Plusieurs organisations humanitaires accablent Israël : «La situation à Ghaza a dépassé le point de l’horreur absolue»

06/04/2024 mis à jour: 06:30
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Sept travailleurs de l’association humanitaire World Central Kitchen ont été tués par des frappes israéliennes - Photo : D. R.

Après les frappes israéliennes qui ont coûté la vie à 7 travailleurs humanitaires de l’organisation World Centrale Kitchen, l’ONG exige l’ouverture d’une enquête indépendante pour faire la lumière sur ce carnage en appelant plusieurs pays à se joindre à sa demande. De leur côté, MSF, Oxfam et d’autres ONG présentes en Palestine ont dénoncé l’ampleur de la catastrophe humanitaire à Ghaza et la difficulté de poursuivre leur action dans des conditions aussi périlleuses.

L’affaire des sept travailleurs humanitaires de l’ONG américaine World Central Kitchen (WCK) tués lundi suite à des raids israéliens à Deir Al Balah, dans la bande de Ghaza, continue de susciter de vives réactions d’indignation. Hier, WCK a exigé la création d’une commission d’enquête indépendante pour faire la lumière sur ce crime de guerre.

«Nous exigeons la création d’une commission indépendante chargée d’enquêter sur le meurtre de nos collègues de WCK. L’armée israélienne ne peut pas enquêter de manière crédible sur sa propre défaillance à Ghaza», a déclaré, en effet, l’ONG hier dans un communiqué. «Il ne suffit pas d’essayer simplement d’éviter de nouveaux décès (parmi les travailleurs) humanitaires, qui approchent désormais près de 200.

Tous les civils doivent être protégés et toutes les personnes innocentes à Ghaza doivent être nourries et en sécurité. Et tous les otages doivent être libérés», a insisté le fondateur de World Central Kictchen, le chef cuisinier José Andrés, cité dans le même communiqué.

Dans une interview accordée jeudi à CNN, le chef hispano-américain a accusé ouvertement Israël d’avoir ciblé délibérément le convoi de l’organisation caritative. «Les forces israéliennes n’ont pas tué 7 des employés de l’organisation par erreur, selon ce qui a été prétendu, mais plutôt systématiquement.

Elles ont pris pour cible une voiture après l’autre», a affirmé José Andrés. Selon lui, l’entité sioniste «a ciblé l’équipe de secours dans une zone de déconfliction contrôlée par son armée, sachant que nos équipes la traversaient».

«Notre convoi  ne représentait aucune menace»

Alors que l’armée israélienne a reconnu avoir commis «une grave erreur», World Central Kitchen réclame «des mesures concrètes pour assurer la sécurité des travailleurs humanitaires». Dans le même communiqué, WCK a fait savoir : «Nos opérations restent suspendues.»

L’ONG espagnole Open Arms, qui avait inauguré avec WCK le couloir maritime entre Chypre et Ghaza et avait fait parvenir le 15 mars dernier 200 tonnes d’aide humanitaire par bateau, a annoncé elle aussi suspendre ses opérations.

World Central Kitchen, qui était l’une des dernières ONG actives dans la bande de Ghaza et qui distribuait des repas à des centaines de Ghazaouis chaque jour, relève : «Il ressort clairement de leur enquête préliminaire que Tsahal a déployé une force meurtrière sans tenir compte de ses propres protocoles, chaîne de commandement et règles d’engagement.» Elle ajoute : «L’armée israélienne a reconnu que nos équipes avaient suivi toutes les procédures de communication appropriées.

La propre vidéo de Tsahal ne montre aucune raison de tirer sur notre convoi de personnel, qui ne transportait aucune arme et ne représentait aucune menace.»

Dans un précédent communiqué publié jeudi, WCK avait annoncé : «Nous avons demandé aux gouvernements de l’Australie, du Canada, des Etats-Unis, de la Pologne et du Royaume-Uni de se joindre à nous pour exiger une enquête indépendante et impartiale sur ces attaques, notamment pour savoir si elles ont été menées intentionnellement ou si elles ont violé le droit international.»

Et de préciser : «Pour garantir l’intégrité de l’enquête, nous avons demandé au gouvernement israélien de préserver tous les documents, communications, enregistrements vidéo et/ou audio, ainsi que tout autre matériel potentiellement pertinent pour les frappes du 1er avril.»

Revenant sur le déroulement des faits, l’ONG détaille : «Le 1er avril 2024, les forces de défense israéliennes ont tué sept travailleurs humanitaires employés par World Central Kitchen.

Les travailleurs humanitaires tués étaient des ressortissants d’Australie, du Canada et des Etats-Unis, de Ghaza, de Pologne et du Royaume-Uni.» WCK insiste sur le fait qu’il s’agit d’«une attaque militaire qui impliquait de multiples frappes et visait trois véhicules WCK.

Les trois véhicules transportaient des civils. Ils étaient marqués comme véhicules WCK, et leurs mouvements étaient pleinement conformes aux consignes des autorités israéliennes qui étaient parfaitement au courant de leur itinéraire et leur mission humanitaire».

Pour l’ONG américaine, «une enquête indépendante est le seul moyen de déterminer la vérité sur ce qui s’est passé, de garantir la transparence et l’identification des responsables, et de prévenir de futures attaques contre les travailleurs humanitaires».

Le Conseil de sécurité de l’ONU devait se réunir hier pour examiner la situation des travailleurs humanitaires et le risque de famine à Ghaza.

MSF et Oxfam dénoncent

Jeudi, plusieurs ONG présentes sur le terrain à Ghaza ont tenu une conférence de presse en ligne en solidarité avec World Central Kitchen. Ont pris part à cette conférence Médecins sans frontières (MSF), Oxfam, Médecins du monde et l’ONG britannique Save The Children International.

Ce qui s’est produit avec WCK «n’est pas une surprise parce que depuis six mois, nous avons été témoins des choix faits par Israël, qui mène une guerre contre une population entière piégée, privée de nourriture et massivement bombardée», s’est insurgée Isabelle Defourny, présidente de MSF-France.

«Ghaza devient progressivement impropre à la vie humaine», a-t-elle déploré. «Les conditions pour apporter une assistance humanitaire ne sont pas réunies», a-t-elle ajouté, avant de souligner : «Mais nous ne nous arrêterons pas de travailler à Ghaza.»

Isabelle Defourny rappelle que la CIJ a ordonné à Israël de «prendre toutes les mesures pour prévenir un génocide», mais l’Etat hébreux «a jusqu’ici fait le contraire, continuant à bloquer l’aide humanitaire et détruisant des infrastructures vitales, comme l’ont montré (l’attaque du convoi de) WCK et la destruction de l’hôpital Al Shifa».

«La situation à Ghaza a dépassé le point de l’horreur absolue», alerte la présidente de MSF-France. Dans la foulée, elle n’a pas manqué de charger les gouvernements complices des crimes israéliens. «Tout Etat apportant un soutien militaire à Israël : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, les pays de l’UE, l’Allemagne, la France... est moralement et politiquement complice de ce qui équivaut à nos yeux à un génocide», a-t-elle asséné.

La situation est particulièrement préoccupante dans le nord de la bande de Ghaza. «La zone devrait être une zone d’action contre la famine. Au lieu de quoi c’est une zone libre pour les tirs», a dénoncé Scott Paul d’Oxfam.

Selon une étude réalisée par cette ONG, les habitants du nord de l’enclave palestinienne «vivent avec moins de 245 calories par jour, soit moins qu’une boîte de haricots». Cela représente «moins de 12% des besoins caloriques quotidiens moyens».

Le Croissant-Rouge palestinien a rapporté de son côté que «31 enfants de la bande de Ghaza sont morts de faim et de déshydratation» au cours des dernières semaines.

Biden presse Netanyahu de conclure un cessez-le-feu

Le président américain, Joe Biden, a pressé Benyamin Netanyahu, au cours d’un entretien téléphonique, de «conclure sans délai un accord pour un cessez-le-feu immédiat» à Ghaza.

Pour la première fois, Biden a conditionné son soutien à Israël par des mesures «immédiates, concrètes et tangibles» que le Premier ministre israélien doit s’engager à prendre afin de protéger les civils dans la bande de Ghaza, notamment en accélérant l’acheminement de l’aide humanitaire.

«Le Président a souligné que les frappes contre les travailleurs humanitaires et la situation humanitaire globale à Ghaza sont inacceptables», a indiqué John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain à la Maison-Blanche, lors d’une conférence de presse.

Joe Biden «a clairement insisté sur la nécessité pour Israël d’annoncer et de mettre en œuvre une série de mesures spécifiques, concrètes et mesurables pour remédier aux dommages causés aux civils, aux souffrances humanitaires, ainsi que la sécurité des travailleurs humanitaires», poursuit John Kirby.

Le président des Etats-Unis, ajoute Kirby, «a formellement signifié que la politique américaine à l’égard de Ghaza sera déterminée par notre évaluation de l’action immédiate d’Israël sur ces mesures».

Face à ces pressions, le gouvernement israélien a annoncé hier via un communiqué qu’il allait autoriser de façon «temporaire» la livraison d’aide humanitaire à travers le port d’Ashdod et le point de passage d’Erez.

Les autorités israéliennes vont aussi permettre «l’augmentation de l’aide jordanienne par Kerem Shalom». 
Commentant les décisions annoncées, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken dira : «Ce sont des développements positifs, mais le vrai test ce sera les résultats, et c’est ce que nous examinerons dans les prochains jours et les prochaines semaines.»

Washington surveillera avec attention «le nombre de camions qui peuvent vraiment entrer, sur une base durable» en s’assurant que l’aide «sera distribuée partout à Ghaza, y compris dans le Nord» a précisé M. Blinken.

L’ancien président américain et candidat à la prochaine présidentielle Donald Trump, connu pourtant pour son soutien ardent à l’entité sioniste, a estimé dans l’émission «The Hugh Hewitt Show», diffuée jeudi, qu’«Israël est en train de perdre la guerre de la communication» à Ghaza. «Il faut en finir et revenir à la normalité», a-t-il lâché.

«Il faut une victoire, et cela prend beaucoup de temps. Revenons à la paix et arrêtons de tuer des gens», a ajouté l’ancien locataire de la Maison-Blanche.

Selon le dernier bilan communiqué hier par le ministère de la Santé dans la bande de Ghaza, 33 091 Palestiniens ont été tués depuis le 7 octobre, tandis que 75 750 personnes ont été blessées dans l’enclave dévastée.

La même source a indiqué que 54 civils au moins ont trouvé la mort et 82 autres ont été blessés dans des raids israéliens en 24 heures, entre jeudi et hier.

Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU appelle à l’arrêt de toute vente d’armes à Israël

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU (CDH) a adopté hier une résolution appelant à l’arrêt de toute vente d’armes à l’entité sioniste.

En effet, 28 des 47 membres du CDH ont voté en faveur de cette résolution, tandis que six ont voté contre, dont les Etats-Unis et l’Allemagne. Treize pays, dont la France, l’Inde et le Japon, se sont abstenus.

Ce texte a été présenté par le Pakistan au nom de 55 des 56 pays membres de l’ONU faisant partie de l’Organisation de coopération islamique (OCI).

Outre la vente, le transfert et la livraison d’armes, de munitions et d’autres équipements militaires à l’Etat hébreux, le document appelle également Israël à «mettre fin à son occupation» des Territoires palestiniens occupés depuis 1967, y compris El Qods-Est.

Il demande par ailleurs à ce que l’entité sioniste «lève immédiatement son blocus sur la bande de Ghaza et toutes les autres formes de punition collective».

En outre, la résolution «condamne l’utilisation d’armes explosives à large rayon d’action dans les zones peuplées de Ghaza» ainsi que l’utilisation de l’intelligence artificielle «pour aider à la prise de décision militaire susceptible de contribuer à des crimes internationaux». R. N.

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