Le ministre des Affaires étrangères «déplore cette lecture révisionniste par la justice suisse, de la bravoure du combat solitaire que l’Algérie a mené contre le terrorisme». Il a relevé le caractère singulier de la situation actuelle, dans la mesure où il est permis à une organisation d’anciens terroristes et à leurs alliés d’utiliser la justice suisse pour faire le procès de l’Etat algérien. Pour le chef de la diplomatie algérienne, cette affaire risque d’avoir des conséquences sur les relations entre les deux pays.
Légèreté» et «lecture révisionniste» ! C’est ainsi qu’a qualifié, jeudi dernier, le ministre des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger, Ahmed Attaf, la décision de la justice suisse d’engager des poursuites pénales contre l’ancien ministre de la Défense et général à la retraite, Khaled Nezzar. Selon un communiqué de son département, le chef de la diplomatie algérienne n’a pas manqué, à l’occasion de son entretien téléphonique avec son homologue suisse, Ignazio Cassis, d’exprimer le mécontentement d’Alger concernant cette affaire. Ahmed Attaf, lit-on dans le même document, souligne «trois données principales en réaction aux propos de son homologue faisant part de la position du gouvernement helvétique à l’égard de cette affaire».
«La première donnée est que l’indépendance de la justice ne justifie pas l’irresponsabilité et qu’un système judiciaire, quel qu’il soit, s’arroge le droit absolu pour juger des politiques d’un Etat souverain et indépendant», indique le communiqué. Selon le ministre, «depuis le début de cette affaire, l’Algérie a eu la conviction, et que cette conviction n’a fait que se raffermir avec le temps, que la justice suisse a offert avec beaucoup de légèreté une tribune aux terroristes, à leurs alliés et à leurs soutiens pour tenter de discréditer le combat honorable de notre pays contre le terrorisme, de jeter l’opprobre sur ceux qui lui ont fait face et de souiller la mémoire de ceux qui sont tombés en lui résistant».
«Procès de l’Algérie»
Poursuivant, il déplore le fait «qu’avec la même légèreté, la justice suisse procède à une lecture révisionniste de l’histoire de notre pays durant les années 90». «Elle procède par des accusations outrancières et infondées, par des comparaisons hasardeuses et inappropriées et par des falsifications si flagrantes qu’elles se discréditent elles-mêmes», condamne-t-il. Sur le fond, ajoute le document, Ahmed Attaf rappelle que «la communauté internationale dans son ensemble reconnaît le combat héroïque et solitaire mené par l’Algérie contre le terrorisme durant les années 90, et que le rôle de notre pays et son expérience en la matière étaient largement appuyés et sollicités au niveau régional et international».
«A cet égard, le ministre a rappelé que l’Algérie est le pays-champion au niveau de l’Union africaine pour la prévention et la lutte contre le terrorisme, que notre pays s’apprête, dans le cadre de sa mandature au Conseil de sécurité, à assumer la présidence de deux Comités subsidiaires du Conseil sur la thématique du terrorisme, et que l’Algérie coprésidera prochainement avec les Etats-Unis une conférence sur la lutte contre le terrorisme en Afrique. Il a particulièrement indiqué qu’il semble que la planète entière reconnaît que l’Algérie luttait contre le terrorisme, à l’exception de la justice helvétique», indique-t-il.
Sur la base de ces données, le ministre des Affaires étrangères, ajoute le document, «déplore cette lecture révisionniste par la justice suisse, de la bravoure du combat solitaire que l’Algérie a mené contre le terrorisme». «Il a relevé le caractère singulier de la situation actuelle, dans la mesure où il est permis à une organisation d’anciens terroristes et à leurs alliés d’utiliser la justice suisse pour faire le procès de l’Etat algérien», souligne la même source. Et d’ajouter : «Il (Ahmed Attaf, ndlr) a souligné, enfin, que l’Algérie trouve inadmissible que la justice suisse s’arroge le droit de porter un jugement sur les choix politiques d’un Etat souverain et indépendant en matière de sécurité nationale.»
«Conséquences sur les relations algéro-suisses»
Pour le chef de la diplomatie algérienne, cette affaire risque d’avoir des conséquences sur les relations entre les deux pays. «(…) Cette affaire a atteint les limites de l’inadmissible et de l’intolérable et que le gouvernement algérien est déterminé à en tirer toutes les conséquences, y compris celles qui sont loin d’être souhaitables pour l’avenir des relations algéro-suisses. Il a formulé le vœu que tout soit entrepris pour éviter que cette affaire n’entraîne les relations entre l’Algérie et la Suisse sur la voie de l’indésirable et de l’irréparable», explique le communiqué.
Pour rappel, après près de 12 ans d’instruction, le ministère public suisse a transmis, le 28 août dernier, un acte d’accusation contre Khaled Nezzar au Tribunal pénal fédéral (TPF). Selon plusieurs médias étrangers, ayant diffusé l’information, l’ancien ministre de la Défense nationale est «accusé de crimes de guerre» en lien avec la décennie noire en Algérie. L’annonce de cette nouvelle a fait aussitôt réagir la défense du général.
Dans un communiqué, rendu public mercredi dernier, ses avocats affirment que l’homme «conteste fermement avoir commis, ordonné, orchestré, prêté assistance ou même toléré des actions pouvant relever de la qualification de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité». «Le général Khaled Nezzar s’est toujours opposé, en particulier, à la torture qu’il n’a pas hésité à condamner publiquement dans les années 1990 déjà», soutient la défense, précisant que «l’instruction de la procédure, visant le général Khaled Nezzar, s’inscrit dès l’origine dans un contexte éminemment politique».
«Les plaignants revendiquent tous leur engagement islamiste d’alors comme d’aujourd’hui. Le général Khaled Nezzar incarne, quant à lui, le refus du projet politique islamiste extrémiste. La douloureuse histoire de la décennie noire algérienne est aujourd’hui encore au cœur d’une véritable bataille idéologique et mémorielle», précise le communiqué, avant de rappeler le déroulement de l’instruction de cette affaire et les «carences» qui le fragilisent. «Au terme d’une instruction d’une exceptionnelle durée, le dossier de l’accusation comporte donc de nombreuses carences. Il est marqué par des violations répétées du droit d’être entendu du prévenu, en particulier le refus presque systématique des actes d’instruction sollicités à décharge», plaident les avocats de Khaled Nezzar.
Selon eux, «ces violations ne manqueront pas d’être soulevées à titre préjudiciel devant l’autorité de jugement, avant même que le fond du dossier ne soit abordé. «En tout état, le dossier ne permet pas d’établir ni que le général Khaled Nezzar ait ordonné ou prêté assistance aux exactions retenues à son encontre, ni même qu’il en ait été informé et se soit abstenu d’agir pour les empêcher», conclut le communiqué.