Pr Bitam Idir. Spécialiste des maladies transmissibles et pathologies tropicales émergentes : «La Covid-19 ne disparaîtra pas de notre vie, du fait de sa flexibilité génomique»

20/09/2023 mis à jour: 06:11
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Photo : D. R.

Dans l’entretien accordé à El Watan, le professeur Bitam Idir parle des alertes émises par l’OMS sur les «tendances inquiétantes» du coronavirus. Pour lui, les éléments disponibles ne suggèrent pas qu’EG.5 présente des risques supplémentaires pour la santé publique par rapport aux autres lignées descendantes d’Omicron en circulation. «Ce variant est quand même inquiétant pour les personnes qui sont âgées de plus de 65 ans, malades chroniques, femmes enceintes et cancéreux. Une surveillance et des mesures préventives sont plus que nécessaires pour cette catégorie de personnes», suggère-t-il.

- L’OMS a mis en garde contre les «tendances inquiétantes» du coronavirus, à l’approche de l’hiver dans l’hémisphère nord de la planète. Le directeur de cette organisation a parlé des décès qui augmentent «dans certaines régions du Moyen-Orient et d’Asie, en plus d’une augmentation des admissions dans les unités de soins intensifs en Europe et des admissions à l’hôpital dans plusieurs régions du monde». Comment expliquez-vous le «rebond» dont parle l’OMS ?

La Covid-19 est un virus à ARN très mutable. Depuis septembre 2019 à ce jour, plus de 7500 mutations ont abouti à des variants différents de la Covid-19. Fort heureusement, seulement 7 ont donné des problèmes sanitaires produisant ainsi les 5 vagues en Algérie. Il faut savoir qu’en France, ils en sont actuellement à la 11e vague ! La Covid-19 ne disparaîtra pas de notre vie, du fait de sa capacité de résister à différentes conditions et sa flexibilité génomique qui lui confère sa longévité dans le temps.

- Le variant BA.2.86 a été détecté dans certains pays. Des scientifiques parlent également d’une autre version, EG.5, surnommée «Eris». Cette dernière, explique-t-on, serait la «plus transmissible»
Que sait-on vraiment de ces sous-souches d’Omicron ?

La structure moléculaire d’Omicron, comparée avec celle du SRAS-CoV-2 originel et de ses autres variantes, montre des caractéristiques lui permettant d’échapper à nos défenses immunitaires, tout en maintenant sa capacité infectieuse, mais avec une maladie plus bénigne que pour les variants précédents, peut-être parce qu’il semble moins adapté aux poumons qu’à la zone nez-gorge.

Plus de 30 des mutations concernent le péplomère qui permet au virus de s’ancrer sur ses cellules hôtes, alors que les variants précédents ne présentaient chacun qu’une dizaine de mutations sur leurs protéines de pointe. Et 15 de ces mutations concernent le domaine de liaison au récepteur de la protéine (RBD) qui permet la liaison avec la protéine ACE2 de l’ hôte.

Le variant Omicron, aussi appelé B.1.1.529 (synonyme BA.1), selon les lignées Pango du clade GISAID GR/484A, est un variant du coronavirus responsable de la Covid-19. Nommé d’après la lettre grecque Omicron, le premier cas de ce variant est détecté le 9 novembre 2021 au Botswana.
Le 1er juillet 2021, l’OMS publie la lignée Pango BA.2 comme étant une sous-lignée d’Omicron, définissant alors BA.1 comme alias de B.1.1.529.

Le 7 décembre 2021, l’OMS publie les lignées Pango BA.3, BA.4 et BA.5 comme étant des sous-lignées d’Omicron. Le variant B.1.1.529 a d’ abord été détecté en Afrique australe durant le mois de novembre, puis s’est propagé jusqu’à représenter 96,3% des nouveaux cas dans trois Etats du nord-ouest des États-Unis ; il est devenu majoritaire dans ce pays depuis le 18 décembre 2021.

Un nombre inhabituel de mutations, dont plusieurs inédites ou affectant le péplomère (Protéine spike) l’ont rendu plus transmissible et actif face au système immunitaire ou aux vaccins. Plusieurs restrictions d’entrées de voyageurs venant des pays où il a été détecté ont donc été mises en place au niveau international pour limiter sa propagation.

Mi-décembre, il s’était, cependant, propagé à une vitesse inédite, selon l’OMS ; «plus vite que n’importe lequel des variants précédents du coronavirus SARS-CoV-2, infectant facilement même ceux qui avaient été vaccinés ou qui avaient déjà eu la Covid-19». EG.5, surnommée Eris, est actuellement la plus scrutée, ceci s’explique par le fait qu’il est plus transmissible qu’Omicron BA 2 qui lui-même était 50 fois plus transmissible que le Delta, fort heureusement, la virulence d’Eris n’est pas trop forte, ce qui explique l’absence des cas d’hospitalisation dans nos services de réanimation.

Les rassemblements estivaux, les salles des fêtes bondées et la baisse d’immunité peuvent aussi jouer un rôle très important dans la transmissibilité et l’augmentation des cas. On l’a identifié en Inde, mais aussi dans d’autres pays d’Asie, en Amérique du Nord, en Europe, où il tend à supplanter les précédentes souches dominantes. Ce variant, là où il est passé, n’ a pas provoqué de symptômes spécifiques ni de virulence particulière.

- Y a-t-il lieu de s’ inquiéter ?

Jusqu’alors, les éléments disponibles ne suggèrent pas qu’EG.5 présente des risques supplémentaires pour la santé publique par rapport aux autres lignées descendantes d’Omicron en circulation. Ce variant est quand même inquiétant pour les personnes qui sont âgées de plus de 65 ans, malades chroniques, femmes enceintes et cancéreux. Une surveillance et des mesures préventives sont plus que nécessaires pour cette catégorie de personnes. Mais le risque demeure qu’un variant plus dangereux émerge et provoque une hausse soudaine des cas et des décès.

- Des citoyens affirment avoir souffert de formes fortes de grippe ces dernières semaines. Qu’ en est-il au juste ?

En été, on parle souvent de «grippe estivale». Toutefois, il ne s’ agit pas vraiment d’une grippe influenza. La plupart du temps, les malades sont atteints d’une infection provoquée par la circulation dominante des norovirus et des rotavirus. Les grippes estivales provoquent, souvent, des vomissements et diarrhées, en plus de la toux et éternuements et maux de tête.

Le seul moyen permettant de distinguer entre une simple grippe et la Covid-19 est la biologie (PCR ou tests antigéniques), on doit reprendre l’habitude de se faire dépister par des tests antigéniques ou PCR, pour confirmer qu’ il ne s’ agit pas de la Covid-19. Les déclarations du ministère de la Santé ne prennent en considération que les cas PCR positifs, les quelques dizaines de demandes de PCR qui se font sur tout le territoire national et la majorité des demandes se font dans le cadre d’une réunion ou d’un voyage !

- Les groupes pharmaceutiques Pfizer/BioNTech, Moderna, etc., ont annoncé la préparation des vaccins contre la Covid. Pourrait-on, un jour, revenir à une vaccination massive pour contrer la propagation de l’infection ?

En septembre 2022, l’Agence européenne des médicaments (EMA) avait autorisé l’administration du vaccin bivalent adapté ciblant les sous-variant d’Omicron BA.4 et BA.5. Et avant cela, un autre sérum protégeant spécifiquement du sous-variant BA.1 d’Omicron.

Le meilleur vaccin est la prévention et le respect des mesures barrières. Je m’explique : une personne suspecte qui commence à avoir des symptômes, même banals (rhume, etc.), doit impérativement et automatiquement porter la bavette pour empêcher la circulation des virus dans son environnement et protéger ainsi les personnes âgées, les malades chroniques, les femmes enceintes et les cancéreux qui sont très fragiles aux virus.

Donc, les mesures barrières sont nécessaires pour empêcher la circulation des agents infectieux respiratoires (Sars-Cov-2, grippe, rhumes, tuberculose), même en dehors d’endémicité épidémiologique.

Il est important de porter les bavettes pour les personnes ayant des symptômes même simples, comme le rhume, car ces virus peuvent, malheureusement, provoquer des cas d’hospitalisation, en contaminant les personnes présentant un système immunitaire faible.

A titre préventif, on recommande vivement, à partir de 40 ans, de surveiller sa vitamine D, ce qui provoquera une baisse du système immunitaire si elle est basse, des doses sont nécessaires pour les personnes qui ont une carence en cette vitamine.

Bio-express

Le Pr Bitam Idir est spécialiste des maladies transmissibles et pathologies tropicales émergentes. Il est membre du Conseil national de la recherche scientifique et des technologies (CNRST). Il est membre du Centre de recherche en agropastoralisme et président du conseil scientifique de la Société algérienne de la recherche médicale.

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