Après la clôture des débats, la plaidoirie de la partie civile et réquisitoire de la défense des accusés a plaidé la cause de ces derniers et tenté de susciter le doute sur leur culpabilité, avant de réclamer, pour la majorité, pour ne pas dire pour tous les mis en cause, l’acquittement. Certains avocats ont mis en avant «de nombreuses zones d’ombre», «des erreurs» dans l’arrêt de la chambre d’accusation, de «la confusion» ainsi que «l’absence de preuves» et «les accusations collectives».
Le procès des auteurs présumés de l’assassinat de Djamel Bensmain, le 11 août 2021, à Larbaa Nath Irathen, à Tizi Ouzou, a repris, hier, avec les plaidoiries de la défense qui avaient été entamées la veille et se sont poursuivies très tard dans la soirée. Agissant au nom d’Amar Issir, Me Fettat Sadat était la première à ouvrir l’audience.
Elle met en évidence de nombreux points de droit qui, selon elle, n’ont pas été respectés dans ce dossier, rappelant aux magistrats que «le rôle de justice est de dire le droit», tout en soulignant : «C’est bien beau d’appliquer le code pénal, mais il serait encore mieux de respecter les dispositions du code de procédure pénale». L’avocate «s’est demandé pourquoi le juge d’instruction ne s’est pas déplacé sur les lieux du crime pour procéder à une reconstitution des faits et nous éviter les supputations et les incompréhensions.
Cette procédure est prévue par le code de procédure pénale mais n’a pas été appliquée. Il a préféré rester dans l’imagination. Nous sommes devant de nombreuses zones d’ombre et non pas une seule». L’avocate poursuit son intervention en abordant le contenu des conclusions de l’autopsie en déclarant : «La première des choses qu’un médecin légiste doit inscrire sur son rapport, c’est l’heure du décès qui, malheureusement, n’a pas été mentionnée.
Les accusés sont des citoyens, en plus d’être des humains. Nous n’avons pas le droit de les condamner sur des soupçons mais sur la base d’une saine application du droit. Les poursuites et les condamnations sont individuelles, au cas par cas et non pas collectives. La condamnation doit se faire sur des faits avérés et non pas sur la base de photos et de vidéos.
Ce procès est une occasion pour la justice algérienne de prouver son indépendance». Me Sadat revient sur les faits reprochés à son mandant, «6 actes criminels et 5 délits, et 22 dispositions pénales, pour un accusé ayant un niveau de 6e année fondamentale.
Sur les 102 pages comportant les décisions du tribunal, son nom n’a été cité que par une phrase qui comporte deux lignes et demie et sur les 1255 questions, il n’a été concerné que par 12 seulement. Ni son nom n’a été trouvé, ni son téléphone n’a été expertisé positif, ni un témoignage contre lui n’ont été obtenus. Il a été condamné à la peine capitale, en raison de sa présence parmi la foule. Il n’était ni sur la scène du crime ni dans le commissariat. Comment peut-il être condamné à mort ?»
«Il n’a jamais dit qu’il avait un couteau…»
L’avocate conclut en réclamant l’acquittement, avant de céder sa place à la défense d’Aghiles Zetri, le jeune aux cheveux blonds et au tatouage sur le cou, qui avait déclaré sur une vidéo que Bensmain a été tué parce qu'il y avait des preuves, qu’il était impliqué dans les incendies de forêt. «On lui a appliqué 11 articles du code pénal pour 7 crimes et 4 délits.
Cela fait deux ans que je regarde les vidéos et je me demande toujours ce qu’il a pu faire. Il est clair qu’il a saccagé la Clio, est entré dans le fourgon et pénétré dans la cage où se trouvait le défunt. Il a reconnu l’avoir insulté et frappé. Il a n’a pas nié les faits. Mais il n’a jamais dit qu’il avait un couteau. Pourquoi ce dernier n’apparaît pas sur les vidéos, on ne voit pas les vidéos ?».
L’avocat rappelle le contenu de l’autopsie «qui fait état de six plaies. Cinq sur le crâne dues aux coups avec les pieds et qui étaient à l’origine de la mort et une seule superficielle sur le thorax qui n’a pas touché les organes». La défense d’Ali Benkhelifa s’est demandée quant à elle, sur les motivations de la condamnation à mort infligée à ce dernier sur la base d’une empreinte digitale trouvée sur le côté gauche de la cage du fourgon de police.
«Il ne pouvait pas entrer en contact avec le défunt. Il avait deux téléphones remis à la police qui prouvent son innocence, mais ils n’ont pas été remis au juge. Il écrit dans l’arrêt de la chambre d’accusation qu’il avait dit être entré dans le fourgon. Or, il ne l’a jamais déclaré», affirme son avocat, avant de réclamer l’acquittement et de céder sa place à la défense de Ferhat Chalah qui s’interroge sur le fait que ce dernier soit inculpé pour 5 crimes et 4 délits, pour deux photos le montrant au milieu de la foule.
Lui succédant, la défense de Mostefai Chaabane, qui avait dépouillé le défunt de ses papiers et de son téléphone, va surprendre l’assistance, en déclarant : «Cet homme a eu un comportement civilisé. Il a remis le défunt à la police sain et sauf puis est parti. A part le fait qu’il soit rentré dans le fourgon, il n’a rien fait. On lui applique l’article 87 bis lié au terrorisme alors qu’il n’a jamais fait de politique et n’a aucun lien avec cette organisation terroriste. C’est un citoyen honorable».
Les avocats de Mohamed Aliane estiment que «le tort de ce dernier, c’est qu’il s’est retrouvé au mauvais moment, au mauvais endroit. Il est apparu sur des vidéos à côté du fourgon. Il est parti voir ceux qui ont brûlé la forêt. Il a donné un coup de pied au fourgon, puis il est reparti. Il ne mérite pas la peine capitale mais l’acquittement. Il est innocent». La défense de Lyès Bennane plaide également l’acquittement.
Elle commence par soulever des points de droit. «Le premier est le fait de juger des personnes pour terrorisme, alors que le code de procédure pénale dispose qu’ils soient traduits devant le tribunal criminel sans jurys populaires. Il aurait fallu scinder le dossier au lieu de mettre tous les accusés dans le même panier.
Il y a aussi ces erreurs que comportent l’arrêt de la chambre d’accusation comme par exemple écrire que la Clio Campus appartenait à Fouad Mezrara, alors que son propriétaire est Fekkar Lyes». Les avocats appellent le tribunal «à éloigner la politique de ce procès et de ne pas être influencé par toutes des vidéos sans être sûr de leur authenticité. Nous ne voulons pas de poursuites collectives ni de peines collectives.
Nous voulons un procès équitable». Ils dévoilent une lettre écrite par 102 habitants de Taourirt Mokrane qui «font l’éloge de l’accusé, assure que ce dernier n’a jamais fait partie du MAK, était studieux et préparait son bac.
Le procureur général n’a pas ramené de preuves contre l’accusé, à part une photo où celui-ci était au milieu de la foule». Les plaidoiries se poursuivront aujourd’hui avant que l’affaire ne soit mise en délibéré et le verdict est attendu, probablement en début de semaine.