Procès en appel des auteurs présumés de l’assassinat de Djamel Bensmaïn : La majorité des avocats réclame l’acquittement

21/10/2023 mis à jour: 02:47
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Photo : D. R.

La défense des accusés a majoritairement plaidé l’acquittement. Me Mokrane Aït Larbi s’est offusqué contre le fait «de filmer les aveux des suspects et de les diffuser sur les chaînes de télévision», mais aussi contre le fait que les accusés soient menottés à l’audience. La majorité des avocats a également dénoncé «des condamnations en vrac» et le non-discernement «entre des accusés présents sur les lieux par curiosité et ceux ayant participé aux scènes de violence». Les plaidoiries reprendront aujourd’hui.

Au cinquième jour du procès des auteurs présumés de l’assassinat de Djamel Bensmaïn, le 11 août 2021, à Larbaâ Nath Irathen, les avocats étaient, jeudi dernier, à leur deuxième journée des plaidoiries. La majorité a clamé l’acquittement, un seul la réduction de la peine. La défense d’Amirouche Moali, condamné en première instance à la peine capitale, s’offusque contre les demandes du procureur général qui, selon elle, «a requis des peines maximales en vrac».

Me Izghouti rappelle que l’accusé a aidé «à identifier les personnes qui ont accusé le défunt d'être un pyromane, lors de l’interception de la Clio Campus, poussant la population à le poursuivre». Pour l’avocate, le procureur général a «requis en gros». Elle argumente en affirmant que dans le dossier son mandant ne se trouve que dans une seule photo debout non loin de la Clio Campus et ne filmait pas.

«L’expertise de son téléphone n’a rien révélé. Il est condamné pour complicité d’homicide volontaire alors qu’il n’était pas sur la scène de l’immolation. Il est allé au commissariat et lorsqu’il a vu le défunt par terre ensanglanté, il est reparti. Il n’a pas supporté la scène. M. le procureur général, l’arrêt de la Cour suprême que vous avez cité qui dit que le complice d’un crime est considéré comme l’auteur ne vaut pas la jurisprudence.

Il faut que cette décision soit celle des chambres de la Cour suprême réunies et non pas d’une seule. Elle n’a pas force de loi. Il faut différencier l’auteur du complice.» Elle réclame l’acquittement avant que Me Ahmed Ami, lui succède et parle, lui aussi, de condamnations «en vrac, sans préciser le rôle et la responsabilité pénale de chacun des accusés». Me Seddik Mouhous, présente son mandant comme une «victime» en affirmant qu’il est «entré au commissariat avant que le défunt ne soit descendu du fourgon de la police. Il a quitté les lieux et la ville juste après.

On ne le voit nulle part ailleurs». Il demande l’acquittement et cède sa place à l’avocat de Nekkiche Amar, condamné à 10 ans de prison, Me Zakaria Meriouli. «J’ai très mal pour ces centaines d'erreurs qu’il y a eues dans ce dossier lourd et sensible», dit-il avant d’étayer ses propos. «Nekkich était sur la route de Larbaâ Nath Irathen, quand il a vu la foule se diriger vers le commissariat.

Par curiosité, il y est entré et a pris des photos qu’il n’a pas diffusées sur les réseaux sociaux. Il les a partagées sur Messenger, avec un groupe fermé de ses amis. C’est un militant connu qui active dans le domaine de l’environnement et qui participe à des actions civiques. Il a remis toutes les photos à la police pour aider l’enquête. Il ne mérite pas d’être condamné. Il est innocent. Libérez-le.»

«Les accusés détenus ne devaient pas être menottés…»

Intervenant au profit de Nabil Chmaâla, condamné à 10 ans de prison, Me Gherbi s’offusque : «L’accusé est là à cause de Hassen Saayoud, cet accusé qu’il a pris en cours de route pour lui montrer le chemin. Il voulait aider les sinistrés. Tout au long du chemin, il se méfiait de lui, en raison de son état d’ébriété. La route était bloquée au niveau du commissariat et Saayoud est descendu. L’expertise n’a rien trouvé dans son téléphone. Il n’y a ni photo ni vidéo de lui. C’est le hasard qui l’a mené à cet endroit. Il mérite l’acquittement». Me Mokrane Aït Larbi lui succède.

Il fait partie d’un collectif d’avocats qui défend quatre accusés, Ferhat Ferhat, Youba Yacine Hadj Ali, Koceila Hamitouche et Hadj Azouaou. Il commence par évoquer Youba Hadj Ali : «Il a été embarqué de chez lui à une heure du matin dans une voiture, avant d’être présenté devant le juge qui l’a interrogé puis placé sous mandat de dépôt.»

Et d'enchaîner : «Vous devez savoir qu’il existe une convention internationale des libertés et droits civils et politiques, ratifiée par l’Algérie. Le code de procédure pénale s’en inspire, notamment en matière de respect de la dignité humaine des accusés. Malheureusement, cela n’a pas été le cas. Il en est de même lorsque la police ramène des gens, les filme et diffuse les enregistrements sur les chaînes de télévision, sans que personne n’en parle. Ce qui s’est passé est très grave.

Les suspects étaient interrogés sous les caméras. Quelle légalité reste-t-il aux aveux ?» Me Aït Larbi revient sur l’incident qui a marqué le début des auditions et lié au fait que les accusés avaient les mains menottées. «Les 93 accusés devaient être libres à l’audience. Ils n’avaient pas à être menottés. J’ai entendu parler de leur nombre important, comme si celui des policiers ne l’était pas. J’ai honte des propos d’un de mes confrères qui justifiait ces menottes par la peur. Quels que soient les faits, quel que soit le nombre des accusés, ces derniers doivent comparaître libres de leurs mouvements», dit-il d’une voix coléreuse.

Il revient aux condamnations en première instance et au réquisitoire du parquet : «Le grand procès de Nuremberg, après le Seconde Guerre mondiale concerne des accusés poursuivis pour avoir tué 60 millions de personnes. Combien de peines capitales ont été prononcées ? Onze seulement. Il y a eu 49 condamnations à mort dans cette affaire. Combien de temps a pris le procès de Nuremberg ? Six mois.

Cette affaire, avec près d’une centaine d’accusés, a été expédiée en trois jours. Pourquoi les témoins ne sont-ils pas là ? Pourquoi ne les a-t-on pas ramenés par la force publique ? Les a-t-on empêchés de venir ?» L’avocat revient à son mandant, Ferhat Ferhat, condamné à mort, qui apparaît dans de nombreuses vidéos avec Bensmaïn, avant qu’il ne soit pris par la foule, au commissariat et dans la rue, vêtu d’un pull marqué des ART. «On le voit devant la fenêtre du fourgon, où se trouvait le défunt, qui lui faisait un signe de la main autour du cou. Il vous a dit qu’il ne se rappelait pas pourquoi.

Mais il a reconnu avoir donné un coup de pied à la victime, une fois sortie du fourgon et mise à terre. Est-ce qu’il l’a tué ? Non. Nous ne sommes pas ici pour réclamer l’acquittement, mais pour que les accusés soient jugés et condamnés selon les faits qu’ils ont commis. Vous êtes les seuls responsables des décisions», lance-t-il avant de demander au tribunal «de ne pas prononcer la peine de mort» contre son mandant.

Me Lahcène Bentaya, également avocat du même accusé, entame sa plaidoirie en rendant hommage aux habitants de Ghaza puis déclare : «En fuite, un des accusés que nous avons vu tous à Paris manifester, au nom de la Kabylie, sa solidarité à l’entité sioniste qui bombarde depuis des jours la population de Ghaza, a eu une réponse cinglante de la population de Tizi Ouzou, qui est sortie dans une marche imposante pour exprimer son soutien à la Palestine blessée et meurtrie. Il ne doit plus parler au nom de la Kabylie.»

«Réparez les erreurs et que chaque accusé ait le sort qu’il mérite»

Revenant à son mandant, il tient à rappeler les «conséquences de l’effet de foule», puis souligne l’état psychologique de la foule, constituée essentiellement de personnes qui ont vécu douloureusement les incendies. «Ils avaient perdu de nombreux membres de leurs familles, leurs biens et leurs maisons. Ils entendent qu’un des pyromanes a été arrêté, ils ont tous accourus pour voir. Ferhat n’a pas nié avoir rejoint le commissariat ni avoir frappé le défunt. Il ne peut pas être condamné à mort.»

Il est l’un des rares avocats à clamer une réduction de la peine.

Intervenant au nom de Youba Yacine Hadj Ali, condamné à 20 ans, Me Boumerdassi commence par lancer : «Je ne crois pas à la politique. Pour moi, c’est une escroquerie et les politiciens sont des charlatans. Cette affaire m’a rappelé la période du terroriste. La même méthode, les mêmes procédés ont été utilisés pour tuer et mutiler le défunt. Tout comme les terroristes, étaient nombreux à s’acharner sur la victime. Le résultat est le même. J’ai eu la même boule avec laquelle j’ai vécu durant les dix années du terrorisme, avec un père membre des services de sécurité.»

Pour l’avocat, tout comme durant la décennie noire, «il y a eu des dommages collatéraux, c’est-à-dire des personnes qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Celles-ci ne doivent pas payer pour les autres». Selon l’avocat, Youba Yacine «fait partie de cette catégorie. Il habite à 20 mètres du commissariat. Il serait anormal qu’il voit toute la ville en ébullition à l’extérieure du commissariat sans aller voir. Une seule photo, qui est une capture d’écran, le montre au commissariat. Il n’a pas menti. Il a reconnu y être entré par curiosité. A-t-il saccagé le fourgon ? Non.

Y est-il monté ? Non. A-t-il frappé le défunt ? Non. A-t-il été à la place où la victime a été immolée ? Non. Qu’a-t-il fait alors pour mériter les 20 ans qui lui ont été infligé ? Même l’expertise de son téléphone a été négative. Même la partie civile a déclaré qu’il y a parmi les accusés, certains qui sont des victimes. Tout le monde a été mis dans le même panier

 Est-cela la justice et l’Etat de droit ?» Il présente «les victimes collatérales» comme «des caries qui font très mal», puis fait le parallèle avec les procès devant les cours spéciales des années 1990, avant de conclure : «Ne faites plus les mêmes erreurs. Dans cette affaire, il y a eu beaucoup de dommages collatéraux. Votre tâche sera très difficile. Celui qui a participé à ce crime doit avoir la plus sévère des sanctions, mais celui qui est innocent doit bénéficier de réponses négatives à toutes les charges de votre part.»

Avocat de Rabah Imerzouken, Me Chellat, quant à lui, a comparé les sentences du tribunal de première instance à celles qui ont été prononcées contre les islamistes en Egypte, le réseau de trafiquants de drogue en Colombie, avant d’ajouter : «Durant mes cinquante ans de carrière, je n’ai jamais entendu autant de peines capitales prononcées dans un procès. Réparez ces erreurs et remettez les choses en ordre. Que chaque accusé ait la peine qu’il mérite».

Me Chellat revient sur la déclaration du père du défunt à l’audience, notamment à propos des gens qui n’aiment pas leur pays et ont voulu utiliser la mort de Djamel pour semer la discorde au sein de la société. Avant de conclure avec la demande d’acquittement, l’avocat se demande pourquoi le procureur général, réclame la peine maximale pour les délits puis termine : «Sommes-nous dans un esprit de justice ?»

Les plaidoiries se sont poursuivies jusqu’en fin de journée et devront reprendre aujourd’hui, avant que l’affaire ne soit mise en délibérée. 


 

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