Deux responsables onusiens, Philippe Lazzarini, commissaire général de l’Unrwa, et Volker Türk, haut-commissaire aux droits de l’homme, ont exprimé leur profonde inquiétude sur ce qui se passe à Ghaza depuis déjà deux mois et dix jours.
Lors d’une conférence de presse, animée jeudi à Genève après son retour du gouvernorat de Rafah, frontalier avec l’Egypte, M. Lazzarini a décrit une situation désastreuse : «Les gens étaient désespérés, affamés et terrifiés.»
Cette rencontre avec les médias est intervenue alors que des bombardements intensifs et sans arrêt ciblent depuis plus de deux mois toutes les infrastructures officielles, résidentielles, éducatives, et même les camps de réfugiés gérés par l’Onu, les lieux de culte et les hôpitaux, qui en vertu du droit international bénéficient d’une protection internationale.
«La famine est quelque chose que les Ghazaouis n’ont jamais, jamais connu au cours de leur histoire troublée. J’ai vu de mes propres yeux que des gens de Rafah ont décidé de se servir directement du camion, transportant de l’aide par désespoir total, et de manger sur place ce qu’ils ont pris du camion.
Cela n’a rien à voir avec le détournement de l’aide», a expliqué le chef de l’Unrwa, pour lequel, «seule une augmentation significative de l’aide humanitaire permettra d’éviter une aggravation de la situation humanitaire déjà désastreuse là-bas, et un sentiment de trahison et d’abandon de la part de la communauté internationale».
M. Lazzarini a appelé «à la levée du siège à Ghaza et la réouverture du passage de Kerem Shalom, reliant l’enclave à l’entité sioniste, aux véhicules commerciaux », et affirmé que, désormais, Rafah «est devenu l’épicentre des déplacements avec plus d’un million de personnes qui y cherchent refuge. Les installations de l’Unrwa sont extrêmement surpeuplées, ce qui signifie que des dizaines de milliers de personnes n’ont absolument nulle part où aller. Les plus chanceux sont ceux qui ont une place dans nos locaux, surtout maintenant que l’hiver a commencé.
Ceux qui sont dehors doivent vivre à l’air libre, dans la boue et sous la pluie». Pour le commissaire onusien, les habitants de Ghaza «estiment que leur vie n’est pas égale à celle des autres et qu’ils ont le sentiment que les droits de l’homme et le droit international humanitaire ne s’appliquent pas à eux», mettant l’accent sur le «sentiment d’isolement» qui prévaut en relevant, toutefois, que «les habitants n’aspirent qu’à la sécurité et à la stabilité. Ils souhaitent une vie normale dont ils sont très loin en ce moment».
Ce qui continue à choquer le responsable onusien, «c’est le niveau toujours croissant de déshumanisation» a-t-il déclaré, regrettant au passage «le fait que certains puissent applaudir les actes répréhensibles dans cette guerre». A en croire Philippe Lazzarini, «ce qui se passe à Ghaza devrait indigner tout le monde et nous faire repenser nos valeurs.
C’est un moment décisif pour nous tous et pour notre humanité commune». Le commissaire de l’Unrwa s’est dit, par ailleurs, «horrifié par la campagne de diffamation qui cible les Palestiniens et ceux qui leur fournissent de l’aide» avant d’appeler les médias à «nous aider à lutter contre la désinformation et les inexactitudes», à travers «la vérification des faits», qui est, a-t-il noté, «essentielle».
«Dans la souffrance, il n’y a pas de compétition. En fin de compte, dans cette guerre, il n’y aura pas de vainqueur. Plus elle durera, plus les pertes seront importantes et le chagrin profond. Il n’y a absolument aucune alternative à un processus politique véritable et approprié pour mettre fin, une fois pour toutes, au plus long conflit politique non résolu, 75 ans sans résolution. Il est temps que cela devienne une priorité. La paix et la stabilité, voilà ce que mérite la région.»
Abondant dans le même sens, Volker Türk, haut-commissaire aux droits de l’homme, a déclaré dans un entretien accordé au site de l’Onu (Onu Info), qu’il «est absolument essentiel que l’obligation de rendre des comptes fasse partie de tout accord futur, car nous savons que si l’impunité règne, si les faits ne sont pas révélés et si la vérité n’est pas dite, nous aurons des griefs à n’en plus finir.
J’espère qu’avec le travail que nous faisons du côté des droits de l’homme, mais aussi ce que fait la Cour pénale internationale, ce que font les différents mécanismes, cela nous aidera à surmonter certains des problèmes de responsabilité auxquels nous sommes confrontés dans cette situation».
Le responsable onusien a affirmé qu’il «continuera à documenter, rapporter et surveiller la situation. Je suis très inquiet du risque de crimes d’atrocité. Je suis très inquiet de la situation en Cisjordanie, en particulier, car depuis le 7 octobre, plus de 271 Palestiniens ont été tués, dont 69 enfants. Je m’inquiète de ce que cela signifie pour l’avenir.
Je suis également extrêmement choqué par le langage déshumanisant que j’ai entendu, à la fois de la part du Hamas, mais aussi de la part des dirigeants militaires et politiques israéliens. Certains d’entre eux ont fait des commentaires tout à fait inacceptables qui nous inquiètent beaucoup».
Après avoir fait le parallèle avec la guerre en Ukraine, le Commissaire onusien est revenu à la situation en Palestine, pour rappeler que «la clef, c’est l’obligation de rendre des comptes, car c’est le chaînon manquant dans la plupart des situations de conflit dans le monde. Et si l’on n’aborde pas la question de la responsabilité, on retombera dans la guerre et le conflit».
Sur les discours de haine, le responsable a répondu : «La haine fait partie de ces émotions extrêmement négatives qui, malheureusement, se vendent bien. Et il y a parfois des intérêts commerciaux qui poussent à la haine. Nous devons réduire ce phénomène, nous devons le dénoncer.
Nous devons montrer ces modèles commerciaux. Et nous devons également trouver les moyens de ramener l’humanité à son cœur et à ses fondements. Je souhaite que les messages de paix, de guérison, de transformation de la haine en actions positives gagnent plus de terrain, à la fois dans les médias et dans les discussions.»