Pr Abdelouahab Bouchareb. Enseignant-chercheur en architecture et urbanisme,  professeur des universités à Constantine-3 : «Les natifs d’Ali Mendjeli tentent de construire leur propre identité»

18/06/2023 mis à jour: 03:11
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Photo : D. R.

Abdelouahab Bouchareb est enseignant-chercheur en architecture et urbanisme, professeur des universités à Constantine-3, Salah Boubnider. Dans cet entretien, il nous explique la dynamique fulgurante d’Ali Mendjeli et note, entre autres, que des éléments urbains, comme les deux universités, le tramway, la culture de la livraison à domicile, et le rythme «urbain» (la vie nocturne) impriment à cette ville nouvelle une vocation de ville pour «jeunes».

  • Il y a quelques années, vous avez qualifié Ali Mendjeli de «kyrielle de bâtiments décontextualisés», vous le pensez toujours ?

C’est vrai, en 2020 j’ai qualifié la Ville nouvelle Ali Mendjeli de kyrielle de bâtiments décontextualisés. Ce n’était pas un grief, mais un fait. J’avais dit que les bâtiments se juxtaposaient dans une ferveur managériale mue par un esprit compétitif. Cette «fièvre» de la construction est de plus en plus intense et spectaculaire, relativement à la vocation «tertiaire» qui couvre Ali Mendjeli et lui imprime une image «mercantile».      

  • Beaucoup d’observateurs avancent justement qu’Ali Mendjeli s’est inventée grâce au commerce, notamment les centres commerciaux. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement. Néanmoins, il y a lieu de reconnaître aux gestionnaires la justesse de leur planification stratégique. Juste après les premières années après sa naissance, les unités de voisinages (UV6, UV8, UV 5) ont été consacrées (partiellement au relogement des habitants des quartiers précaires souvent en marge de la ville de Constantine [Niork. Fedj Errih…].

Ce peuplement initial a favorisé l’émergence de véritables polarités où se concentrent des commerces variés et surtout accessibles à toutes les catégories socioprofessionnelles. Certaines sont en phase d’acquérir un statut de lieux centraux.

C’est-à-dire au-delà de leur attractivité commerciale, ces lieux ont vu s’ajouter à leur statut une épaisseur symbolique synonyme d’urbanité [traduisant l’identité qui se construit lentement].

Dans le même sillon, il y a lieu de signaler que les centres commerciaux, dont certains portent des enseignes «mondialisées», et d’autres «délocalisées», des villes limitrophes [El Eulma, Aïn Fakroun, Tadjenanet] ont choisi de s’établir à Ali Mendjeli. 

Ces choix ne sont pas fortuits de par la clientèle jeune, connectée et portée sur la consommation [la mode, l’électronique, la téléphonie, la restauration].

Ce sont aussi les effets des deux universités, du tramway, de la culture de la livraison à domicile, du rythme «urbain» [la vie nocturne] qui impriment à cette ville nouvelle une vocation de ville pour «jeunes». 

Ce sont aussi ces «stratégies» de marketing qui favorisent le regroupement de commerçants dans des endroits précis [centre commercial le Square]. Dans la même optique, elle tend à se présenter en «destination» pour les Tunisiens et Libyens qui y viennent pour faire leurs emplettes.                         

  • Ce processus de sociabilisation par l’espace commercial peut-il remplacer à terme l’absence de places et de jardins publics ?

Je ne pense pas, non. Le processus actuel est le fait d’une dynamique urbaine fulgurante. Aujourd’hui, les promoteurs immobiliers produisent des livrables de haut standing et le «marché» semble être florissant. 

De même pour les investisseurs «économiques». Le foncier est davantage exploité dans des objectifs de rentabilité. La plus grande surface de ces espaces est phagocytée par les «Malls» et les centres commerciaux.

Ce sont ces «atriums» ou ces espaces communs réservés aux consommateurs meublés de tables et de sièges. Les espaces publics extérieurs sont très réduits. Même les trottoirs sont squattés par les commerçants. Les équipements de loisirs se multiplient. En un mot, la logique prégnante est celle des promoteurs immobiliers et des investisseurs, celle de la mise à profit de toute ressource foncière. Les services en charge de la gestion de la ville Nouvelle en sont conscients et déplorent cet état de fait.   

  • Une équipe de basket-ball féminine va jouer la saison prochaine en première division. La performance sportive est-elle un facteur de construction identitaire ?

La performance sportive est un facteur fondamental dans la construction de l’identité. Essentiellement parce que le «club» sportif agit comme représentant d’une entité sociale et/ou culturelle parmi d’autres clubs aussi représentatifs de leurs entités. Ensuite, cette représentation s’inscrit dans un cadre territorial ou géographique [allant du local au mondial]. Ce qui en principe octroie une présence à l’entité sociale dans l’échiquier global.

Par ailleurs, toute performance sportive participe à enrichir la mémoire collective, autre champ de la construction de l’identité. A Ali Mendjeli, ses natifs tentent de construire leur propre identité. Ils ne sont pas Constantinois comme leurs parents, ni Khroubis [tutelle administrative], mais Ouled Enouvel [les enfants de la ville Nouvelle]. La performance de l’équipe féminine de basket-ball de Ali Mendjeli [Club Rapid Ali Mendjeli] est «historique» pour une ville qui a trente ans de vie. Ce club de «fille» va jouer parmi l’élite nationale, à côté des équipes bien anciennes.                 

  • Comment appelle-t-on un habitant de la ville nouvelle Ali Mendjeli ?

Avec mes doctorants, dont les thèses traitent de sujets sur la Ville Nouvelle Ali Mendjeli, nous avions décidé de qualifier ses habitants de Mendjeloises et de Mendjelois.

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