Larbi Khellal, originaire de la commune de Chorfa, à l’est de la wilaya de Bouira, se souvient encore du massacre du 17 Octobre 1961 à Paris. Des milliers d’Algériens et de sympathisants de différentes nationalités avaient répondu à l’appel de la Fédération de France du FLN (FFF) pour manifester pacifiquement contre le couvre-feu instauré par les autorités françaises. Le jeune Larbi Khellal, vingtenaire à l’époque, était connu sous le nom de guerre «Moustique». Il était un élément actif du groupe de choc de la FFF.
Cette nuit-là, la situation s’est vite dégénérée, se rappelle-t-il. Les portes de l’enfer ont été ouvertes sur les Algériens. Pendant que les manifestants occupaient progressivement les rues de Paris, aussitôt, le feu vert est donné aux forces de l’ordre pour réprimer violemment les marcheurs, ce qui a vite viré au massacre.
Les gens couraient dans tous les sens pour échapper à la matraque, y compris Larbi. Dans la panique, il a senti une main s’agripper à son manteau. Pensant qu’il s’agissait d’un policier ou d’un agent antiémeute, il s’est retourné pour se battre, étant lui-même boxeur. Cependant, il a été surpris de voir un enfant en pleurs au milieu d’une foule en ébullition. «Je l’avais pris dans mes bras de peur qu’on l’écrase», se souvient-il encore.
A ce moment-là, un policier se tient devant lui, l’humilie d’une gifle et l’interroge sur ce qu’il faisait à la manifestation avec l’enfant. «Je lui ai dit que je ne faisais que passer avec mon fils. Furieux, le policier m’a brutalement donné un coup de pied dans la cuisse avant de m’ordonner de quitter les lieux immédiatement.
Cet enfant, surgi de nulle part, m’avait sauvé la vie comme j’avais sauvé la sienne. Il s’est avéré être le fils d’un compatriote.» Bien avant cette sanglante manifestation, Si Larbi avait participé pour la première fois, en 1953, à une autre protestation organisée par le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) en France. Il avait à peine 17 ans à l’époque.
Des militants du parti lui proposaient de leur vendre le journal Algérie Libre et garder l’argent pour lui. «C’était Mokrane Gaci, un militant du parti, qui m’avait convaincu de rejoindre la manifestation qui a eu lieu le 14 juillet 1953. Ma première expérience lors de laquelle j’ai assisté à la mort, par balle, d’un manifestant du nom de Bacha Abdellah, originaire de la localité de Bahalil, dans l’actuelle commune d’Aghbalou. Ce fut mon premier choc. Je le garde toujours dans ma mémoire», dit-il les larmes aux yeux.
Durant la Glorieuse Révolution de 1954, le jeune Larbi s’engage dans le groupe de choc de la FFF pendant deux années, avec ses camarades, dont la plupart étaient issus de son village natal. Il site Mohamed Djellidi, dit La Chapelle, Saïd Arbane, connu sous le nom de guerre de Spoutnik, Allaoua Hadjou et autres, sous le commandement de Mohamed Seddik Sedkaoui, dit Rapide, originaire d’Alger.
La mémoire de Si Larbi l’octogénaire déborde encore de souvenirs, parfois douloureux. Il se rappelle de son arrestation, en France, pour insoumission en 1956. Il a été ensuite conduit en Allemagne Fédérale pour passer son service. Après seulement 13 jours, il est mis en prison à cause de son comportement, jugé agressif et impulsif.
Il avait même battu le fils d’un certain commandant Godard. De plus en plus incontrôlable, les maîtres des lieux décident de le transférer à la section de redressement pour une durée de plusieurs mois, où il passa son séjour dans les travaux forcés. «Une fois libéré, j’ai renoué avec mes camarades du groupe de choc de la Fédération.» Toujours pendant la Guerre de Libération, son groupe a été signalé à rue Daniel Casanova, à Paris.
«Amirat était accompagné du colonel Amar Ouamrane»
Les lieux avaient été vite encerclés. Commence alors une indescriptible angoisse. «La situation était gravement difficile. Nous nous cachions dans une loge d’une cafétéria avec en notre possession des rapports financiers, organiques et autres documents de la FFF. Heureusement, nous avons été alertés à temps de la présence policière.
Notre seule solution était de mouiller les rapports et de les ingérer pour ne laisser aucune trace si la police arriverait à découvrir notre cachette. Le propriétaire du café, un compatriote, a pu gérer la situation en détournant l’attention de la police. Nous étions encore une fois sauvés», dit-il. D’autres surprises attendent encore le moudjahid qui se trouvait toujours en France durant le cessez-le-feu.
Cette fois, c’est le valeureux Slimane Amirat qui, juste après sa libération de prison, l’invite à le rejoindre à l’hôtel Royale Pigalle à Paris. «Amirat était accompagné du colonel Amar Ouamrane qui connaissait mon frère Slimane, tombé au champ d’honneur.
Les deux hommes m’attendaient avec eux une troisième personne qui n’était autre que celui qui m’avait mis en prison et en section de redressement en Allemagne en 1957. Lui aussi un compatriote. Je l’avais vite reconnu, puis tout révélé devant les deux chefs historiques…»
Si Larbi Khellal termine cette entrevue en apportant une précision à certains individus qui considèrent que c’est le général de Gaulle qui a «accordé» l’indépendance à l’Algérie. «Au contraire, c’est le général de Gaulle qui a fait le plus de mal aux Algériens durant la Révolution. Il avait employé les pires méthodes que l’on puisse imaginer dans le but de garder l’Algérie française.»