L’Algérie vient d’adopter la loi de finances initiale pour 2022 dans laquelle sont contenues quelques mesures structurelles importantes, dont la création d’un mécanisme national de compensation monétaire au profit des ménages. Un moment important dans la vie économique et sociale du pays. Cet article va expliquer pourquoi et comment réformer les subventions budgétaires.
Le dispositif budgétaire actuel de solidarité nationale en Algérie
Question 1 : à quoi servent les transferts sociaux (ou prestations sociales) et les subventions ? Les premiers sont versés (en espèces ou en nature) à des individus ou à des familles afin de réduire leurs charges financières. Les secondes sont des sommes d’argent accordées au moyen de fonds publics pour aider un secteur ou une entreprise à maintenir le prix d’un produit ou d’un service à un niveau peu élevé.
Question 2 : Quels sont les types de transferts sociaux et leurs coûts ? Ces derniers sont versés (en espèces ou en nature exceptionnellement) à des individus ou à des familles afin de réduire la charge financière que représente la protection contre divers risques. Ils comprennent les soutiens : (1) aux familles (allocations familiales) ; (2) aux retraités ; (3) à la santé ; (4) aux moudjahidine ; et (5) aux démunis, handicapés et titulaires de faibles revenus. A fin 2021, leur montant global est estimé à environ 916 milliards de DA (équivalent à 6,8 milliards de dollars ou 4,1% du PIB).
Question 3 : Quelles sont les diverses subventions explicites universelles (bénéficiant tout le monde) et qui ont un coût fiscal direct inscrit au budget. Elles couvrent par ordre décroissant les produits alimentaires, l’électricité, le gaz et l’eau, le logement, l’éducation et les taux d’intérêt.
- Les subventions aux logements : s’inscrivent dans le cadre des programmes publics destinés à fournir des logements abordables (logement locatif et logement à l’achat). Les aides explicites au logement sont acheminées par le biais du Fonds national du logement. En 2021, elles se sont élevées à environ 424 milliards de DA (1,9% du PIB).
- Les subventions alimentaires : couvrent le pain, certains sous-produits du blé dur et de l’orge, le lait pasteurisé reconstitué à partir de lait en poudre, l’huile de cuisson raffinée et le sucre cristallisé blanc. L’état couvre la différence entre le coût de marché des matières premières et leur prix de gros réglementé. En 2021, ces subventions alimentaires sont estimées à 197 milliards de DA (0,9% du PIB).
- Les subventions des taux d’intérêt : visent à encourager l’investissement et l’entrepreneuriat (avec des taux d’intérêt réduits sur les prêts-projets, y compris dans certains cas une période de grâce pouvant aller jusqu’à cinq ans sur les paiements d’intérêt). Ces taux d’intérêt bonifiés sont un levier principal des programmes d’investissements publics ciblant des activités ou des régions spécifiques. En 2021, elles sont estimées à environ 160 milliards de DA (0,7% du PIB).
- Les subventions à l’éducation : permettent de couvrir le coût des fournitures scolaires, de la nourriture, du logement, du transport et des bourses pour les élèves et étudiants éligibles. En 2021, elles sont estimées à 132 milliards de DA (0,6% du PIB).
- Les subventions à l’énergie : Avec des prix des carburants fixés au niveau des différents segments de la chaîne (production, raffinage et distribution), le consommateur algérien bénéficie des prix à la pompe parmi les moins chers dans le monde (à mi-décembre 2021, l’Algérie vient en 5e place avec un litre d’essence coûtant 0,33 dollar). En outre, le niveau des subventions fluctue en relation avec les prix du brut (baisse des subventions avec la baisse du brut et vice-versa). En 2021, et de façon directe, les subventions à l’énergie sont de 97 milliards de DA (soit 0,4% du PIB).
Question 4 : Quelles sont les subventions implicites (indirectes) ? Le soutien de certains produits alimentaires, de l’eau, de l’électricité, du gaz naturel et des logements publics conduit à des prix de vente inférieurs à leur coût de production. Les entreprises productrices font donc face à un manque à gagner qui fragilise leur situation financière, contraignant l’Etat à les compenser au moyen de subventions d’exploitation. Elles ne figurent pas expressément sous forme de ligne budgétaire. Les plus importantes sont :
- Celles liées aux produits énergétiques : Des études internationales de la Banque mondiale et du FMI les estiment à environ 1450 milliards de DA (soit 8% du PIB) en 2020 une fois leur impact secondaire pris en considération (changement climatique, pollution et congestion). A titre comparatif, citons la Chine (13% du PIB), l’Afrique du Sud (14% du PIB), la Russie (40% du PIB), l’Ukraine (66,7% du PIB), la France (1,4% du PIB) et les USA (3,6 % du PIB).
- Celles liées au logement : découlent de la fourniture par le gouvernement de terrains à un coût pratiquement nul pour les programmes de logement public. Elles sont estimées à environ de 76 milliards de DA soit 0,4% du PIB.
Les aspects négatifs des subventions. Ces dernières sont
- Coûteuses : Pour 2021, en cumulé, les subventions explicites et implicites sont de $18,8 milliards ou 11,8% du PIB. Vu leur nature universelle pour la plupart, cela signifie que le coût de la subvention n’est pas plafonné et va varier avec la hausse sur les marchés internationaux des prix des produits soutenus.
- Mal ciblées et inéquitables : Les subventions profitent de manière disproportionnée aux groupes à revenu moyen élevé et sont donc inefficaces en tant qu’outil de protection sociale. Nombre d’entre elles sont régressives et renforcent, plutôt que corrigent, les inégalités existantes. Les statistiques disponibles font ressortir que les ménages les plus aisés consomment par rapport aux ménages les plus démunis : (1) six fois plus de produits énergétiques subventionnés ; (2) 61 % d’électricité subventionnée ; (3) 58 % d’eau subventionnée ; et (4) 8 % de produits alimentaires subventionnés, In fine, les ménages les plus riches sont les grands bénéficiaires des subventions. Un système régressif.
- Inefficaces : les subventions sur les produits énergétiques et alimentaires (lait en poudre et blé) entraînent la surconsommation, le gaspillage et découragent les investissements dans les secteurs de l’agriculture et de l’énergie, évinçant ainsi les dépenses publiques propices à la croissance. Enfin, les subventions encouragent la contrebande et l’activité au marché noir, ce qui peut entraîner des pénuries de produits subventionnés. Tout cela contraint le potentiel de croissance, renforcent les distorsions des prix et évincent les dépenses productives en capital humain et physique.
Pourquoi reformer ?
Premier point : restaurer la fonction originelle qui est de protéger les couches vulnérables de la population et se doter d’instruments de protection plus adaptés et budgétairement soutenables afin de réallouer les épargnes à des activités porteuses de croissance. Second point : alléger leur poids. En 2021, le poids des subventions est très lourd sur le plan budgétaire (11,8% du PIB), excédant les recettes pétrolières (11,1% du PIB), la masse salariale (11,6% du PIB) et les dépenses en capital (10,5% du PIB). Des niveaux insoutenables qui risquent de conduire à des crises de solvabilité, ce qui serait socialement et économiquement coûteux.
Troisième point : enrayer la dégradation continue des finances publiques. A fin 2021, Le déficit primaire (recettes hors pétrole moins les dépenses de base) devrait atteindre 1740 milliards de DA, ce qui ne permet pas de couvrir les intérêts de la dette publique (112 milliards de DA) et les dépenses d’investissement (2383 milliards de DA). Cela illustre la non-viabilité des finances publiques. Toutefois, précisons que la dégradation des finances publiques n’est pas due uniquement au poids des subventions. Elle reflète également la faiblesse des recettes fiscales, la lourdeur de la masse salariale, l’inefficacité des dépenses d’équipement et une structure du financement du déficit qui est source de gaspillage.
Comment réformer les subventions ?
Premier point : Les réformes des subventions sont difficiles et complexes. Basées sur les expériences internationales, une réforme judicieuse des subventions implique : (i) une préparation minutieuse avec une approche graduelle et une réforme large dans son ensemble (dont une analyse en profondeur du système de protection sociale) ; (ii) un travail d’explication approfondi auprès de la population qui d’ailleurs comprend parfaitement le besoin de s’adapter aux nouvelles réalités du pays ; (iii) une appropriation solide de la part des autorités ; (iv) des mesures d’accompagnement pour alléger l’impact sur les couches vulnérables de la population ; (v) un contexte économique et politique opportun ; et (vi) la mobilisation d’une expertise pour la conception, la mise en place et le suivi.
Les subventions profitent de manière disproportionnée aux groupes à revenu moyen élevé et sont donc inefficaces en tant qu’outil de protection sociale. Nombre d’entre elles sont régressives et renforcent, plutôt que corrigent, les inégalités existantes.
Second point : La réforme des subventions et transferts sociaux doit s’inscrire dans la stratégie de refondation de l’économie. Ceci implique des dépenses sociales appropriées bien ciblées qui jouent un rôle essentiel dans la protection des groupes vulnérables, le soutien de la stabilité sociale et politique, la lutte contre les inégalités de revenus et d’opportunités et la stabilisation de la demande face aux chocs économiques.
Troisième point : Abandonner le système de subventions universelles au profit d’un système de soutien plus ciblé en faveur des ménages à faible revenu. La priorité immédiate devrait être donnée aux subventions les plus coûteuses, celles qui causent le plus de distorsions et qui affectent le moins les ménages à faible revenu. Des mesures d’atténuation – qui pourraient être financées par une partie des économies générées par la réforme – devraient être mises en œuvre pour protéger les ménages les plus vulnérables de son impact, en particulier lorsqu’il s’agit de lutter contre les subventions alimentaires. Les augmentations de prix associées à la suppression progressive des subventions devraient être échelonnées dans le temps et, si nécessaire, accompagnées d’un mécanisme de tarification automatique pour se prémunir contre les ingérences politiques.
Les impacts multiformes de la réforme des subventions
Ces réformes produiront des impacts multiformes qu’il va falloir gérer, notamment au niveau :
- Macrofiscal (à condition que les transferts en cash soient bien ciblés pour produire un effet net positif en termes de recettes).
- Microéconomique, les entreprises pourraient faire face à des inputs plus élevés qui les mettraient en difficulté financière. Dans ce contexte, il est utile de procéder à des augmentations progressives et demander à ces entreprises de préparer des plans de renforcement de leur gestion. En attendant, des efforts doivent être faits pour rendre l’environnement de ces entreprises favorable et compétitif, inscrire leur démarche dans des stratégies sectorielles et opérer un ajustement progressif des prix des produits subventionnés.
- Concernant les prix à la consommation, l’impact va dépendre des effets premiers et secondaires et des mesures correctives prises par les autorités. Pour les effets premiers, l’ampleur de la répercussion va dépendre de la part de ces produits dans l’indice des prix à la consommation. Pour les seconds effets, ils dépendront des anticipations sur l’évolution des prix et des mécanismes éventuels d’indexation existants. Il est donc nécessaire de veiller à ce que la politique monétaire accommode le premier round tout en répondant au second round.
- Pour ce qui est de l’impact sur la pauvreté et l’inégalité, bien que régressives, les subventions apportent un soutien social. L’impact sur la pauvreté est déterminé par l’ampleur des ajustements de prix et des mesures correctives mises en place.
A. B.