Ouverture du festival international du Malouf à Constantine : Un pont vers l’universalité

16/12/2024 mis à jour: 11:53
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La soirée d’ouverture a jeté des passerelles vers la Palestine, la Tunisie et le Japon

L’événement, qui a pour objectif de réunir toutes les voix qui chantent ce genre musical, en Algérie, au Maghreb et même dans le monde, demeure une des meilleures voies pour préserver ce patrimoine.

 

Il n’y avait pas une meilleure façon d’inaugurer la 12ème édition du festival international du Malouf, qui a eu lieu, samedi soir, au complexe Ahmed Bey (Zénith) de Constantine, qu’une entrée musicale spéciale, 

appelée localement « Dekhla qcentinia », typiquement réservée aux fêtes de mariage dans la ville, qui a été animée par le grand chanteur, maître de ce genre, Salim Fergani, accompagné par le maestro Samir Boukredira au violon et l’inévitable Youcef Bounaâs à la zorna. 

Une façon d’exprimer l’attachement des Constantinois à cet art ancestral dans sa pure tradition, et qui aspire à atteindre l’universalité à travers son festival international ayant gagné en notoriété après une absence de six ans. 

Pour preuve, la onzième édition organisée l’année dernière, dont une rétrospective a été projetée hier, a marqué cette relance par la présence des artistes venus de Constantine et d’Annaba, dont Salim Fergani, Ahmed Aouabdia, Toufik Taouati, Mohamed Cherif Zaarour, Dib Layachi, Mbarek Dekhla et autres Abdarrachid Segueni, Abbés Righi, Ryad Khelfa, Kamel Bouda, Hakim Bouaziz et Hassen Branki. Ceci sans oublier les invitées de marque telles Chahrazed Helal de Tunisie, et les algériennes Naïma Dziria, Meriem Benallal, Dounia et Nada Rayhane, en plus de la participation de troupes de la Libye, du Liban, d’Italie et de la Turquie, invitée d’honneur de cette édition. « Depuis la reprise de ce festival, nous œuvrons sans relâche pour faire sortir le Malouf des cercles fermés et des fondouks pour le mener vers l’universalité », a déclaré le commissaire du festival, Lyes Benbakir, lors de la cérémonie d’ouverture. Il faut noter que le commissariat a déployé des efforts notables pour remettre la manifestation sur rails, grâce au soutien du ministère de la Culture et l’appui des autorités de la wilaya de Constantine. 

La Palestine dans les cœurs 

Une mission qui n’est pas de tout repos, surtout lorsqu’il s’agit de composer avec les difficultés rencontrées pour inviter les artistes étrangers ou les Algériens résidant à l’étranger. C’est l’exemple du célèbre humoriste Smaïn, enfant de la ville de Constantine où il est né en 1958, qui n’a pas pu faire le déplacement en tant qu’invité d’honneur. Il a quand même tenu à adresser un message vidéo dans lequel il ne manque pas d’afficher sa sympathie pour cette manifestation. « J’ai tant aimé être parmi vous, mais des obligations professionnelles m’ont empêché car je suis en tournée ; je profite pour vous saluer tous et vous souhaiter bon courage ; je suis enfant de Constantine et de l’Algérie et je ne l’oublierai jamais », a-t-il déclaré.

Les moments d’émotion ont été vécus lors de la montée sur scène de l’artiste palestinienne Sana Moussa, représentant son pays, invité d’honneur de cet événement. Née en 1979, cette dernière, qui a entamé une carrière artistique en 2003, s’est illustrée dans l’interprétation des chansons du patrimoine palestinien, avant de créer sa troupe en 2008, avec laquelle elle avait pris part à des festivals organisés à travers le monde. 

« Il est difficile de chanter dans pareilles circonstances en raison des épreuves difficiles que notre peuple traverse en ce moment ; mais si je suis là c’est pour saluer le peuple algérien pour son soutien, sans oublier que l’Algérie a vu naître sur son sol l’Etat palestinien en 1988 et a été le premier pays à le reconnaitre, tout cela restera dans l’histoire », a-t-elle soutenu, révélant qu’elle a fait un périple de 36 heures pour y arriver. 

« Dès mon arrivée dans ce pays, j’ai senti un soulagement et un bonheur de rencontrer le peuple algérien », a-t-elle ajouté. Reconnaissante, Sana Moussa, qui s’est produite accompagnée par l’orchestre constantinois dirigé par Sami Boukridira, a interprété de fort belle manière le célèbre chant patriotique algérien « Min djibalina », face à une assistance qui s’est mise debout pour l’accompagner. Un choix très symbolique pour un hymne à la résistance que le peuple palestinien ne cesse de mener depuis des décennies, traversant les dures épreuves, dont la dernière dure depuis le 7 octobre 2023 avec la guerre génocidaire menée par l’Etat sioniste contre la population palestinienne à Ghaza.Pour sa première présence à Constantine, la chanteuse tunisienne Meherzia Touil n’a laissé personne indifférent. Magnifiquement habillée en gandoura constantinoise, avec tout ce qu’elle avait de beau, dont les accessoires (mehezma et skhab), qui lui allait à merveille, (une façon d’allier musique et traditions), elle a montré aussi que le Malouf est un tout. 


« Je vous aime barcha barcha »

Il est indivisible en Algérie comme en Tunisie. Venue d’un pays avec lequel on partage l’histoire, la géographie, la musique et tous les bons sentiments, elle a interprété des chansons du patrimoine commun entre les deux peuples. Ce que les artistes algériens avaient coutume de chanter aussi bien que leurs frères tunisiens. Avec derrière elle un orchestre truffé de brillants talents, dirigé par le maestro Samir Boukridira, elle a affiché une grande aisance, se sentant bien chez elle (comme un poisson dans l’eau), offrant au public une prestation remarquable. « Je suis très heureuse d’être présente à ce festival ; c’est un vrai bonheur pour moi d’être parmi vous à Constantine, je vous aime barcha barcha (qui veut dire beaucoup en tunisien) », a-t-elle lancé en réponse aux nombreux youyous qui ont fusé dans la salle. Sa voix forte et sublime que le public constantinois découvre pour la première, ainsi que sa maitrise des techniques vocales, ont confirmé tout le bien qu’on disait d’elle. 

Ce n’était guère étonnant pour une digne élève de la célèbre association de La Rachidia, véritable pépinière de talents devenus des stars de la chanson. Meherzia Touil, qui avait pris part à de nombreux festivals en Tunisie et dans le monde arabe, dont un hommage dédié à Warda El Djazairia en 2017 à Alger, passe pour être une valeur sûre de la chanson tunisienne. Comme elle maîtrisait parfaitement le patrimoine du Malouf, elle s’est illustrée dans le genre du tarab en reprenant avec brio des succès de la diva égyptienne Oum Kalthoum, mais aussi de Nadjet Essaghira et de la grande chanteuse tunisienne Saliha.

 

La surprise « Faïrouz Al Yabania »

La surprise que tout le monde attendait en cette soirée d’ouverture était sans conteste la participation pour la première fois d’une chanteuse de l’extrême orient. 

Il s’agit de la japonaise Naomi Koyasu, qui s’est illustrée il y a quelques années par sa participation à l’émission de télévision Arabe Idol où elle avait interprété avec brio des chansons de la grande artiste libanaise Fairouz, ce qui lui a valu le surnom de « Faïrouz El Yabania » (Faïrouz la libanaise). 

Ses vidéos ne cessent d’être partagés à grande échelle sur les réseaux sociaux. Habillée également en gandoura constantinoise, Naomi Koyasu, qui a tenu à présenter des chansons en japonais, en guise d’ouverture, a bien montré des talents réels, avec une maîtrise impeccable du malouf en interprétant des chansons du répertoire classique comme « El Qalbou chaiq lediar » et « Lamouni ligharou menni ». 

 

                                             (La japonaise Naomi Koyasu)

 

Ce dernier titre, elle a tenu également à l’interpréter en japonais simultanément, avec la musique d’origine et avec le même orchestre. Une manière à elle de faire aimer ce genre musical à ses compatriotes. Ce qu’elle n’a pas cessé de le dire à chaque fois qu’on l’interroge sur les raisons qui l’ont poussé à chanter le malouf. Mais Naomi ne s’est pas contentée de cela.  Elle a beaucoup travaillé sur les chansons de la grande Fairouz, en interprétant lors du même spectacle la célèbre chanson « El bent chalabia », avec le même orchestre. Ce qui n’a pas manqué d’impressionner le public et les spécialistes. L’acteur et musicien Athmene Bendaoued, présent au spectacle n’en revenait pas. « J’ai été vraiment impressionné par les talents de Naomi au point où elle maitrisait parfaitement ce genre ; j’ai vainement attendu qu’elle glisse mais elle a donné une belle prestation ; je suis vraiment heureux de voir que des Japonais s’intéressent à notre patrimoine, pourquoi ne pas tenter de faire de même avec le leur », a-t- témoigné. 

Quant à Naomi Koyasu, elle a tout fait, en dépit de quelques difficultés de prononciation, à remercier les organisateurs de l’avoir invité à cet événement, tout en exprimant sa gratitude  envers le public constantinois et le peuple algérien. Présent à la soirée, Son excellence l’ambassadeur du Japon à Alger n’a pas raté l’occasion pour dire : « Il paraît que votre pont est arrivé jusqu’au Japon ; maintenant vous avez désormais votre fille qui chante bien le malouf ». ,En présence d’un public qui n’a pas débranché jusqu’à la dernière minute, la soirée s’est achevée par un concert magistral animé par le maître Salim Fergani, ayant interprété des succès du riche répertoire du malouf qu’il œuvre jalousement à préserver. 

Ce qui a fait dire à certains mélomanes que le Malouf se portera bien tant qu’il est entre de bonnes mains. Pour rappel, la 12ème édition du festival international du malouf à Constantine a été marquée par un hommage rendu à la grande chanteuse et enfant de la ville, Thouraya. 

Cette grande dame, qui vit actuellement en France, avait réussi une carrière remarquable depuis son premier album enregistré dans les années 1950, en poursuivant son parcours après l’indépendance à travers ses nombreuses apparitions à la télévision dans les années 1970 où elle avait été la seule chanteuse algérienne à avoir interprété plusieurs genres musicaux. 

Un hommage posthume a été également rendu à Tahar Ghersa (1933-2003) grand musicien et chanteur tunisien, qui fut aussi élève du grand maître et artiste Khemaïs Ternane. 

C’est ce dernier qui l’avait initié au malouf, aux autres genres musicaux et apprend à jouer au luth. Il avait pris la direction de La Rachidia à la mort de Ternane, avant de la quitter pour constituer l’Association Carthage pour les chansons du terroir. Il reviendra à la direction de La Rachidia dans les années 1990.

 Il a été très connu pour ses célèbres compositions qui font partie du répertoire national tunisien. Le festival promet encore des découvertes pour le public constantinois lors des soirées qui se poursuivront jusqu’au 18 décembre à partir 18h au complexe Ahmed Bey (Zénith).                                       

Constantine
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