Point de vue / Le second choc douanier américain et ses répercussions sur le monde et l’Algérie

07/04/2025 mis à jour: 16:17
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Le choc douanier déclenché par l’administration Trump le 2 avril 2025 représente un risque majeur pour la stabilité des économies américaine, mondiale et algérienne. Ce choc intervient dans un contexte marqué par des fractures géopolitiques et économiques ainsi qu’une transformation technologique rapide qui présente des avantages, mais également des dangers en l’absence de réglementations appropriées. 

Plus particulièrement, ce choc risque paradoxalement de freiner la dynamique, la productivité et la compétitivité de l’économie américaine, d’accélérer le ralentissement économique mondial (dont les niveaux de croissance sont les plus faibles par rapport aux trois dernières décennies) et d’affecter davantage une économie algérienne dont la résilience est mise à mal. Un choc douanier d’une telle ampleur va avoir des répercussions macroéconomiques (contraction des échanges commerciaux mondiaux, montée des tensions inflationnistes et perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales), exacerber encore davantage les tensions géopolitiques actuelles et accroître la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine. 

Face à ces défis externes croissants, les risques de stagflation (combinaison d’une faiblesse de l’activité économique avec une intensification des pressions inflationnistes), voire de récession aux Etats-Unis et par extension au reste du monde, sont désormais réels. 

Un autre risque est celui d’une guerre commerciale dont l’ampleur dépendra des formes de défense retenues par les différents partenaires commerciaux, y compris à court terme l’adoption de mesures de rétorsion et/ou la négociation et à moyen terme la recherche de nouveaux partenariats. 

Il ne serait pas surprenant que la Chine sorte géopolitiquement renforcée de ce contexte international fragile vu les tentatives de rapprochement de nombreux pays du Sud et avancés. 

Dans ce contexte, l’Algérie doit élaborer rapidement une stratégie cohérente à moyen et long terme, prenant en compte les enjeux macroéconomiques (stabilisation économique et financière), structurels (diversification des marchés externes) et sectoriels (croissance à haute valeur ajoutée). L’objectif étant d’assurer une croissance durable, résiliente et inclusive. Discutons de ces questions et enjeux.

Les chocs douaniers vont dégrader davantage les cadres macroéconomiques des nations à travers le monde Ces derniers vont être profondément affectés par les chocs douaniers initiés au cours des trois premiers mois de la présidence de Donald Trump, dans un contexte déjà fragilisé par les incertitudes liées aux nouvelles politiques économiques et commerciales des dirigeants élus en 2024. Au-delà des aspects purement économiques, ces chocs douaniers ne manqueront pas d’altérer les structures économiques et énergétiques mondiales. 

La croissance économique et l’inflation mondiales : Les prévisions économiques mondiales du FMI pour 2025 et 2026 prévoient un ralentissement historique de la croissance économique (3,3%) et une inflation élevée (2,7% aux Etats-Unis, 1% dans la zone euro). 

Ces projections seront révisées incessamment à la baisse pour intégrer l’intensification des tensions commerciales et son corollaire, notamment le ralentissement économique plus prononcé que prévu. L’économie américaine, qui jusqu’ici évoluait au-dessus de son potentiel, pourrait également perdre de son dynamisme qui était soutenu par des facteurs structurels tels qu’une hausse de la productivité, une forte compétitivité et un contexte des affaires performant. Une récession auto-manufacturée.

Perturbation du commerce international : Les deux chocs douaniers déclenchés par Trump vont perturber les routes commerciales mondiales et augmenter les prix à la consommation. 

L’imposition de droits de douane de 10% sur toutes les importations américaines et de taxes additionnelles sur les pays avec des excédents commerciaux vont pénaliser plus particulièrement les économies asiatiques. In fine, ce protectionnisme entretient les tensions commerciales internationales et géopolitiques, l’incertitude et l’affaiblissement de l’activité économique.

Les piliers du programme économique de l’administration Trump en 2025

Depuis janvier 2025, le programme économique de la nouvelle administration repose sur des droits de douane élevés sur les importations (10 à 60%), une politique fiscale plus favorable aux entreprises et une déréglementation dans certains secteurs, comme l’énergie et la finance. Toutefois, ce programme souffre de contradictions dans la mesure où les droits de douane élevés risquent d’augmenter les coûts pour les consommateurs, favoriser l’inflation et dérégler les chaînes d’approvisionnement mondiales, des éléments qui défavorisent la croissance à long terme.

L’instrumentalisation des droits de douane comme levier économique : Sous Trump, les droits de douane ne servent pas uniquement des objectifs économiques, mais aussi politiques et diplomatiques. L’utilisation de ces mesures comme levier pour faire pression sur des pays comme le Mexique, le Canada ou la Chine a montré son efficacité immédiate, mais risque de nuire à long terme aux relations commerciales mondiales et aux équilibres géopolitiques. Une telle approche rend les relations internationales plus imprévisibles et fragiles, et entretient les fractures diverses.

L’histoire des droits de douane et leurs conséquences : Les politiques tarifaires de Trump rappellent les précédentes tentatives de protectionnisme au XIXe siècle, comme les tarifs McKinley de 1890 et au XXe siècle les droits de douane Smoot-Hawley de 1930. 

Dans les deux cas, ce protectionnisme a déclenché des représailles et aggravé des crises économiques mondiales, y compris la Dépression de 1929. 

De manière similaire, les hausses de droits de douane sous le premier mandat de Trump ont perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales, augmenté les coûts pour les consommateurs sans pour autant contribuer à rééquilibrer la balance commerciale des Etats-Unis. Par ailleurs, elles n’ont pas asséché les flux de capitaux externes qui permettent de financer la surconsommation des agents économiques américains.
L’impact des hausses de droits de douane sous Trump (2017-2020) : Entre 2017 et 2020, les Etats-Unis ont imposé des droits de douane sur des importations de produits comme l’acier, l’aluminium, les panneaux solaires et certains produits chinois. 

Ces hausses ont eu un impact modeste sur la croissance du PIB (un recul de -0,2%), mais ont coûté la perte de 142 000 emplois et une hausse des prix pour les consommateurs. Bien que la balance commerciale n’ait pas été rééquilibrée, ces mesures ont exacerbé les tensions internationales, notamment avec la Chine, entraînant des représailles.

Les deux chocs douaniers de 2025 : Le premier choc douanier en janvier 2025 a consisté en des droits de douane de 25% sur des produits en provenance du Mexique, du Canada et d’autres pays. Ce choc avait déjà exacerbé les tensions mondiales. 

Le second choc douanier, en avril 2025, a imposé un droit de douane commun de 10% sur toutes les importations en provenance de tous les pays, avec des taux plus élevés pour certains pays (comme la Chine et l’Union européenne) qui enregistrent des surplus. Ce second choc a perturbé les marchés financiers (qui a baissé de 4,4%, la plus forte chute depuis 2020), déprécié le dollar et fait chuter le prix du baril et augmenté les prix des produits manufacturés, tout en ravivant les craintes d’une guerre commerciale mondiale.

Effets économiques du second choc douanier : Les estimations actuelles prévoient que la hausse des droits de douane pourrait entraîner une perte de croissance de 0,5% du PIB des Etats-Unis en 2025, une perte de pouvoir d’achat de 1700 dollars pour les ménages modestes et une hausse des prix dans certains secteurs comme l’habillement (17%). Ces effets sont amplifiés par une réduction des investissements étrangers et un affaiblissement de la compétitivité internationale des Etats-Unis. Moins surprenant, ces deux chocs vont casser la dynamique de l’économie américaine qui avait fortement bénéficié du multilatéralisme et de la mondialisation.  

Volatilité du dollar et vulnérabilité économique : Le 3 avril 2025, le dollar américain a atteint son plus bas niveau en six mois par rapport à l’euro, avec un taux de 1,1145 dollar pour 1 euro. Cette dépréciation s’explique par la probabilité accrue d’une récession américaine et d’une hausse de l’inflation, alimentée par les droits de douane imposés par les Etats-Unis. 

Ces droits de douane, qui affectent les coûts des entreprises américaines et leurs revenus, pourraient entraîner des contre-mesures de la part de la Chine et d’autres pays, aggravant la situation économique. L’Union européenne envisage des mesures de soutien pour contrer l’impact des droits de douane américains, ce qui pourrait favoriser une bonne tenue de l’euro. 

De plus, les tarifs douaniers pourraient entraîner un renversement des flux de capitaux avec des pays rapatriant leurs investissements, affaiblissant davantage le dollar. La dépréciation du dollar pourrait compliquer le refinancement de la dette américaine en 2025, avec des implications sur sa stabilité économique.

Réactions internationales et diversification des partenariats commerciaux : Face à l’isolationnisme croissant des Etats-Unis, de nombreux pays cherchent à diversifier leurs partenariats commerciaux. 

L’Union européenne a signé plusieurs accords avec des pays comme le Japon, le Vietnam et les membres du Mercosur, tout en continuant à renforcer des initiatives comme l’Accord transpacifique (CPTPP). La Chine a répondu par des contre-mesures, et d’autres partenaires commerciaux, tels que le Canada et le Mexique, ont cherché à réduire leur dépendance à l’égard des Etats-Unis. A l’échelle internationale, des accords comme le Partenariat économique régional global (RCEP) en Asie et la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) renforcent l’intégration économique régionale. Un processus de recomposition de la carte commerciale du monde est en train de naître.

Les signes avant-coureurs d’une récession. L’économie américaine montre des signes de ralentissement, voire de récession. Plusieurs indicateurs-clés, tels que la chute des indices de confiance des consommateurs, la baisse des perspectives manufacturières et la diminution des heures travaillées suggèrent un affaiblissement économique. 

Le taux de démission reste faible, signalant une inquiétude parmi les travailleurs. Les tendances du marché, avec la baisse des rendements obligataires et la montée du prix de l’or, révèlent une aversion au risque. Des compagnies aériennes comme Delta ont révisé leurs prévisions de revenus en raison de l’incertitude économique. Enfin, la FED régionale d’Atlanta prévoit une contraction du PIB au premier trimestre, augmentant les chances de récession pour 2025, bien que les facteurs imprévisibles, comme les tarifs douaniers et la géopolitique, joueront un rôle-clé dans l’ampleur et la durée de ce ralentissement.

L’Algérie et les répercussions de la nouvelle politique économique des Etats-Unis.  La composante douanière de la nouvelle politique économique des Etats-Unis pourrait avoir plusieurs conséquences pour l’Algérie. La hausse de la production pétrolière américaine pourrait entraîner une baisse des prix mondiaux du pétrole, déjà affaiblis par la baisse de la demande mondiale, affectant ainsi les comptes nationaux, externes et budgétaires du pays. D’ores et déjà, le second choc douanier a fait brutalement baisser les prix du pétrole à 69 dollars le baril. 

L’Algérie pourrait aussi être poussée à diversifier ses partenariats commerciaux, en cherchant de nouveaux marchés en Asie, en Europe et en Afrique. En parallèle, la déréglementation aux Etats-Unis pourrait attirer davantage d’investissements directs étrangers, plaçant l’Algérie dans une situation de concurrence difficilement tenable. 

Par ailleurs, un dollar plus fort risquerait de rendre le pétrole algérien moins compétitif et d’entraîner une hausse de l’inflation si le dinar se dépréciait. A contrario, un dollar plus faible réduirait les recettes d’exportation du pétrole. 

Ceci étant, des crises peuvent servir à entamer des sursauts et prendre en charge des défis et exploiter toutes les marges de manœuvre du pays. 

Dans ce contexte et pour se prémunir contre ces effets, il est souhaitable que l’Algérie mette en place une stratégie économique ambitieuse et cohérente, centrée sur la stabilisation économique, des réformes structurelles et des politiques sectorielles exploitant les nouvelles technologies. Trois axes principaux devraient guider cette stratégie : d’abord, stabiliser l’économie à travers une gestion rigoureuse des finances publiques, la réduction de l’endettement public et le contrôle de l’inflation ; ensuite, renforcer les leviers macroéconomiques, notamment la politique budgétaire et monétaire ; enfin, accélérer la diversification économique en investissant dans l’agriculture, le secteur manufacturier et les technologies, tout en réformant l’environnement des affaires et en ouvrant davantage le marché du travail et favoriser l’emploi des femmes. Une telle feuille de route permettra à l’Algérie de renforcer sa résilience face aux défis mondiaux et de favoriser une croissance élargie et durable à long terme.

 Par Abdelrahmi Bessaha , Expert international

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