La prestation des musiciens a été particulièrement appréciée, et c’est un véritable voyage dans l’espace et dans le temps qui a été proposé par cet ensemble dirigé par le chef d’orchestre Missak Baghboudarian, Syrien d’origine arménienne et formé de neuf instrumentistes, une contrebassiste, un violoncelliste et des violonistes, dont une femme, premier violon, saluée par le chef comme il est d’usage lorsqu’il a fait son entrée.
Première escale, Vienne, capitale autrichienne avec l’incontournable Mozart (1756-1791) et sa Petite musique de nuit composée vers 1787 à l’époque où la ville était aussi la capitale de la musique classique. «Nous n’allons interpréter que le premier mouvement», précise le maestro syrien et c’est parti pour une entrée en la matière particulièrement joyeuse. Ecrite à l’origine pour un quintette à cordes, elle a ensuite été adaptée pour un orchestre à cordes et que les musiciens syriens ont su en restituer l’ambiance. Place ensuite à la Tchéquie, plus précisément à la région de Bohême qui englobe sa capitale et qui a vu naître et grandir Antonin Dvorak (1841-1904).
A cette époque, le pays faisait partie de l’empire austro-hongrois et à Missak Baghboudarian d’expliquer le choix de la sérénade pour ensemble à cordes par l’attachement du musicien à sa région natale mais aussi au folklore et à la culture populaire. Pour la petite histoire, Dvorak est surtout mondialement connu pour sa Symphonie du nouveau monde, première œuvre composée aux Etats-Unis lorsqu’entre 1892 et 1895, on lui a confié la direction du conservatoire de New York.
Mais ici, c’est bien de l’ancien monde dont il s’agit avec l’interprétation de cette pièce pour restituer l’atmosphère enchanteresse de la forêt de Bohème, ses lacs et ses oiseaux. Romantisme et lyrisme se mêlent dans la méditation et l’onirisme originel avec des passages entrainants et d’autres plus énergiques mais dans une parfaite harmonie. «Nous allons maintenant en Russie…», entend-on dire ensuite, et c’est pour explorer un pan de l’œuvre de Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893) et pour découvrir la nature du romantisme russe à travers une autre sérénade.
Retour ensuite en Hongrie avec Béla Bartok (1881-1945) et ses danses roumaines, de courtes pièces composées en 1915 à l’origine pour piano avant d’être adaptées deux années plus tard mais contenant toujours des couleurs orientales. «Bartok a lui aussi beaucoup voyagé et c’est de son passage à Istanbul (Constantinople à l’époque) que proviennent les influences de la musique orientale intégrées dans ses compositions», explique le même chef d’orchestre. Là aussi, c’est l’intérêt porté sur les cultures populaires qui est mis en avant.
Le même choix se retrouve dans l’interprétation de la danse d’Anitra, d’Edvard Grieg. Un compositeur norvégien qui a mis en musique l’œuvre dramatique de son compatriote Henrik Ibsen et les péripéties de son personnage principal Peer Gynt dans un univers teinté de folklore, de contes et d’exotisme. Il est réellement question de voyage avec sa part de fortune et d’infortune, mais aussi de rencontres, et c’est cet épisode de passage en Afrique, le Maroc mais aussi l’Egypte qui est retenu avec l’introduction du personnage d’Anitra et son jeu de séduction qui va contribuer à la chute de l’antihéros dépeint dans l’œuvre. La sixième étape du voyage musical nous emmène en Anatolie mais à travers le compositeur arménien Komitas (1869-1935) qui a grandement contribué à sauver un important patrimoine musical de son pays grâce justement à son intérêt pour les cultures populaires.
A l’époque, l’Arménie était sous l’empire ottoman et la musique de Komitas (qui au passage occupait un rang élevé dans l’église orthodoxe) mais surtout ses chants étaient appréciés jusque dans la capitale Constantinople (devenue Istanbul). L’orchestre syrien a interprété quatre de ses danses d’où transparait le style oriental spécifique à cette région du monde.
Le dernier opus du spectacle est un hommage aux liens qui unissent l’Algérie et la Syrie avec l’interprétation croisée de morceaux des deux pays dont spécialement l’hymne au retour (après le voyage ou l’exil) de Dahmane El Harrachi.
La prestation était accompagnée à titre exceptionnelle par des images vidéos représentant l’aide apportée par l’Algérie lors du tremblement de terre de 2023 en Turquie mais ayant également grandement touché la Syrie. Le spectacle a été organisé en complément de la tenue à Alger du Festival international de la musique symphonique.