Le retour progressif à une politique budgétaire viable est une condition sine qua non pour favoriser un retour à un cadre macroéconomique cohérent et stable favorisant une croissance économique saine et forte et un contrôle de l’inflation en Algérie. Un message central du communiqué de la mission du FMI qui a séjourné à Alger en décembre 2023.
Un message que je n’ai pas cessé de porter ces dernières années, étant donné que la politique budgétaire est au cœur de la gestion macroéconomique. L’Algérie continue, en effet, de faire face à une succession des déficits budgétaires hors pétrole très élevés et, depuis la pandémie, à une dette publique croissante et une hausse de l’inflation. Le rééquilibrage de la politique budgétaire est donc indispensable à la bonne gestion macroéconomique du pays.
Il contribuera à limiter les pressions inflationnistes, réduire la dette publique, reconstituer des marges financières et favoriser une croissance élargie et saine. La conception d’une trajectoire appropriée de rééquilibrage de la politique budgétaire dans un contexte de forts déficits structurels, d’inflation élevée et de fragilité sociale est difficile mais incontournable.
Elle devra alors être assise sur : (1) un compromis politique et social ; (2) le choix d’une approche progressive et (3) son intégration dans le cadre d’une stratégie pluriannuelle. Plus important, il faudra atténuer l’impact du rééquilibrage sur la croissance à court terme et stimuler la croissance potentielle dont le pays a besoin en incluant un volet social solide pour protéger les segments les plus vulnérables de la population et un volet réformes structurelles visant à accroître la participation au marché du travail et la productivité (facteurs-clés de la croissance future). Discutons de toutes ces questions.
Comprendre le cadre conceptuel sur la question de la viabilité de la politique budgétaire
La mesure de l’impact de la politique budgétaire sur la demande intérieure et les ressources financières du pays : Citons, entre autres, : (1) Le solde global, couramment utilisé, calcule l’écart entre les recettes et les dons, d’un côté, les dépenses et les prêts nets, de l’autre. Un déficit (excédent) reflète une orientation budgétaire expansionniste (ou restrictive).
Les évolutions du solde global au fil des années permettent une lecture de l’impact du secteur public sur l’économie. (2) Le solde primaire mesure la différence entre les recettes hors dons et les dépenses primaires de base (masse salariale, transferts et subventions et biens et services). En excluant le paiement des intérêts, ce solde mesure la capacité de l’Etat à couvrir ces intérêts qui sont liés aux déficits antérieurs. Cet indicateur est approprié pour les pays dont l’encours de la dette publique par rapport au PIB est élevé et qui doivent alors veiller à dégager un excédent primaire afin de le réduire.
(3) Les soldes corrigés des variations conjoncturelles ou structurelles permettent de calculer une position budgétaire nette de l’impact des évolutions macroéconomiques sur le budget. En effet, au plus bas d’un cycle économique, celui-ci peut faire ressortir un niveau de recettes faibles (et des dépenses sociales plus élevées telles que des prestations d’assurance-chômage plus élevées). De ce fait, le bond du déficit budgétaire ne doit pas être interprété comme un assouplissement de l’orientation budgétaire mais au contraire, une trajectoire de l’économie en direction du creux du cycle.
(4) Le solde global non pétrolier est un indicateur-clé pour les pays pétroliers dont les recettes budgétaires comprennent une part importante de recettes pétrolières. En excluant ces dernières, il est ainsi calculé un déficit en pourcentage du PIB non pétrolier qui donnera une idée claire sur l’orientation budgétaire et fournira une base solide pour l’adoption de mesures visant à réduire le déficit.
La définition et le rôle d’une politique budgétaire soutenable est symbolisée par un ratio dette publique/PIB stable ou en baisse sur le long terme. Ce ratio mesure la capacité de l’économie à soutenir les programmes publics.
De ce fait, une politique budgétaire soutenable est un point d’ancrage de la stabilité macroéconomique et favorise la croissance économique, le contrôle de l’inflation et la réduction de la pauvreté. Un outil essentiel également pour atteindre les objectifs de développement durable.
Les facteurs poussant à la non-viabilité d’une politique budgétaire sont au nombre de trois : (1) La poursuite de politiques budgétaires expansionnistes au fil des années ;
(2) L’accumulation de déficits et leurs formes de financement qui compromettent tôt ou tard les objectifs de croissance, d’inflation et d’endettement : la monétisation des déficits : source d’inflation (les emprunts publics auprès de la Banque centrale augmentent directement la base monétaire et en conséquence la masse monétaire) ; (ii) les crédits bancaires commerciaux : source d’éviction des investisseurs privés et d’affaiblissement de la croissance économique ; (iii) les financements non bancaires ou émissions de bons du Trésor : autre source d’éviction et de volatilité des taux d’intérêt, notamment en l’absence d’un marché primaire et secondaire bien rodés pour absorber le papier mis en circulation ; d’une coordination parfaite avec la direction de la dette et d’une courbe des intérêts afin de rémunérer adéquatement le papier et assurer son placement ; (iv) l’accumulation d’arriérés de paiements intérieurs et/ou extérieurs, une forme de financement qui endommage la signature de l’Etat et paralyse les rouages économiques et (v) l’endettement extérieur, une voie improductive et insoutenable si les ressources empruntées servent à couvrir la consommation publique et non les investissements de l’Etat (une gestion macroéconomique saine de l’endettement extérieur requiert au préalable une stratégie d’endettement qui précise, au minimum, les volumes d’emprunt annuels en cohérence avec l’impératif de viabilité à moyen terme des finances publiques et, surtout, l’usage de ces prêts pour des projets productifs).
(3) L’accumulation de faiblesses structurelles et autres vulnérabilités sous-jacentes, dont un taux de recouvrement faible, des dépenses courantes lourdes, une gestion inefficiente des dépenses en capital et des chocs macroéconomiques mal gérés. Une politique budgétaire non viable génère alors un contexte macroéconomique de crise, symbolisé par une croissance atone, une dette très élevée, une inflation forte, un taux de change déséquilibré et un chômage lourd.
Le rééquilibrage de la politique budgétaire. Afin de favoriser un retour progressif à un ratio dette publique /PIB stable ou en baisse sur le long terme, le rééquilibrage devra : (1) être conçu, vu son rôle macroéconomique capital, dans le contexte d’un cadre macroéconomique global cohérent avec la réalisation des objectifs de croissance, d’inflation et d’équilibre extérieur du pays ; (2) cibler cinq objectifs portant sur le niveau : (i) du rééquilibrage (avec des mesures spécifiques durables et qui offrent des alternatives pour stimuler l’investissement, la production et les échanges extérieurs) ; (ii) des dépenses, du déficit budgétaire et de son financement (crédit bancaire, emprunts non bancaires nationaux et étrangers). La finalité étant de capter les impacts de chaque forme de financement sur la demande globale et les prix, les taux d’intérêt, le taux de change et le compte courant de la balance des paiements.
Algérie : Le pays a besoin d’une stratégie bien conçue de rééquilibrage progressif de sa politique budgétaire pour appuyer le retour à la stabilité économique, contribuer à la croissance économique et favoriser l’emploi.
Pourquoi la politique budgétaire en Algérie n’est pas soutenable ? Cette situation est le résultat de plus de vingt années de politique budgétaire expansionniste, de formes de financement malsaines des déficits successifs et de l’accumulation de faiblesses et vulnérabilités budgétaires sous-jacentes.
Entre 2000 et 2023, nous notons : Une politique budgétaire expansionniste marquée par le maintien d’un déficit global hors pétrole (indicateur approprié pour l’Algérie vu la place centrale du pétrole dans l’économie nationale) considérable de 35,7% du PIB hors pétrole en moyenne entre 2000-2019 et 36,2% en 2023.
Une couverture des déficits par des ressources hétérogènes ne prenant pas en compte la nécessité de préserver la croissance et encore moins la viabilité des finances publiques.
Notons le recours à l’épargne budgétaire, les tirages sur les comptes des entités publiques au Trésor, la création monétaire (2017, 2018 et 2019), la diminution des dépôts du gouvernement et d’autres entités publiques (2020), une combinaison de mesures (investissement d’une partie des fonds propres de la Banque d’Algérie (BA) dans des obligations du Trésor à trois ans, avances temporaires au Trésor de la part de la BA et un programme spécial de refinancement (une opération impliquant la BA, l’Etat, les banques privées et le Trésor (2021) et le recours à l’épargne financière en 2022 et 2023.
Ces formes de financement ont affaibli la croissance économique (passant d’une moyenne de 4,7% en moyenne entre 2000-2019 à 3,9% en 2023), généré une forte hausse de l’inflation (de 3,9% entre 2000-2019 à 9,7 en 2023) et aggravé l’endettement public (de 25,3% du PIB en moyenne entre 2000-2019 à 55,1% en 2023).
Une accumulation de vulnérabilités structurelles sous-jacentes, incluant : (1) La faiblesse des recettes fiscales (10,7% du PIB de recouvrement par rapport à un optimum de 15% du PIB) en raison de (i) la prolifération des exonérations fiscales et douanières (vu que tous les impôts et les droits de douane prévoient des exonérations généreuses et multiples, les taux statutaires des impôts et droits de douane sont pour la plupart élevés par rapport aux taux effectifs) ; (ii) le problème de l’assiette fiscale et de certains taux et (iii) la faiblesse de la gouvernance de l’administration fiscale et douanière .
(2) Le poids des dépenses courantes hors intérêt (20,3% du PIB)
(3) L’inefficience des dépenses en capital du fait des faiblesses de la chaîne de gestion des investissements publics occasionnant pertes et surcoûts. D’autres vulnérabilités endogènes et exogènes affaiblissent davantage la politique budgétaire, y compris : (1) les chocs macroéconomiques (les plus fréquents) ; (2) la variation des prix du pétrole ; (3) les garanties implicites et explicites accordées aux entreprises publiques et banques ; (4) le déséquilibre financier du système de retraite ; (5) les partenariats public/privé et (6) le poids financier des administrations locales.
Le niveau de déficit normatif et l’écart par rapport au niveau réel en 2023. Le déficit normatif en termes de viabilité budgétaire est celui qui permet à un pays de maintenir de façon constante un déficit primaire hors ressources naturelles égal à la valeur actualisée nette des recettes tirées des ressources naturelles plus les réserves financières accumulées (le revenu permanent).
Cette approche montre que le déficit hors hydrocarbures devrait se situer normalement à 12% du PIB hors pétrole. Avec un déficit en 2023 de 36,2% du PIB hors pétrole, cela implique un écart énorme de 24,2 points de pourcentage du PIB hors pétrole. Un effort d’ajustement significatif qui a besoin d’être étalé sur une période assez longue afin d’éviter l’austérité et de compromettre la croissance, l’emploi et la stabilité sociale.
Le rééquilibrage budgétaire à entreprendre doit être crédible et asseoir la visibilité de la politique macroéconomique du pays (surtout si on veut attirer les véritables investisseurs intérieurs et extérieurs). Deux conditions : (1) Etre d’ampleur pour marquer la volonté des autorités d’assainir les finances publiques et (2) disposer d’objectifs clairs en termes de recettes, dépenses et déficit. Les réductions de dépenses sont difficiles à mettre en œuvre vu les besoins sociaux urgents.
Dans ce cas, il serait souhaitable de procéder alternativement à un meilleur ciblage des dépenses. Plus important, vu l’ampleur et le temps nécessaire pour conduire un tel ajustement budgétaire, un plan pluriannuel soigneusement conçu fournirait une feuille de route claire, transparente et responsable, contribuant à garantir l’adhésion de la population et des investisseurs. Enfin, la mise en place d’institutions de suivi et de gestion des finances publiques est cruciale. Une opportunité pour améliorer la gouvernance et la transparence budgétaire.
Le rééquilibrage devra être symétrique et affecter les recettes, les dépenses et la structure de financement des déficits. La gamme des réformes sur les recettes devra porter sur la politique fiscale (refonte des taux et assiette), les exonérations fiscales et douanières (à bannir) et la gouvernance de l’administration fiscale et douanière (à renforcer).
Des réformes complémentaires devront toucher les dépenses courantes (rationalisation de toutes dépenses hors intérêt) et les dépenses en capital (simplification et renforcement de l’efficience de la chaîne de gestion institutionnelle des projets publics). Finalement, la structure de financement des déficits devra être revue et codifiée pour ne recourir qu’à des sources variées stables et établir un équilibre entre croissance économique et viabilité des finances publiques.
Les autres réformes d’accompagnement. Il serait souhaitable : (1) d’intégrer le plan de rééquilibrage budgétaire dans une stratégie globale et cohérente à long terme de croissance élargie et inclusive et de désinflation.
Pour ce faire, il faut éliminer les principales entraves que les investisseurs rencontrent. Les priorités comprennent la réduction des formalités administratives, l’amélioration de l’accès au financement, le renforcement de la gouvernance, la transparence et la concurrence, l’ouverture de l’économie au commerce et à l’investissement étranger et l’amélioration du fonctionnement des marchés du travail et
(2) de se doter une bonne fois pour toutes d’outils de pilotage macroéconomique.
Par Abdelrahmi Bessaha , Expert international