Chaque ramadan, la guerre est lancée entre les chaînes TV via les sociétés de production pour s'accaparer la manne financière de la publicité qui inonde le marché pendant ce mois, avec les régies publicitaires qui gagnent le plus d'argent, et pas forcément les chaînes TV. Mais comment mesurer sérieusement l'audience des séries TV ?
Grande tristesse nationale en ce mois de mars 2024, Numidia Lezzoul est morte, après un passage en mandat de dépôt pour «escroquerie» en 2022. Sauf qu'elle avait été acquittée en appel et est morte, mais dans une fiction TV, Dmou3 louliya, la série phare de Samira TV, par ailleurs chaîne culinaire.
C'est de la cuisine justement et d'ailleurs une astuce scénaristique des producteurs puisque la célèbre influenceuse rejoue le rôle de sa fille qui a grandi dans la même série. Mais comment quantifier cette tristesse dans des termes que les publicitaires, experts en marketing et en mesures d'audience peuvent comprendre ?
C'est toute la question qui se pose d'une façon générale toute l'année sur les télévisions mais avec une acuité particulière pendant le mois de ramadan.
Car contrairement aux pays occidentaux, le système classique d'audimat n'existe pas en Algérie, ces boîtiers (un audimètre) placés dans des foyers sélectionnés sur un panel représentatif de la société selon des critères socio-démographiques (cadres, couples, ouvriers, jeunes, ouvriers, familles, chômeurs, enfants...). Si cet audimat n'est au fond qu'une estimation basée sur l'extrapolation de mesures d'audiences à petite échelle (en France par exemple, 5000 boitiers sont placés dans les foyers, pour une population de 60 millions), autant dire que pour avoir une réelle image de ce que regardent les téléspectateurs en Algérie est aussi difficile de savoir ce qu'ils pensent réellement des autres, de leur pays ou de Belmadi.
D'où cette tendance pour les chaînes TV avec l'accord des producteurs d'uploader rapidement les épisodes des séries qui passent à la télévision sur Youtube, qui donnent le nombre exact de vues en temps réel, permettant ainsi de monnayer les publicités, la série la plus vue étant évidemment celle qui gagnera le plus d'argent en publicité. Sauf que ce n'est pas aussi simple, d'abord, les parents regardent les séries à la télévision, ce que ne font pas leurs enfants qui attendent plus tard pour les visionner sur Youtube, excluant ainsi les parents ou ceux qui restent devant leur télévision après le ftour du sondage.
Ensuite, une «vue» ne représente qu'un clic sur la vidéo, comptabilisé comme vue même si celui qui a cliqué est passé ailleurs quelques secondes après, et surtout on peut acheter des vues sur Youtube par le système boost video dont ne se privent pas les sociétés de production qui mettent de l'argent, souvent en centaines d'euros chaque jour, pour faire monter les vues en faisant placer leur série en tête de liste. Le jeu est-il faussé ? Un peu, mais en attendant un vrai système d'audimat, on a une image globale des chaînes regardées, pas très fiable mais suffisemment proche de la réalité pour faire fonctionner les flux d'argent publicitaires, l'erreur étant généralement estimée à 15% par les spécialistes, avec un noyau plus ou moins solide. D'où la question subsidiaire, l'opinion de l'Algérien(ne) est-elle solide ? Son avis fluctue-t-il aussi vite que le vent ?
Savoir ce que pense l'Algérien(ne), l'obession suprême
Qu'aime-t-il ? Que n'aime-t-il pas ? Que veut-il ? Que pense-t-il ? Pense-t-il ? Comment le contraindre à aimer ce qu'on voudrait qu'il aime ?
Ces questions qui semblent d'ordre politique sont aussi des questionnements de marketeurs qui ont compris bien avant Google qu'une opinion, un choix ou un simple goût génère beaucoup d'argent par le biais des publicités ciblées.
Au cinéma, c'est beaucoup plus simple, le nombre d'entrées en salles par le biais des tickets vendus représentent le nombre de vues, tout comme dans un stade le nombre d'entrées représente la réalité alors qu'on ne sait pas combien de personnes ont vu le même match à la télévision, cette dernière posant le même problème, il est difficile de savoir qui regarde quoi et combien de temps.
A ce titre, la fibre optique est une solution, cablée aux téléviseurs intelligents (smart TV), elle pourra par le biais d'un boitier physique ou application informatique capter des analyses d'audience et récupérer en retour les comportements et habitudes de visionnage ainsi que de l'usage de la télécommande, outil principal du marketing, voire l'arme de guerre absolue.
Cette analyse de l'audience servant bien sûr les régies publicitaire, constituant la base de la tarification des écrans publicitaires mais sert aussi à élaborder les grilles des programmes et le lancement de productions, l'Algérie est en cours d'études sur le sujet, avec l'idée d'implanter une clé USB sur les téléviseurs pour capter des bribes de contenu ou des signatures de chaînes TV pour les mesures d'audiences.
Ceci sous toutes réserves législatives, car il y a le droit à la protection des données qui entre en jeu, il n'est pas simple de mettre en place un tel dispositif sauf à invoquer des raisons de sécurité pour tracer les contenus interdits et, par la même occasion, savoir ce que regarde chacun.
Tout un chantier qu'il faut aussi précéder de vraies études socio-démographiques pour en tirer un panel représentatif. Il faut d'ailleurs peut-être rappeler que les instituts de sondage privés sont sévèrement contrôlés en Algérie, même si des spécialistes en études de marchés ou en statistiques existent, tout comme les sociétés privées de sondage, Immar et Média and Survey par exemple.
Ces dernières donnent quelques tendances comme sur les habitudes télévisuelles, donnant d'ailleurs souvent Echourouk TV était comme la chaîne la plus regardée par les Algériens avec entre 8,7 et 28% de parts de marché, soit entre 6 et 20 millions de personnes.
Sous toutes réserves évidemment, les domaines d'opinion étant encore très sensibles, toute la législation, la censure et l'intérêt national, les cadres étriqués des champs journalistiques, littéraires ou audiovisuels étant là pour tenter de pousser l'Algérien(ne) à bien regarder, à bien penser. Ou ne pas penser.