Pluie d’hommages pour Mizou : Comment s’éteindre quand on a été tant aimé, Ameziane Ferhani ?

03/01/2024 mis à jour: 04:00
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Photo : D. R.

Ameziane Ferhani, le journaliste au long cours, l’écrivain, l’érudit, le jovial, le bienveillant, l’homme à la biographie foisonnante, nous a quitté brutalement dimanche dernier à l’âge de 69 ans, nous laissant orphelins d’un intellectuel prodigieux et d’un ami attachant qui a longtemps fait partie de la famille d’El Watan. Mais Ferhani est plus vivant que jamais par ses écrits. Les Algériens gagneraient à s’emparer de son œuvre et c’est le meilleur hommage qui puisse être rendu à notre tendre «Mizou» – Allah Yerahmou. 

Ameziane Ferhani. La gaieté incarnée. Il vient de nous quitter, et nous peinons encore à aligner ces mots et à avaler cette info. Oui, Mizou n’est plus.

Nous avons enterré l’année 2023 avec sa dépouille fraternelle. Un dimanche. Il s’est éteint tôt ce matin du 31 décembre, et il a été inhumé le jour même au cimetière de Garidi, à Kouba. Il s’en est allé rejoindre son frère Yacine, éminent pédiatre, arraché à la vie trois jours plus tôt.

C’est la poésie cruelle de cette facétie du destin. La veille de sa disparition, nous dit un de ses voisins, il vaquait aux préparatifs de la cérémonie du troisième jour à la mémoire de feu Dr Yacine Ferhani.

Lui qui, parmi ses multiples talents, avait celui de rendre les plus beaux hommages à tant d’artistes, d’écrivains et autres confrères disparus, voilà que cet exercice ô combien délicat nous échoit, et nous ne savons comment nous y prendre devant ce monument affectueux.

Comment restituer en quelques mots les grandes stations de sa biographie foisonnante ? Une vie si dense, si fertile.

Gargantuesque. Déjà, il nous est éprouvant de parler de lui au passé. Lui dont la présence ne pouvait être dissociée de sa voix tonitruante aux éclats rieurs qui résonnait dans les couloirs du journal, et qui précédait son surgissement dans la salle de rédaction, on croit encore l’entendre, sa voix gouailleuse, tant son compagnonnage a été marquant.

Car pendant une bonne dizaine d’années, Ameziane a dirigé le supplément «Arts et Lettres», le cahier culturel d’El Watan. Avec ses «Frontons» truculents, il chroniquait avec panache la vie culturelle sous nos latitudes et ses vicissitudes.

Sa plume aiguisée disait avec tendresse le réel algérien dans toute sa complexité et ses extravagances. Il n’était jamais à court d’inspiration pour écrire sur n’importe quel sujet.

De fait, Ameziane avait cette expertise polyvalente, cette aisance, du journaliste complet, rompu à tous les registres. 

«Une bibliothèque a fermé ses portes»

La postérité d’un homme se mesure de prime abord à l’émotion que suscite sa perte mais aussi au souvenir qu’il aura laissé dans le cœur de ceux qui l’ont connu. Et à voir la pluie d’hommages qui ont fusé à l’annonce de sa disparition, nul doute que Mizou a d’ores et déjà accédé au panthéon des grands de l’Algérie.

Parmi les messages innombrables, longs ou concis, qui lui ont été consacrés, via les réseaux sociaux notamment, saluant avec une vive affliction sa mémoire, retenons celui, bouleversant et en même temps très digne, de son ami et compagnon de route de longue date, le merveilleux Noureddine Boutella.

Noureddine a par ailleurs travaillé avec lui en sa qualité de graphiste sur des travaux d’édition et de communication.

Dans un magnifique témoignage publié sur sa page Facebook, Boutella restitue méthodiquement et avec grâce des stations méconnues de la vie trépidante de celui qu’il appelle simplement «Meziane».

Et nous avons profondément gré au frère de Safy Boutella de nous gratifier ainsi d’éléments biographiques aussi précieux. «Un poète s’en est allé. Une bibliothèque a fermé ses portes. Ameziane Ferhani a pris le large.

Conteur hors pair, fin diplomate, aussi à l’aise avec les monarques qu’avec les artisans ou les pêcheurs, préférant sans nul doute la compagnie de ces derniers aux ors guindés des palais» écrit Noureddine Boutella.

Le graphiste – et également compositeur de musique comme son illustre frère – insiste sur le fait qu’Ameziane «adorait les histoires par-dessus tout». «Passé maître dans l’art ancestral de les raconter, il savait en extraire et en distiller le charme», observe-t-il.

D’ailleurs, pour abonder dans le sens de ce que dit Noureddine, en lisant son recueil de nouvelles, «Les Couffins de l’équinoxe» (éd. Chihab, 2018), on prend la mesure de son goût pour le conte en tant que genre littéraire et de sa parfaite maîtrise de ses codes narratifs.

Dans la nouvelle qui ouvre le recueil, «L’Authentique prédiction de Cheikh Larbi Boukanssi», Ferhani plante d’emblée le décor avec art : «Ceci, ô nobles gens, achèvera mes paroles en ce jour de marché qui nous a trouvés en paix.

Puissions-nous garder la force, la foi et la joie pareillement», se lance-t-il. Et vous ne pouvez plus lâcher le livre. C’est ça la magie Ameziane, son instinct du rythme. 

Noureddine Boutella poursuit : «Auteur de deux recueils de nouvelles, Traverses d’Alger  et  Les Couffins de l’équinoxe et d’une nouvelle, Le Tetraktys des Aurès dans un recueil collectif : «Medghacen, histoires secrètes» parus aux éditions Chihab, Ameziane venait d’achever son premier roman, «L’inspecteur des Jacarandas» (…).

Parrain ou commissaire de nombreuses manifestations culturelles, auteur d’un nombre impressionnant de préfaces de catalogues d’art, Ameziane Ferhani fut durant de nombreuses années le rédacteur en chef et l’animateur passionné du supplément « Art & Lettres » du quotidien El Watan, guetteur de la vie culturelle algérienne et témoin attentif des moindres soubresauts de la société qu’il chérissait tant».

Et d’enchaîner : «Il fut commissaire de «l’Année de l’Algérie en France», directeur de la communication de la BNA, chargé d’études et de rapports pour des instances internationales, animateur de sessions de communication de crise pour de grandes institutions algériennes…

Animateur d’ateliers d’écriture, il était un passeur et un pédagogue hors pair, usant de méthodes fantasques et inventives pour captiver son auditoire avec intérêt et humour, faisant toujours entrer le quotidien et le familier dans l’apprentissage, l’austérité et l’ennui en étant bannis».

Une érudition joyeuse

Evoquant son riche background et sa curiosité dévorante, Boutella note : «Il avait une anecdote sur absolument chaque situation, chaque sujet, chaque fait divers, et comme dit le philosophe, rien de ce qui est humain ne lui était étranger.

Sa curiosité ne connaissant pas de limites, à la manière d’Umberto Eco qu’il affectionnait, il savourait ce plaisir presque coupable de s’intéresser à tout».

«Ses études de littérature, puis de sociologie urbaine, ayant eu pour maître l’éminent Rachid Sidi-Boumedine, l’ont tout naturellement amené à s’intéresser à l’architecture, à la communication, à la linguistique, mais également au cinéma, à la bande dessinée, au jeu de dames, à la floraison des jacarandas ou à la poésie des escaliers d’Alger.»

Témoin de la popularité de Mizou, Noureddine Boutella cite cette anecdote éloquente : «Arpenter la rue Didouche avec Meziane était une aventure.

Partant du Sacré-Cœur, cœur battant de sa jeunesse, il nous fallait à chaque fois près de deux heures pour rallier la Grande Poste, tant il serrait de mains sur la route, saluant les uns, se rappelant d’un rendez-vous avec un autre, rendant une courte visite à tel commerçant, s’arrêtant papoter avec tel jeune étudiant, s’émerveillant devant la vitrine d’un brocanteur, faisant remarquer le détail d’un porche ou l’encorbellement ouvragé d’une façade, se rappelant au passage une anecdote avec un ancien professeur.

On ponctuait toujours nos balades par un arrêt-café au comptoir, où il ne manquait jamais de plaisanter avec le serveur, lui rappelant au passage l’origine ottomane ou maltaise de tel ou tel mot désignant un cendrier ou une cafetière.»

Citons cet autre hommage émouvant de notre ami, l’architecte et urbaniste Larbi Merhoum. Extrait : «Nous terminons l’année 2023 sans Mizou. Impensable jusqu’ à hier matin (dimanche, ndlr). Nous l’avons tous eu au téléphone il y a trois jours.

Il nous a tous fait sourire alors que nous l’attendions abattu, avec un ‘‘tu vois, il était plus jeune que moi (parlant de son frère qu’il venait d’enterrer) ; il ne fumait pas, il ne buvait pas, il est parti et moi pas!’’ » «Tu étais le frère, l’ami, le confident, le sourire, le rire, la dose de vitamine pour la moitié de ma génération», énumère Larbi Marhoum avec tendresse.

«Tu avais, tout comme ton ami Rachid (Rachid Sidi Boumedine, ndlr), souligne-t-il, cette érudition et curiosité sans fin assorties d’une facilité déconcertante à décrire et dire les choses, à les rendre comestibles à toute heure et à toutes les sauces, debout sur un trottoir, entre les rayons de la supérette des Sources, ou dans un amphi de fac.»

Lui rappelant qu’il était «parti rejoindre» son «professeur et ami Rachid Sidi Boumedine», ce dernier étant décédé le 8 novembre 2022, Marhoum enrage : «Vous êtes partis l’un après l’autre, laissant, comme si un destin funeste s’acharnait sur ce pays, des béances dans une mémoire collective « citadine « largement ébranlée par les soubresauts de cette terre, voire d’un monde qui se dépatouille encore dans les plis des képis, des kipa et des fanions fanés.»

Et de conclure : «Il nous restera les réparateurs de tombes pour nous faire pardonner de ne pas vous avoir aimés à la hauteur de tout l’amour que vous avez dispensé autour de vous.»

De son côté, l’écrivain Waciny Laredj a eu ces paroles contrites et douloureuses : «Très triste cher frère Ameziane Ferhani. Tu es parti sans que l’on puisse se dire ce qu’on avait sur le cœur.

On est dans le tragique le plus absolu.» Ahmed Bedjaoui, le «Monsieur cinéma», a posté un message touchant où l’on peut lire : «Il va terriblement nous manquer, à titre personnel pour ses amis, et aussi pour le monde de la culture algérienne. C’est un érudit, un grand humaniste qui s’en va et avec lui une partie de l’Algérie qu’on aime.»

Walid Bouchakour, notre ancien collègue qui l’a longtemps côtoyé dans la confection du cahier culturel «Arts & Lettres», et qui est aujourd’hui doctorant en littérature aux Etats-Unis, s’est fendu de ce message plein de reconnaissance pour celui qu’il considère comme son mentor : «Je ne pourrais pas dire ici tout ce que je dois à Ameziane Ferhani.

C’est un ami, un mentor, un modèle. Il était la curiosité intellectuelle incarnée. Toujours heureux de partager son savoir mais aussi de s’émerveiller de ce qu’il apprenait dans les livres ou dans la rue.

Avec lui, on pouvait être sérieux sans se prendre au sérieux. Toujours souriant, toujours prêt à sortir un jeu de mots ou une blague pour dédramatiser les situations les plus délicates. Ameziane, c’est le talent, l’intelligence, la générosité, le savoir, le plaisir... La vie. Et je n’arrive pas à imaginer le contraire.»

«Mon père aimait la vie et les gens»

Notre amie Feriel Gasmi Issiakhem, global designer, architecte d’intérieur et commissaire d’expositions, et qui a bien connu Ameziane Ferhani, lui a rendu elle aussi un hommage sincère : «Qui ne dira pas que tu as été le confident et l’ami dévoué de tout ceux qui t’ont connu ? Qui ne témoignera pas de ta légendaire bienveillance ?

Qui ne se souciera pas du manque de ta sacrée écriture qui laissera un vide béant à la scène culturelle algérienne car considérée comme référence ?» note-t-elle avec émotion, avant d’ajouter : «Mizou, tu es parti dans toute la discrétion qui te caractérise.

Et toi, l’ami, tu vas me manquer cruellement comme ta bonne humeur et tes blagues qui remettaient d’aplomb les esprits les plus enclins à la déprime.

Tu as été tant aimé, tant respecté et tant admiré. Merci pour tout ce que tu as apporté à l’Algérie à travers tes écrits, critiques et nouvelles. Merci pour tes conseils, ton affection et amitié. Rebbi Yerrahmek Grand homme ‘‘Ameziane Ferhani’’. L’Algérie vient de perdre un géant.»

Le cinéaste et critique de cinéma Samir Ardjoum a tenu à son tour à témoigner de ce qu’il doit à Ameziane en tant que responsable éditorial : «Il s’appelait Ameziane Ferhani et si ce monsieur n’existait pas, je ne serais jamais devenu journaliste en Algérie. Il fut le premier qui me laissa écrire sur le cinéma algérien et dans un journal DZ.

Le premier qui m’offrit la possibilité de converser avec Farouk Beloufa et surtout d’écrire sur le film Nahla. Le supplément «Arts et Lettres» d’El Watan restera pour moi un laboratoire saisissant d’expérimentations. Merci mon ami, merci patron ! Grosses pensées à Hassen et sa famille.»

Hassen Ferhani, le talentueux réalisateur de Dans ma tête un rond-point ou encore 143, rue du désert. Hassen et sa sœur Dounia, architecte, à qui nous pensons très fort ainsi qu’à Madame Ferhani. Nous leur exprimons tout notre soutien et leur adressons nos plus profondes marques d’affection.

Hassen qui, dans un message de remerciements, glissait ces mots qui résument et disent toute la singularité de ce personnage tellement attachant et si pétillant qu’était son papa – Allah Yerahmou : «Je tiens à remercier, écrit Hassen, celles et ceux qui se sont déplacés pour présenter leurs condoléances.

Leur présence chaleureuse nous enveloppera continuellement, celles et ceux qui nous ont adressé des mots d’affection et de compassion dans ce moment tragique. Mon père Ameziane Ferhani aimait la vie et les gens. Il nous a quitté sans souffrance. Il est passé comme une comète de passion, son regard cherchant constamment la poésie.» 

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