L’extrême nord-est du pays, la région située dans le coin en haut à droite sur la carte du territoire national, était l’une des plus pluvieuses du pays.
On enregistrait autrefois jusqu’à 1000 mm de pluie au sommet des monts qui jalonnent à l’est et au sud de la wilaya d’El Tarf et qui forment aussi la frontière avec la Tunisie.
On enregistrait également près de 900 mm le long de la côte et 750 mm dans vallée de l’oued Kebir, artère hydrologique régionale, et dans les dépressions intérieures qu’occupent les plans d’eau qui font la réputation de la région.
Depuis une quarantaine d’années, hormis quelques années plus généreuses, les précipitations ont baissé progressivement du tiers. La sécheresse est plus prononcée depuis le début des années 2010 et elle n’a pas manqué d’affecter profondément les zones humides de la région déjà très altérées et dégradées, celles comprises dans le Parc national d’El Kala autant que toutes les autres. Elles sont en état de détresse écologique et si on venait à reconsidérer leurs caractéristiques écologiques, elles perdraient probablement leur réputation d’écosystèmes exceptionnels et d’importance internationale.
Le lac Tonga, des marais de 2700 ha à l’est d’El Kala, est la première zone humide algérienne inscrite en avril 1983 sur la Liste de Ramsar, label de la Convention internationale relative aux zones humides d’importance internationale. Complètement à sec, du jamais-vu, en septembre 2021, après l’été caniculaire qui a vu la température grimper à près de 50°C à la mi-août, il vient de reprendre des couleurs avec les précipitations tombées parcimonieusement depuis la mi-décembre.
Les dernières pluies ont fait réapparaître les flaques bleutées qui avaient complètement disparu. Le paysage, qui ravit les visiteurs de passage, se reconstitue lentement, mais, habituellement, à cette époque, le plan d’eau arrive jusqu’à la route qui longe la berge nord. L’eau manque encore et le plus désolant, on n’entend pas les cris et les chants des oiseaux qui auraient déjà pris, depuis novembre, leurs quartiers d’hiver dans cette zone humide importante de nidification pour les oiseaux d’eau sur leur incessant périple entre l’Europe et l’Afrique.
Des dégradations à grande échelle
Le lac Tonga a perdu de sa superbe. Dégradé par les eaux usées provenant des agglomérations en constante extension, des pesticides des cultures, par le pompage de l’eau pour l’irrigation, la pêche avec des filets fixes qui piège les oiseaux d’eau, le vol des œufs dans les nids ainsi que les innombrables déchets qu’apportent les oueds, le lac est loin de ressembler à la zone humide classée d’importance internationale en 1983 et Réserve intégrale du Parc national du Parc national d’El Kala (PNEK) qui n’est plus que l’ombre de lui-même.
Quelques kilomètres plus à l’ouest, le lac Oubeïra, deuxième zone humide algérienne de 2500 ha, classée Ramsar en novembre 1983 et réserve intégrale du PNEK, n’est pas logé à meilleure enseigne. Alors qu’on y pêchait à profusion 3 espèces de mulets qui remontaient de la mer sur 45 km par l’oued El Kébir, devenu un égout à ciel ouvert, du barbeau et de l’anguille, c’est aujourd’hui, un bassin d’eau vide de vie pour y avoir mener des actions d’aquaculture sans lendemain, mais surtout irresponsables et de courte vue.
A l’ouest d’El Kala, on trouve le lac Mellah, une lagune qui n’en est plus tout à fait une de 760 ha. Classée Ramsar en 2004 et Réserve intégrale du PNEK, elle regorgeait de vie et produisait des loups de mer, des daurades, des soles et des crustacés d’une excellente qualité, car ses eaux étaient saumâtres, mais les apprentis sorciers de l’aquaculture ont cru bien faire en élargissant l’embouchure du chenal qui le lie à la mer.
Les eaux du lac se sont alors «marinisées» et ont perdu toute leur productivité biologique pour nourrir les poissons et les oiseaux qui en dépendaient. La meilleure preuve de ces changements profonds des caractéristiques de ces trois Réserves intégrales du PNEK est fournie par les oiseaux d’eau. Les dénombrements qui s’effectuent annuellement dans le courant du mois de janvier ont montré que les effectifs ont baissé drastiquement ces dernières années.
En effet, si on compte et on observe les oiseaux, ce n’est pas uniquement pour connaître leur nombre, mais parce qu’ils sont de parfaits indicateurs de l’état des milieux naturels qu’ils fréquentent.
Ainsi, si les canards plongeurs ne se posent plus sur le Mellah et l’Oubeïra, c’est parce que la végétation dont ils se nourrissaient et qu’ils vont chercher au fond a disparu. Au lac Tonga, dans les marais, il n’y a plus aujourd’hui assez de végétaux pour offrir des abris sûrs pour les nids des espèces qui devaient rester jusqu’au début de l’été. Il y aurait une bonne trentaine de zones humides dans la wilaya d’El Tarf.
Certaines sont pérennes comme les plans d’eau qui font sa réputation et d’autres qui apparaissent et disparaissent au gré des précipitations annuelles. Neuf d’entre elles sont classées Ramsar, dont six en réserves intégrales du Parc national d’El Kala donc elles sont protégées.
Toutes disposent d’un plan de gestion pour assurer leur conservation et leur utilisation rationnelle. Ce qui n’a pas empêché leur dégradation et la perte de leurs caractéristiques écologiques.