Les vies multiples d’Adam, Lamine Benallou continue de peaufiner et de raffiner la finalisation d’un monumental Dictionnaire amoureux d’Oran.
Une ville qui vit en lui, depuis sa naissance, comme une flamme inextinguible. Parmi ses publications, de nombreux ouvrages et contributions dans diverses revues nationales et internationales : L’Oranie espagnole.
Approche sociale et linguistique (2002). Un travail pionnier sur les Hispanismes et les contacts linguistiques et culturels dans l’Oranais. La première et la seule monographie complète publiée sur les emprunts espagnols à Oran. Une seconde édition sort en 2018 sous le titre : Oran et l’Espagne au XXe siècle.
Contacts linguistiques et culturels. Un ouvrage de référence qui a inspiré de nombreux travaux universitaires, de thèses et mémoires… Suivent ensuite Al Andalus, voyages dans la mémoire. Sur les traces de la civilisation hispano musulmane, un récit de voyage à travers l’Andalousie (2010).
Para un Islam de las luces. Volver al espíritu de Córdoba, Ed. Al muzara 2019 : ouvrage présenté, à sa sortie, à l’Institut Cervantes d’Oran et au CRASC, en présence d’éminents chercheurs algériens et espagnols. Pour le volet littérature, l’auteur compte déjà un premier roman intitulé : Les porteurs de parole, éditions l’Harmattan 1998.
Cette luxuriante production académique et littéraire n’a pas empêché notre écrivain d’exercer des activités en rapport avec le patrimoine culturel, puisqu’il a été directeur du département culturel de la fondation El legado andalusí de Granada.
Lamine Benallou, l’enseignant, le chercheur, l’essayiste, le chroniqueur et l’écrivain, s’est d’emblée placé au creux des méandres de l’interculturalité au moment ou d’autres en faisaient une mode ou un mot d’ordre.
Il réfléchit toujours sur les contacts interculturels entre l’Algérie et l’Espagne, notamment comme promoteur d’un Forum de réflexion : «Espaces de dialogue et interculturalité.
Pour une alliance de civilisations». Un travail sanctionné par un document d’une exceptionnelle densité : «Penser l’interculturalité, l’islam, la littérature... (Textes et (pré) textes, d’ici et d’ailleurs, d’un homme de l’entre-deux...).
Ed. BML. 420 p. Mais la véritable révélation littéraire de Lamine Benallou s’exprime de façon éclatante voire de manière quintescante avec Les vies multiples d’Adam. Une œuvre magistrale de 375 pages qui ne compte plus le nombre de recensions élogieuses depuis sa parution.
Ce roman présente un découpage original, non pas en parties ou chapitres mais en journées. Du premier au quarantième jour, l’auteur nous fait vivre des moments d’une grande exaltation lyrique, parsemée d’émerveillements.
Quarante journées depuis la disparition aussi brutale qu’impromptue de son épouse Amina. Cette dernière ne sera pas enterrée.
Son corps, et non son cadavre, sera conservé dans l’immense frigidaire du foyer familial. Durant quarante jours. Et nous savons l’importance symbolique du 40e jour qui suit une disparition dans la culture religieuse islamique.
Sauf que dans Les vies multiples d’Adam, Lamine Benallou invente et construit une autre symbolique. Une symbolique habitée par une insolite rythmique. Une rythmique ponctuée d’une série de rituels dédiés à la défunte épouse, face à l’imposant frigidaire qui l’abrite.
Du partage du petit déjeuner à la célébration de la date de son anniversaire, en passant par des dialogues sur la banalité et l’insipidité de la vie quotidienne sans elle. Des rituels captivants aussi prenants que fascinants et où l’imagination de l’auteur fait montre d’une fertilité saisissante.
Après le long face-à-face et les dialogues avec le frigidaire-sanctuaire où s’abrite Amina, apparaissent, dans un ordre savamment agencé, d’autres personnages aussi attachants les uns que les autres : Pablo, Emilia, Moha, le petit garçon du labyrinthe, Don Antonio de Olavide qui vit au XVIIe siècle, El Buni, la pierre mystérieuse, l’élu féru d’alchimie, ainsi que d’autres personnages encore émoustillants, éblouissants, parfois étourdissants.
Des personnages savamment enveloppés par le pénétrant savoir littéraire et musical d’Adam, qui traverse le roman comme un luisant reflet autobiographique.
Borges, Bazin, Marc Aurèle, Camus, Gabriel Garcia Marquez et bien d’autres écrivains ou philosophes s’offrent une ronde folle sur les notes envoûtantes de l’Adagio d’Albinoni. Comme pour conjurer le sort d’un Adam accablé par la disparition impromptue d’une épouse adorée.
Adulée, magnifiée et célébrée quotidiennement, depuis sa disparition. Jusqu’à la découverte aussi impromptue qu’inattendue, de ses cahiers intimes et cachés, sur ses rapports adultérins avec de nombreux inconnus.
Une découverte qui ne provoquera ni haine ni aversion à son endroit, mais qui aura pour effet d’exacerber le désir d’écrire d’Adam. Encouragé assidûment et fortement par le mystérieux Don Pablo, rencontré fortuitement.
Commence alors une nouvelle vie d’Adam, jalonnée de découvertes d’autres acteurs et surtout de redécouverte de lui-même dans la grande bibliothèque de la maison de ce Pablo. Parfois en présence du fantôme de sa Minoucha dans un jeu de présence-absence comme une alternance du tangible et du fictif.
De l’existant et l’inexistant. Adam apprend alors à faire cohabiter le réel et l’irréel et à mettre une plume acérée entre les mains fébriles de son imagination bouillonnante. «Le monde perd son sens propre pour n’être qu’une insaisissable métaphore.» Comme le précise fort bellement d’ailleurs la quatrième de couverture. Et les métaphores ce n’est pas ce qui manque dans ce roman scotchant.
Les métaphores peuplent abondamment et frénétiquement ce texte sous la plume enthousiaste, emportée et transportée de l’auteur. Le talent de ce dernier donne à chacune d’elles, l’allure et l’éclat d’un feu d’artifice ou plus précisément d’un bouquet d’étoiles scintillantes.
Dans une trame aussi fourmillante que foisonnante, se glissent de véritables pépites sur l’acte d’écriture et le métier d’écrivain, notamment depuis la rencontre avec Don Pablo, le séjour dans sa maison et la découverte d’un fabuleux labyrinthe hors du temps. Parmi ces pépites : «Dans l’exercice d’écriture, si le cerveau commande la main de l’écrivain, c’est le cœur qui le guide» ou encore «écrire est un entrelacs complexe» …
Ou encore cet extrait du 39e jour, la veille de l’enterrement d’Amina après sa mort, le quarantième jour (le paragraphe le plus court du roman en 21 lignes) «Et d’une certaine façon, quelque chose se mit à changer en moi. Mon âme torturée et tourmentée commença à se sentir en harmonie et mon cœur se transforma.
De battements cadencés en un rythme paisible, serein. Je sentais que de chaque étagère jaillissaient des mots qui pleuvaient, qui m’entouraient, me remplissaient de sensations uniques et de frénésie.» Ici Adam et Lamine s’interpénètrent.
Le personnage et l’auteur partagent et se partagent avant de communier. Dans ce texte majeur, l’écrivain Lamine Benallou dévoile un art d’écrire et de décrire d’une rare fluorescence.
Sans succomber à la moindre tentation surfaite de la brillance. Avec Les vies multiples d’Adam, la littérature algérienne vient, non seulement, d’ajouter à son édifice une pierre scintillante mais surtout de révéler au monde littéraire une plume étincelante.