Peut-on éliminer la bureaucratie en Algérie ?

09/02/2022 mis à jour: 02:19
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La bureaucratie, «c’est un mal très algérien», bien que nous sommes le pays le plus vaste d’Afrique aux portes de l’Occident et au cœur de l’Afrique et du Maghreb. C’est l’un des sujets d’actualité les plus brûlants dans la vie ordinaire des citoyens et un obstacle à l’émergence du monde l’entreprise. Face à beaucoup de documents à fournir, tout cela peut freiner les citoyens et les opérateurs économiques, à l’heure où l’économie est celle d’un monde globalisé. 

Très difficile à combattre aujourd’hui, tellement elle est ancrée, le secteur économique algérien est un gigantesque système administratif. Très dépendante des hydrocarbures et loin d’une économie qui transforme la rente en richesses nationales, le pays éprouve du mal à attirer les investisseurs (IDE) pour diversifier son économie. 

Notons à titre d’exemple qu’en dépit du bon sens, «l’Algérie dispose toujours d’un code des investissements», alors que la logique voudrait qu’elle se dote d’un droit privé (codes de commerce et civil) réformé et fiable pour proposer des statuts nouveaux des sociétés commerciales pour les besoins de l’amélioration de la gouvernance des entreprises algériennes et la création de tribunaux du commerce avec des magistrats spécialisés dans le droit privé. 

C’est est un facteur-clé consacrant la prééminence de l’économique et la confiance des investisseurs (IDE), des actionnaires, des conseils d’administration. En effet, au fil du temps, l’administration algérienne est devenue, avec la complexité d’une réglementation surchargée et instable, tantôt de droit privé, tantôt de droit public, une cause des déséquilibres et des tensions socioéconomiques, suscitant des handicaps à tous les niveaux de la décision, voire un blocage mental et une démobilisation de la société et des investisseurs. Elle représente un obstacle majeur à l’émergence de la démocratie réelle et du libéralisme économique en s’opposant à tout changement vers le progrès et la modernité, à tel point qu’aujourd’hui, la bureaucratie en Algérie pose un sérieux problème pour la construction d’une économie émergente. 

Oui, comment alors projeter l’Algérie dans la mondialisation, lorsque son économie, qui en est la matrice fondamentale, est fortement administrée dans un environnement bureaucratique étouffant qui affaiblit les stratégies d’entreprise à l’heure de la mondialisation- globalisation ? Si l’on peut construire des logements, des routes, des écoles, des hôpitaux, des universités etc., il est par contre difficile, pour ne pas dire impossible, d’ériger un système administratif et économique performant dans l’environnement bureaucratique actuel. Et il ne sert à rien de former des élites intellectuelles et scientifiques parce qu’elles seront incapables de peser sur le cours des événements et de surpasser la réalité amère qui caractérise la gouvernance publique et économique de notre pays. Cela dit, il nous semble important d’enrichir le débat autour du thème de la bureaucratie en Algérie qui, en réalité, est un gigantesque système administratif avec l’émergence d’une forte classe de fonctionnaires (bureaucrates) issu d’une force politique, ouvertement partisane et rentière, et d’un système administré (dirigé)

 A titre d’exemple, l’Algérie, pays non émergent, compte environ 2,5 millions de fonctionnaires pour une population de 42 millions d’habitants contre près 1,7 million de fonctionnaires en Allemagne, pays très développé pour une population de 84 millions environ. Le fonctionnement de l’administration générale et des collectivités locales absorbe près de 60% du budget général de l’Etat. De plus, en regardant de près, les déficits budgétaires enregistrés ces deux dernières décennies, soit entre 9 et 20% du PIB, dépassent largement les normes budgétaires internationales qui sont votées et gérées à 3% du PIB. 

Mais d’abord, qu’est-ce que la bureaucratie ? 

La bureaucratie désigne de manière péjorative une influence ou un pouvoir excessif de l’administration dans les affaires publiques, l’économie ou dans la politique. «La bureaucratie est alors caractérisée par sa lenteur, sa lourdeur, son manque de flexibilité, son incapacité à traiter les cas particuliers. Les décisions bureaucratiques sont difficilement compréhensibles, peu conformes au bon sens ou à la démocratie». «La progression au sein de l’organisation n’est pas liée à l’efficacité et à l’efficience, mais à la docilité, à l’appartenance à un réseau ou à un parti politique, souvent unique ou majoritaire au Parlement». L’administration publique chez la majorité des citoyens, ce sont ces bâtiments administratifs qui sont le lieu par excellence des réunions et dans lesquels on entre à 8h du matin et on en ressort l’après-midi à 16h. Que disent aujourd’hui les citoyens sur le mode de fonctionnement de l’administration publique ? 

C’est la question qui taraude l’esprit des citoyens, c’est la grande priorité des gouvernants actuels qui se doivent de la réformer. Pour les citoyens, à titre d’exemple, l’administration ne répond pas au courrier, voire n’accuse pas réception de nos lettres de requête, elle complique davantage la vie des citoyens : hogra, lenteurs et lourdeurs dans la formalisation des dossiers administratifs, bloque les initiatives entrepreneuriales, le clientélisme et le piston, déficit important en matière d’accueil, d’écoute et du service, absence de considération envers le citoyen, mauvaise attitude des fonctionnaires, manque de transparence (ils nous ont tués par leur bureaucratie).

 L’indifférence et le mépris affichés à l’égard des citoyens aboutissent souvent à des situations désastreuses, car l’administré ne peut trouver l’écoute et le droit d’égard. L’administré, ne pouvant trouver l’écoute et le droit d’égard, verse dans des pratiques condamnables : pots-de-vin, corruption, monnayage de privilèges indus… Cela a donné naissance dans la gestion locale à l’absence d’esprit civique et dans presque chaque wilaya la chaîne de contestations qui a ébranlé nos collectivités locales. 

Cette situation doit nécessairement nous interpeller sur le rôle et la place de l’administration publique et des fonctionnaires en Algérie qui doit être défini clairement. C’est sur eux en partie que repose la construction de l’Algérie nouvelle, celle qui devra faire face à tous les maux qui la rongent tels que la crise morale, les passe-droits, le clientélisme, la corruption, l’évasion et la fraude fiscale, le transfert illicite de capitaux… 

Pour relever ce grand défi, l’Algérie a besoin d’un modèle de valeurs humaines au service de la nation et du peuple. «Faut-il parler d’un 1er Novembre pour combattre la bureaucratie et mettre fin à l’indifférence et le mépris affichés à l’égard des citoyens (hogra)» ? Comme chacun le sait, les pays développés font rêver de plus en plus les Algériens et Algériennes qui sont nombreux à prendre la mer clandestinement.

 Par ailleurs, les conflits socio-professionnels, les grèves, les recours à la violence verbale ou physique ne peuvent que porter atteinte à un Etat de droit, à la démocratie et à l’économie nationale, voire à la paix sociale acquise au prix de grands sacrifices. «Cela signifie qu’on ne gouverne pas l’économie par décrets, à coups de circulaires et de licences d’importation. Le système économique administré (dirigé) ne permet pas de planifier l’étape de l’après-pétrole et par conséquent bâtir une nouvelle économie». 

Le système rentier continue à marquer les esprits de nos dirigeants et les syndicats d’entreprises, lesquels omettent de prendre en considération les principes universels d’une économie de marché ayant pour fondements de base : le droit commercial, le droit civil et la liberté d’entreprendre pour créer et développer une économie de capital, notamment une démocratie économique fondée sur de nouvelles forces productives et de création de richesses et d’emplois. En effet, pour entamer ce travail, il faudra débarrasser l’économie algérienne des mauvaises décisions économiques bureaucratiques qui ont coûté des milliards de pertes au Trésor public, engendrant l’assèchement de l’épargne publique, le recours à la planche à billets, et très dépendante du marché extérieur. 

Développer notre économie est un devoir moral suprême parce qu’elle est la matrice fondamentale du pays. C’est un thème majeur, sachant que la tâche est lourde, voire économiquement difficile, vu que l’Algérie est l’un des seuls pays au monde à n’avoir pas abandonné le socialisme à ce jour. En clair, si l’on fait carrière dans l’administration ou la politique, c’est bien dans l’économie que l’on se fait un nom et une popularité. Il s’agit également de développer la croissance économique territoriale, de rationaliser l’organisation économique, de développer la gouvernance publique et économique et de gérer de l’économie selon règles et mécanismes des lois du marché. Dans la perspective d’un véritable développement harmonieux dans le nouveau monde d’aujourd’hui, nous devons bâtir une véritable économie de marché caractérisée par une ouverture sur le monde, la compétitivité et l’intelligentsia. 

Toutefois, notre administration est demeurée fermée sur elle-même, c’est à dire, moins ouverte sur la mondialisation et les évolutions des sociétés dans le monde. Aussi, est-il urgent d’instaurer une nouvelle culture de la gestion locale ambitionnant de parvenir à une véritable gouvernance publique qui inscrira à son fronton l’écoute des citoyens et la transparence sur le fonctionnement de la collectivité locale en associant les partenaires sociaux et les élites. L’Algérie devait s’inspirer de son propre modèle de décentralisation de la loi communale de 1967, en permettant aux Assemblées populaires communales d’assumer pleinement leurs responsabilités en matière de gestion des affaires publiques locales des territoires, la péréquation, le soutien aux régions déshéritées et une volonté judicieuse de promotion de l’économie locale.

Mais depuis les années 1980, il a été imposé une centralisation de l’administration qui a favorisé la bureaucratie en renforçant de façon prononcée les pouvoirs de l’administration. Autrement, en l’absence d’une meilleure répartition des responsabilités, la bonne gouvernance publique n’est pas pour demain. En principe, le processus d’édification de l’Etat correspond à un processus de décentralisation, voire de structuration par le bas.

La commune et la wilaya sont les premiers jalons de ce processus qui consiste en un transfert de pouvoirs de l’Etat vers les démembrements de l’Etat de droit public mais distincts de lui et disposant d’une autonomie plus ou moins grande, selon le degré de décentralisation, ainsi que d’un budget, une autonome financière renforcée par un pouvoir politique et économique.

En effet, la décentralisation rapproche les citoyens du processus de décision, consacre la séparation des pouvoirs et répond à la nécessité de recherche de consensus lié aux diversités régionales et linguistiques, par une représentation équilibrée au sein des institutions de l’Etat. La question qui reste posée est de savoir s’il y aura une réforme de l’administration publique qui est le cœur et la mère de toute réforme économique et politique ?

Par M’hamed Abaci
Financier et auteur de deux ouvrages sur la comptabilité et l’information de gestion et statistiques, cadre de la bonne gouvernance des entreprises

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