L’ouvrage du moudjahid Bouzeghoub est un précieux témoignage sur des événements liés à la Guerre de libération mais également aux guerres arabo-israéliennes de juin 1967 et d’octobre 1973.
Des sentiers aux cieux de la liberté du Lt-Colonel Mohand-Tahar Bouzeghoub, est un récit unique, bouleversant et fascinant. Ce livre-témoignage est surtout une immersion complète dans la wilaya I historique qui donne aussi un large aperçu des efforts consentis par les chefs de la Révolution pour doter notre pays d’une force aérienne à l’indépendance. Les mémoires de Mohand-Tahar Bouzeghoub (182 pages), recueillis par le journaliste Mustapha Ait Mouhoub, sont parus en ce mois de mars aux Edition Rafar. Bouzeghoub est né le 2 février 1937 à Ilmayene, village perché à 1000 mètres d’altitude dans la wilaya de Bordj Bou Arréridj.
C’est dans ce village que tout a commencé : son exclusion de l’examen de CEP, son passage à la zaouïa de Cheikh Al Aydali près d’Akbou, son départ à Tunis où il rejoindra la mosquée Al Zaytouna, puis son adhésion à une cellule du FLN-ALN grâce à son ami Ahmed Larbes.
Le récit que propose Mohand-Tahar Bouzeghoub se confond totalement avec les évènements vécus par les Algériens durant le XXe siècle, dont une majeure partie fut marquée par les violences ayant accompagné le sursaut libérateur du 1en Novembre. Après ses études à Tunis, il a dû attendre jusqu’à la mi-avril 1956 pour recevoir l’autorisation des responsables de l’ALN pour rejoindre les maquis de l’intérieur en passant par Bir Al Ater et Djebel El Onk (Tébessa), jusqu’à Djebel Guern El Kebch, situé dans le cœur des Nememchas (wilaya I). «Des différends existaient entre responsables de la région, témoigne-t-il.
Ces différends vont exacerber les contradictions jusqu’à les rendre inconciliables malgré les efforts de la direction nationale de la révolution issue du congrès de la Soummam». Il relate avec force détails sa rencontre avec Abbès Laghrour, l’un des plus prestigieux chefs de l’ALN dans les Aurès-Nememcha, et avec Adjal Adjoul, livrant des témoignages inédits jusque-là méconnus sur ces deux figures de la révolution. Après le départ de Abbès Laghrour en Tunisie, Bouzeghoub est devenu le secrétaire d’Adjoul et a alors pu constater les «ravages de la course au pouvoir» qui allaient mettre toute la wilaya dans une situation de délabrement terrible.
A la disparition tragique le 22 mars 1956 de Mostfa Ben Belouaid, la responsabilité effective de la wilaya I est revenue logiquement au binôme Laghrour-Adjoul, fait rappeler l’auteur. «Ces deux hommes du 1er Novembre avaient, chacun de leur côté, forgé leur propre légitimité sur le terrain. Avec le recul, il faut reconnaitre que le choix des hommes (Laghrour-Adjoul) fait par Bachir Chihani, en l’absence de Mostefa Ben Boulaid suite à son arrestation le 11 février 1955 en Tunisie, puis sa condamnation à mort et son incarcération au centre pénitentiaire El Koudia de Constantine allait exacerber la situation et la rendre intenable», révèle l’auteur.
Et de préciser : «Je suis arrivé dans les Aurès en cette période de tension attisée par la liquidation injuste de Chihani par ses frères de combat. Son ombre hantait Adjoul et Laghrour qui l’ont condamné à mort sur de simples soupçons et sans preuves». Le sort de Chihani a été scellé après la bataille d’El Djorf alors qu’il assurait l’intérim du commandement de la wilaya. Il a été exécuté vingt jours avant l’évasion de prison et le retour de Mostefa Ben Boulaid à El Hara (Arris) dans les Aurès.
Un fouillis inextricable
Aussi, l’auteur met en lumière la difficulté de représenter la wilaya I au Congrès de la Soummam, «malgré les convocations reçues par Adjoul et Laghrour pour y participer. Ils ne pouvaient s’y rendre». «C’était impossible pour eux d’y répondre positivement. Dans sa course pour prendre le commandement de la wilaya, Omar Ben Boulaid, frère de Mostafa, empêchait toute possibilité de passer en wilaya III», restitue Bouzeghoub. Il révèle d’ailleurs que les émissaires d’Adjoul ont été arrêtés par les hommes d’Omar Ben Boulaid et les messages qu’ils devaient remettre à Krim Belkacem confisqués.
«Messaoud Belaggoune et Ali Benchaiba étaient mis au frais par Omar Ben Boulaid à l’hôpital de l’ALN de Ain Touta. Ils n’auront leur salut que grâce à l’intervention d’Amirouche Ait Hamouda venue dans les Aurès». Laghrour et Adjoul étaient, souligne l’auteur, dans l’incapacité d’honorer les convocations nominatives de participation au congrès de la Soummam. Le groupe d’Omar Ben Boualid et de Messaoud Benaissa ont bloqué leur départ en «fermant délibérément» l’accès de Djebel Boutaleb, fait-il savoir.
La situation qui n’était pas déjà reluisante allait se compliquer par l’«attitude dissidente» affichée par les responsables de la zone des Nememcha qui ont décidé de «couper tout contact avec les Aurès». Plus loin dans le livre, l’auteur estime que la mémoire d’Adjoul mérite d’être défendue pour les services rendus à la révolution mais qu’il était plus juste de nuancer sa conduite et son entreprise à prendre le pouvoir qui l’avait poussé à commettre des dépassements et à en subir les conséquences : «Il (Adjoul) s’est retrouvé contraint de se rendre à l’ennemi qu’il combattait bien avant le déclenchement de la révolution.» Bouzeghoub poursuit : «En dépit de sa reddition forcée, il est aujourd’hui admis qu’Adjoul n’a pas collaboré avec l’armée française.»
Il revient, en outre, dans son opus, sur le mandat accordée par le Comité de coordination et d’exécution (CCE) au futur colonel Amirouche de se déplacer aux Aurès pour y appliquer les résolutions du Congrès de la Soummam. Il consacre également tout un chapitre à la rencontre entre Amirouche-Adjoul et la (supposée ?) tentative de son assassinat autour de laquelle plusieurs versions ont été avancées. La plus plausible est, selon l’auteur, celle contenu dans le rapport d’Amirouche pour le CCE.
Sur instruction d’Amirouche, Ali Ben Machiche, Ahmed Azeroual et Ali Oulhadj ont en effet voulu neutraliser Adjoul. Cette variante est corroborée par le témoignage qu’a recueilli Bouzeghoub, bien plus tard, auprès d’Ali Ben Machiche. Selon l’auteur, Amirouche a, lors de son mandat dans les Aurès, fait de son mieux pour démêler un fouillis inextricable et pour résoudre des contradictions aux proportions alarmantes. Et de noter que Mostafa Ben Boulaid a, après son évasion de prison, trouvé sa wilaya dans un état de délitement avancé. Dans les derniers deux chapitres de son livre, Mohand-Tahar Bouzeghoub évoque la création du premier noyau de l’Armée de l’air algérienne et son engagement post-indépendance pour l’édification de l’Etat algérien. Il rend notamment hommage à feu Saïd Ait Messaoudene et son grand rôle dans la formation du corps de l’Armée de l’air algérienne.
Escadrons de l’Armée de l’air algérienne
Les dirigeants de la Révolution ont, écrit-il, eu l’idée géniale de programmer la formation d’une ressource humaine qualifiée dans les différentes disciplines pour encadrer l’ALN et la doter de structure modernes. Ces mêmes cadres vont se retrouver au cœur même de l’édification de l’Etat algérien indépendant. C’est dans ce contexte que Mohand-Tahar va se retrouver dans des écoles militaires de formation en pilotage notamment en Syrie, Chine, Irak, et Khirghizie (URSS). Des sentiers aux cieux de la liberté est un précieux témoignage sur des événements liés à la Guerre de libération mais également aux guerres de juin et d’octobre1973 contre l’entité sioniste.
En 1973, Bouzeghoub dirigea les quatre escadrons d’avions de l’ANP engagés dans les combats. Les pertes de ces essuyés alors, après un séjour de deux ans en Egypte, se sont élevées à trois appareils : deux Soukhoi SU 7 BMK et un Mig 21 MF. Deux pilotes sont décèdés, à savoir Dif Moghamed, mort après que la DCA égyptienne eut abattu son appareil par méprise, et Ghafor Cheikh dont le Mig 21 a été abattu. Le journaliste Ait Mouhoub Mustapha, signe, à travers les mémoires de Mohand-Tahar Bouzeghoub, son quatrième ouvrage, après les mémoires de l’officier de l’ALN de la wilaya III, d’Ait Mehdi Mokrane, intitulés Le dur et invraisemblable parcours d’un combattant de l’ALN.
Il a également rédigé les mémoires de l’officier de la wilaya IV et membre du mythique commando de l’ALN Ali Khodja, intitulés Dans les maquis de la Liberté, co-écrit avec le journaliste Zoubir Khelaifia ainsi que les mémoires du cadre du MALG et responsable de la logistique et de l’armement à l’Ouest, Boudaoud Mohamed dit Si
Mansour, intitulés Les Armes de la Liberté. Mustapha Ait Mouhoub est aussi l’auteur du film documentaire La Main rouge, des crimes d’Etat occultés (2019).
Mohand-Tahar Bouzeghoub
Des sentiers aux cieux de la liberté.
Edition Rafar (2024). 182 pages.
Prix public : 1000 DA.