Le processus de paix au Mali est sérieusement menacé. La crise entre les mouvements de l’Azawad basés au nord du pays et le gouvernement de transition malien a atteint son paroxysme après la révélation du contenu de la nouvelle réforme constitutionnelle en début mars.
Dans une déclaration rendue publique le 28 mars, les différents mouvements du Nord-Mali, regroupés dans le CSP-PSD (Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement), ont accusé Bamako d’avoir renié ses engagements contenus dans l’Accord de paix signé en 2015 sous l’égide d’Alger.
«Les Mouvements signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, en l’occurrence la CMA et la Plateforme des Mouvements du 14 juin 2014 d’Alger et une partie des mouvements de l’Inclusivité, tous regroupés au sein du CSP-PSD, prennent acte de la validation du projet de la nouvelle Constitution par le président de la Transition, chef de l’Etat, le colonel Assimi Goïta», est écrit dans cette déclaration signée par Alghabass Ag Intalla, président de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) mais aussi du bureau exécutif du CSP-PSD.
Rejet du projet constitutionnel
Les signataires de l’Accord d’Alger estiment que le projet de nouvelle Constitution «n’enregistre aucune évolution particulière à la Constitution du 25 février 1992, en matière de dispositions indispensables à une concrétisation des mesures législatives et réglementaires des engagements politiques et institutionnels pris à l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger».
En plus clair, le CSP-PSD reproche au gouvernement malien de n’avoir pas introduit dans la réforme constitutionnelle la décentralisation, élément clé de la résolution de la grave crise que travers le pays. Les mouvements signataires de l’Accord d’Alger ont rappelé dans la même déclaration que le gouvernement malien s’est engagé, lors la dernière réunion de niveau décisionnelle (RND), tenue du 1er au 5 août 2022 à Bamako, à «veiller à la prise en charge intégrale de l’Accord dans la nouvelle Constitution, ceci conformément à l’article 3, chapitre 1, titre 1 dudit Accord».
Mais, ont-ils affirmé, cet engagement n’a pas été respecté. «Les Mouvements signataires à travers le CSP-PSD déplorent cet état de fait et déclarent solennellement ne pas se reconnaître dans ce projet de la nouvelle Constitution en son état», est-il ajouté. Considérant qu’il y a encore «une opportunité de créer les conditions d’un consensus sur le texte avant sa soumission au référendum», la coalition des mouvements de l’Azawad interpelle la communauté internationale sur cette nouvelle situation de crise qui s’aggrave de jour en jour. «Nous informons l’opinion nationale et internationale du niveau élevé de fragilité du processus de paix et des conséquences d’un forcing constitutionnel en violation des engagements pris à travers l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger», a alerté le CSP-PSD, qui réitère toute la confiance des mouvements signataires de l’Accord pour la paix en la médiation internationale.
Accusations mutuelles
Les tensions entre les mouvements signataires de l’accord de paix et Bamako ont toujours existé, mais elles se sont beaucoup accentuées depuis l’arrivée, en mai 2021, d’un nouveau régime à la tête du pays, incarné par le colonel Assimi Goïta. Les deux parties s’accusent mutuellement de violation de l’Accord de paix.
En décembre 2022, la Coordination des mouvements de l’Azawad a annoncé la suspension de sa participation à sa mise en œuvre. Son principal argument : l'absence de volonté politique du gouvernement malien d’appliquer cet accord. Le 10 février 2023, Amadou Albert Maïga, membre de l’organe législatif de la transition malienne, a affirmé dans une vidéo postée sur sa page Facebook que «la guerre est inévitable» entre l’armée régulière malienne et les mouvements regroupés au sein de la CMA. Cette vidéo reprise par les médias internationaux a fait réagir la CMA qui a vigoureusement «condamné» une «déclaration va-t-en-guerre venant d’un responsable de l’une des premières institutions de la République, en l’occurrence l’organe législatif du Mali».
Dans une lettre datée du 24 février et signée par le ministre de la Réconciliation nationale, chargé de l’Accord de paix et de réconciliation, le colonel Ismaël Wagué, le gouvernement malien a fermement mis en garde la médiation internationale quant aux menaces qui pèsent sur cet accord de pays.
Dans cette lettre, le gouvernement malien, dirigé par le colonel Assimi Goïta, s’est plaint du «comportement de certains mouvements» qui constitue «une entrave à la paix». Il a accusé les mouvements de l’Azawad de «collusion de plus en plus manifeste avec les groupes terroristes». Dans sa lettre, il rejette toute accusation qui viserait à lui faire porter le chapeau quant à d’éventuelles conséquences de la violation de cet accord. Ainsi, il y a donc un risque sérieux d’une reprise des hostilités entre les deux paix.
La diplomatie algérienne à l’œuvre
L’Algérie, qui partage 1400 km avec le Mali, s’emploie depuis quelques mois à rapprocher les différentes parties pour préserver la paix dans ce pays et dans l’ensemble de la sous-région. Ainsi, après une visite à Bamako, le ministre des Affaires étrangères, alors Ramtane Lamamra, a reçu à Alger le 15 janvier 2023 son homologue malien, Abdoulaye Diop, ainsi que le ministre de la Réconciliation nationale, chargé de l’Accord de paix et de réconciliation, le colonel Ismaël Wagué.
Les discussions ont porté sur «les perspectives de redynamisation et de renforcement de la cadence de mise en œuvre de l’Accord de paix et de réconciliation en collaboration avec toutes les parties maliennes dans le cadre des mécanismes de suivi de la mise en œuvre de l’Accord supervisés par l’Algérie», a précisé le communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères.
Le 26 janvier, le président Abdelmadjid a reçu à Alger les chefs et les représentants des mouvements politiques signataires de l’Accord de paix. Cet accord de paix signé à Alger en 2015, grâce à la médiation internationale conduite par l’Algérie, constitue une issue à la grave crise qui secoue le Mali depuis 2012.
Mais sa mise en œuvre est dans l’impasse depuis le dernier changement de régime au Mali, intervenu en mai 2023. Les efforts diplomatiques de l’Algérie se poursuivent pour sortir de ce statu quo qui dessert la paix dans la région.