Nouveauté des lois de finances de 2023 et 2024 : L’angle mort de la réforme budgétaire

12/11/2023 mis à jour: 06:20
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Le ministre des Finances, Laaziz Faid, lors d’un de ses passages à l’APN

La mise en œuvre de la réforme budgétaire, dans le cadre de la loi organique 18-15 relative aux lois de finances, entrera dans sa deuxième année en 2024. 

C’est dans cet esprit que les lois de finances 2023 ont été conçues de manière tout à fait différente des précédentes. Si par le passé, en effet, le budget de l’Etat, par exemple, était réparti entre le budget de fonctionnement et le budget d’équipement, depuis la LF-2023 il en va tout autrement.

 «La loi organique 18-15 définit les objectifs liés au nouveau cadre législatif du budget, qui s’appuie sur le budget des résultats et des objectifs définis précédemment et, partant, conférer la transparence en matière de dépense de l’argent public», avait déclaré, en novembre 2022 à Alger, repris par l’APS,  le président de l’APN, Brahim Boughali, sur les nouvelles orientations du budget de l’Etat dans le cadre de la réforme budgétaire conformément à la loi organique 18-15 relative aux lois de finances. 

Dans l’article 29 de ladite loi organique, il est précisé : «Les charges budgétaires de l’Etat par nature économique comprennent les titres suivants : 

1) Les dépenses de personnel ; 2) Les dépenses de fonctionnement des services ; 3) Les dépenses d’investissement ; 4) Les dépenses de transfert ; 5) Les charges de la dette publique ; 6) Les dépenses d’opérations financières ; 7) Les dépenses imprévues.»  

On est ainsi bien loin de la présentation habituelle de la loi de finances, où l’on peut remarquer l’effort fourni par le gouvernement en matière d’investissement lorsqu’il consacre une part importante aux dépenses d’équipement, par exemple, et moins aux dépenses de fonctionnement. 

Depuis l’an 2023, on retrouvera donc toutes ces dépenses répertoriées sous les rubriques citées plus haut, comme les dépenses du personnel, les dépenses de fonctionnement des services, les charges de la dette publique, les dépenses d’investissement tout court, les dépenses de transfert, les dépenses financières et enfin les dépenses imprévues. Ces dernières (les dépenses imprévues) laissent perplexe. 

Non pas à cause du caractère imprévu de ces dépenses, mais beaucoup plus en raison du montant aussi important qu’invraisemblable qui leur est alloué. Qu’on en juge ! Dans le budget du PLF-2024, le montant réservé aux «dépenses imprévues» équivaut à 1920,39 milliards de dinars pour un total des dépenses budgétaires qui se situerait à 15 275,3 mds DA, ce qui correspond donc à 12,5% des dépenses budgétaires. Ce niveau de dépenses, imprévues, paraît assez important. Pourquoi ? Dans le budget du PLF-2024, le montant équivaut à 1920,39 milliards de dinars.

 Le gouvernement explique que ces dépenses dites imprévues correspondent en fait au «montant non assigné relevant du portefeuille des programmes des finances, qui s’élève à 1920,39 milliards de dinars en AE et en CP, représentant 12,57% des crédits de paiement pour 2024». Cette rubrique, note le PLF-2024, enregistre une diminution de 31,2% en AE et 12% en CP, relativement à la LFR-2023. Ce qui signifie qu’en 2023, le montant de ces dépenses imprévues était encore plus important. 

Et ensuite de détailler que «ces dépenses permettent outre la couverture des dépenses imprévues pour ledit exercice, celles induites par les décisions prises quant à la révision des statuts de certains secteurs, notamment celui de l’enseignement supérieur, de la santé, de l’éducation nationale et des imams, la révision des pensions des moudjahidine et ayants droit, la poursuite des efforts de rattrapage au profit des wilayas, décidés par les pouvoirs publics en matière d’investissements».

Dépenses imprévues 

Est-ce à dire que ce montant sera réduit à l’avenir, si l’on considère que les justifications de l’Exécutif auraient plutôt un caractère conjoncturel pour la plupart ? La question reste posée.  En tout cas, il s’agit là d’une des nouveautés les plus remarquables de cette nouvelle forme de budgétisation. C’est au ministère des Finances qu’échoit la mission de gérer ce budget.  

Et c’est d’ailleurs pour cette raison que ce département ministériel devient, par la force des choses, celui qui détient le plus important budget du gouvernement, devant le ministère de la Défense, celui de l’Education ou le ministère de l’Intérieur, depuis 2023. Ce type de dépenses sont évoquées dans la loi organique en question sous la dénomination «crédits non assignés» dans son article 24 où il est stipulé comme suit : «Les crédits gérés par le ministre chargé des Finances au titre des dépenses imprévues, non assignés à des ministères ou institutions publiques, dont la répartition par programme ne peut être déterminée avec précision au moment de l’adoption de la loi de finances, ou devant faire face à des dépenses imprévisibles, sont groupés en dotations globales.

 Le prélèvement et l’affectation des crédits de ces dotations s’effectuent par décret pris sur rapport du ministre chargé des Finances.» Ainsi, ces crédits sont affectés par décret. Les concepteurs de cette réforme pensent pouvoir atteindre ce faisant la transparence et l’efficacité budgétaire. Et ne se doutant pas que cette loi pourrait enfermer quelques zones d’ombre ou plutôt une espèce d’angle mort qui échappe de prime abord à l’attention des observateurs. 

En 2022, le président de l’APN, louant les faveurs de cette réforme, avait estimé alors que l’application en 2023 de la loi organique relative aux lois de finances devrait renforcer le contrôle parlementaire sur les politiques publiques et évaluer les performances des différents secteurs. Soit. Mais pour l’instant, c’est plutôt «l’inverse» qui risque de se produire si l’on en croit l’attitude des parlementaires, qui se sont manifestés jeudi dernier par une proposition de loi qui vise à défendre en fait «leur territoire» en la matière.  
 

«Anomalie» 

A peine une année après la mise en mouvement de cette réforme que déjà des députés semblent avoir débusqué une «anomalie» qui risque de saper, croient-ils, l’indépendance de leur institution en portant atteinte au principe majeur de la séparation des pouvoirs, cher aux grandes démocraties, entre l’Exécutif et le législatif. 

C’est ainsi qu’une proposition de loi portant exemption des deux Chambres du Parlement de l’application des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances a été présentée et soumise à débat en plénière à l’APN jeudi dernier. Selon l’APS, la loi organique proposée, modifiant et complétant la loi organique  n° 18-15 du 2 septembre 2018, relative aux lois de finances, a été présentée par le délégué des députés auteurs de la proposition, Seddik Bakhouche, lors d’une séance plénière présidée par Brahim Boughali, président de l’APN, en présence du ministre des Finances, Laaziz Faid, et de la ministre des Relations avec le Parlement, Basma Azouar. Le texte examiné propose un amendement de l’article 23 de la loi organique 18-15 à travers la suppression du terme «parlementaires» du dernier alinéa pour devenir : «Par institution publique, il est entendu, au sens de la présente loi, les institutions judiciaires, de contrôle, consultatives et toutes les autres institutions de même nature prévues par la Constitution.» 

Selon la même source, le texte proposé comprend également l’introduction d’un nouvel article (23 bis) dans la loi organique 18-15, stipulant l’exemption des deux Chambres du Parlement de l’application des dispositions de ce texte. 

Le délégué a précisé que «cet amendement repose sur le principe ‘‘la loi spéciale déroge à la loi générale’’», ajoutant que la préparation du budget des deux Chambres du Parlement, son exécution et les mécanismes de la comptabilité en amont et en aval par lesquels elles sont régies relèvent des dispositions du règlement intérieur. Les procédures de préparation, d’exécution et les règles de la comptabilité du budget du Parlement sont «complètement» différentes du modèle du budget selon les programmes consacrés en vertu de la loi organique 18-15, a-t-il ajouté. Il a évoqué en outre l’impératif de prendre en compte l’autonomie financière des deux Chambres du Parlement, consacrée en vertu de la loi organique 16-12 (fixant l’organisation et le fonctionnement de l’Assemblée populaire nationale et du Conseil de la nation ainsi que les relations fonctionnelles entre les Chambres du Parlement et le gouvernement). 

Dans son rapport préliminaire sur la proposition, la commission des finances et du budget de l’APN a estimé impératif de «dispenser les deux Chambres du Parlement des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances, conformément au principe de séparation des pouvoirs, et à l’indépendance financière des deux Chambres parlementaires, en adoptant le principe ‘‘la loi spéciale déroge à la loi générale’’».

 Pour sa part, le ministre des Finances a expliqué que la loi de finances était le seul cadre permettant l’ouverture et l’affectation des crédits au titre du budget de l’Etat. «L’exemption des deux Chambres du Parlement de l’application des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances conduirait à une absence totale du cadre juridique permettant d’allouer les ressources financières nécessaires pour couvrir les dépenses des deux Chambres.

 Cette exemption rendrait impossible l’application des dispositions de cette loi organique au Parlement, notamment celles qui stipulent l’ouverture des crédits, leur transfert et les autres dispositions liées aux délais.» Il a rappelé, dans ce sens, que, conformément aux normes internationales, le Parlement, avec ses deux Chambres, est soumis à la loi régissant les lois de finances, tout en adaptant les règles de comptabilité publique pour gérer les deux Chambres. 

En pratique, la loi n° 90-21 relative à la comptabilité publique a exempté les budgets des deux Chambres du Parlement de l’application du contrôle budgétaire et du contrôle du comptable public, stipulant uniquement l’application du contrôle de la Cour des comptes, a expliqué le ministre, soulignant que «le contrôle budgétaire et le contrôle du comptable public n’ont en réalité jamais été appliqués aux deux Chambres du Parlement par le passé, et ne peuvent être appliqués ni actuellement ni à l’avenir, en tenant compte du principe de la séparation des pouvoirs». Le texte proposé sera soumis au vote de l’APN mardi prochain.
 

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