Le journaliste Farid Alilat vient de publier aux éditions du Rocher, en France, un ouvrage consacré à une légende de la musique d’expression kabyle, Idir. L’ouvrage est intitulé Idir, un Kabyle du monde. Il regroupe une quarantaine de témoignages de ceux qui ont travaillé, chanté, collaboré, côtoyé et connu le grand Idir.
journaliste à Jeune Afrique, Farid Alilat, spécialiste de l’Algérie, a publié, chez Éditions 1 une enquête sur la révolte en Kabylie, «Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts !», participé en 2002 à l’ouvrage collectif 100 lettres pour les femmes afghanes, chez Calmann-Levy et a édité en 2020 aux éditions du Rocher Bouteflika, l’histoire secrète. Dans Idir - Un kabyle du monde, Farid Alilat retrace l’itinéraire de cette légende de la musique algérienne d’expression kabyle.
Celui d’un auteur, compositeur et interprète, Idir. «De son vrai nom, El Hamid Cheriet, est plus qu’un chanteur. Il est le porte-voix de la langue kabyle, le porte-drapeau d’une culture qu’il a fait découvrir dans le monde entier.» De cet homme, qui a disparu en mai 2020 à l’âge de 75 ans, le sociologue Pierre Bourdieu a dit : «Idir n’est pas un chanteur comme les autres.
C’est un membre de chaque famille.» La jeunesse de Idir, au village de Aït Lahcène et dans les montagnes du Djurdjura qui l’entourent, est profondément marquée par les traditions berbères, les chants et les récits de sa mère et de sa grand-mère. Une enfance qui porte aussi l’empreinte de la guerre d’Algérie, de la captivité de son père lors de la bataille d’Alger et de leur maison pillée par des paras.
Passionné de musique mais destiné au métier de géologue, sa carrière musicale démarre presque par hasard un soir de 1973 à la radio. Deux ans plus tard, sa chanson phare, A Vava Inouva, devient un tube international qui sera repris dans plusieurs langues.
ENGAGEMENT ET VALEURS
Cet homme doux et à la personnalité attachante n’a eu de cesse de défendre l’identité et la langue berbères durant un demi-siècle de parcours artistique. Mais sa vie et sa carrière ne racontent pas seulement une histoire kabyle et algérienne.
C’est aussi une histoire des deux rives de la Méditerranée et même au-delà. Installé en France en 1975, il s’est battu pour les sans-papiers, a chanté pour l’Arménie, collecté des fonds pour SOS Racisme, inauguré l’une des premières écoles Diwan en Bretagne. «Idir a fait chanter la Kabylie par d’autres célébrités issues d’horizons divers. En France, Bruel, Aznavour, Cabrel, Maxime le Forestier, IAM, Enrico Macias, Grand Corps Malade, et l’écossaise Karen Matheson et bien d’autres ont travaillé avec lui.
Il a jeté des ponts avec l’Afrique en partageant la scène avec l’ougandais Oreyma ou la malienne Ramata Diaketé.» «Oui, Idir est un Kabyle du monde», fait rappeler l’auteur Farid Alilat.
Idir - Un Kabyle du monde
Farid Alilat Editions du Rocher(France)
Date de parution le 6 avril 2022
Pages : 352, Prix : 21,90€
EAN : 9782268107059
www.editionsdurocher.fr
Conférence / dédicace, mercredi 27 avril 2022 à partir de 18h à Champigny-sur-Marne (94)
Salle Jean Morlet
19, rue Albert Thomas, Champigny-sur-Marne
EXTRAIT DE LA MONOGRAPHIE UN KABYLE AU FAR WEST
Un Kabyle chez Buffalo Bill ? Les habitants de Aït Lahcène, village perché sur une crête de montagne face aux majestueux monts du Djurdjura, ne connaissent pas à Mohand Saïd Aït Larbi, une âme d’aventurier, de voyageur ou de troubadour. Mais dans sa caboche, Mohand Saïd a toujours cultivé le goût de ne rien faire comme les autres, de n’en faire qu’à sa tête, d’aller voir ailleurs, au-delà de son petit village de Kabylie, au-delà de Alger aussi : en France… ou même plus loin encore. Outre-Atlantique. En ce début des années 1900, Aït-Lahcène, comme les autres villages qui forment la grande fédération tribale des Ath Yenni, a la réputation d’abriter des orfèvres de talent, en particulier dans la confection de bijoux en argent, et aussi dans la réparation des fusils, pistolets, crosses, canons et autres objets d’armurerie. Cette renommée de la région remonte à l’époque lointaine de la Régence d’Alger, et a traversé les frontières. Sous la Régence d’Alger, les artisans de ces villages excellents dans l’art du faux-monnayage et font écouler leur stock à Alger, Constantine, Oran, en Tunisie et au Maroc. L’abondance de leur fausse monnaie est telle qu’elle menace de provoquer la ruine du régime. Au XVIe siècle, les Turcs dépêchent des émissaires dans ces montagnes pour tenter de convaincre les artisans de leur remettre les moules qui servent à battre la fausse monnaie en échange de terres fertiles dans les plaines du Mitidja. Accepter un tel troc et abandonner ce commerce si fructueux ainsi que leurs villages ancestraux ? Il faudrait passer sur les corps de ces hommes fiers, braves et si enracinés à leurs terres ancestrales qu’aucune force étrangère n’a réussi à les conquérir. Un des chefs des villages sollicités par les émissaires ottomans pour mettre fin au faux-monnayage se fend de cette réplique qui interrompra les négociations : « Nous sommes disposés à descendre à Alger à condition de ramener avec nous les montagnes du Djurdjura… ». Pour tenter de convaincre les montagnards, les Turcs alternent menaces, chantage et sollicitude. Au cours de leurs fréquents voyages à Alger pour écouler leur production illégale, certains artisans, marchands et colporteurs d’Ath Yenni sont faits prisonniers. En échange de leur libération, les Turcs réclament l’arrêt de ce commerce et la remise des fameux moules. Pour mieux les disposer à répondre favorablement, ils entreprennent de construire deux mosquées dans la région. Ces procédés sont acceptés bon gré mal gré, mais la fabrication de fausse monnaie n’a pas pour autant été abandonnée et se perpétue de génération en génération. Le faux-monnayage n’est pas le seul art qui fera la notoriété de la région et contribuera à l’aisance financière de certains de ses habitants. Au fil des siècles, une petite industrie s’est développée dans des ateliers familiaux qu’hommes et femmes transmettent à leurs descendants. Bijoux en argent, sabres et couteaux, fusils, canons, métaux, produits de bois et de forge, burnous, ornements et garnitures pour chevaux, cet artisanat permet de faire vivre les familles et de compenser la rudesse de la vie dans ces montagnes où l’on ne tire sa pitance que de l’olivier, du figuier, du caroubier et du maigre troupeau de chèvres ou de brebis. La terre étant ingrate et rêche, l’orfèvrerie devient aussi bien un art qu’un moyen de subsistance, puis d’aisance, pour nombre de villageois. Et cet art s’est exporté. À Paris, où ils ont exposé leurs bijoux et leurs couteaux lors des deux Expositions universelles de 1889 et de 1900, les bijoutiers, orfèvres et armuriers d’Ath Yenni ont obtenu des mentions très honorables des jurys et ébloui visiteurs et exposants. Mohand Saïd n’est pas allé à Paris pour prendre part à ces expositions, mais sa notoriété d’armurier et de bijoutier n’est plus à faire. Les clients viennent de loin pour visiter l’atelier qu’il tient avec l’un de ses frères, Hamiche, à 200 km à l’ouest d’Alger. Mais voilà : avec le temps, le commerce décline, les commandes diminuent et les visiteurs se font de plus en plus rares dans l’échoppe des deux frères. Dispute ou mésentente avec Hamiche, coup de tête, coup de folie ou encore cette envie d’aller voir ailleurs ? Un matin de l’année 1905, Mohand Saïd prend son baluchon et disparaît du village sans que famille, proches et villageois sachent où il est parti. Le train le mène à Alger, de là le bateau le dépose à Marseille. Là où des milliers de Kabyles débarquent chaque mois pour fuir la misère de leurs villages et de leurs montagnes. Ils gagnent ensuite les usines de Paris ou les mines du Nord. À Marseille débarque aussi, en ce mois de novembre 1905, le célèbre cirque de Buffalo Bill – William Cody de son vrai nom –, légende de l’Ouest, célèbre chasseur de bisons, chercheur d’or, soldat durant la guerre de Sécession, fine gâchette, ennemi puis ami des Indiens, devenu showman avec son « Buffalo Bill Wild West Show ». Avec sa troupe composée de plus de 1000 acteurs, acrobates, Indiens, cow-boys, cavaliers, chevaux et autres animaux, Buffalo Bill poursuit une longue tournée qui le mènera dans plusieurs villes en France et en Europe. Au sein du Buffalo Bill Circus, il y a aussi des écuyers cosaques, des gauchos mexicains, des acrobates hongrois, des cavaliers arabes et berbères. Armurier, bon chasseur et amateur de chevaux, Mohand Saïd intègre la troupe de Buffalo Bill où il devient acteur, et exerce aussi ses talents artisanaux. France, Italie, Belgique, Hongrie, Allemagne, Autriche ou encore Croatie, le cirque de la légende de l’Ouest sillonne l’Europe pour des dizaines de représentations et de shows pendant l’hiver, le printemps et l’été 1906, avant que la grande tournée ne s’achève à Marseille en octobre 1906. Samedi 13 octobre, la grande troupe de Buffalo Bill embarque à bord du bateau Lucania de la Cunard Line pour une traversée de l’Atlantique qui va durer six jours. Samedi 30 octobre, Mohand Saïd arrive à New York avec le reste du cirque. L’enfant de Aït-Lahcène, le Kabyle des montagnes éternelles du Djurdjura, est en Amérique. Au village, on désespère de cet homme qui n’a plus donné signe de vie depuis son départ. Vit-il quelque part en Algérie ou dans la lointaine France ? Est-il seulement vivant ? A-t-il péri d’une maladie ou a-t-il été tué par un bandit de grand chemin ? A-t-il refait sa vie avec une autre Kabyle ou une Française, comme certains émigrés ? Sa femme, qu’il a laissée au foyer, ainsi que son frère Hamiche et son demi-frère Hamou sont las d’attendre son retour. La vie au village et le petit artisanat familial d’armurerie et de bijouterie continuent sans cet amjah (émigré), ce fugueur, cet aventurier. Pour Mohand Saïd, une nouvelle aventure commence en Amérique, exotique, excitante, palpitante, démesurée pour ce montagnard…